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Critiques de Alain Naze (1)
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Manifeste contre la normalisation gay

Que reste-t-il de nos amours ?



Je n’aborde que certaines analyses de l’auteur, limitant mes propos à des éléments plutôt généraux. Je ne saurais indiquer des choix quant aux possibles souhaités et souhaitables par et pour les personnes se reconnaissant comme homosexuel-le-s, en particulier sur le coming out discuté par l’auteur.



Ne partageant qu’une partie de l’approche de la « normalisation » ou des « conclusions » d’Alain Naze , je vais essayer – quelques fois en faisant des pas de côté par rapport au sujet – de dialoguer sur des points soulevés dans ce livre.



Dans une première partie, j’en reste à notre partie « occidentale » du monde. Il est juste de rappeler comme le fait Alain Naze : « la mondialisation économique s’effectue aux conditions de l’Occident, et l’uniformisation du monde qui en résulte est bien son occidentalisation » (Il s’agit en fait de la diffusion du mode de production capitaliste. L’Occident n’est pas une entité close sur elle-même, ne saurait être abordé sans les contradictions qui le traversent, les luttes menées par les différents groupes sociaux).



Reste qu’il est exact que le système de production marchand restructure ou détruit tout ce qui existait et pourrait contrarier la diffusion des marchandises ou l’accumulation du capital. Et dans ces destructions, il a, il faut le souligner, tous les possibles de développement alternatif, toutes les constructions de commun, toutes les socialisations permettant d’autres lendemains plus enchanteurs… Un « modèle » se diffuse et s’impose loin du pluriversalisme émancipateur.



Je prends comme point de départ, la critique de la recherche de forme de « pratiques sexuelles et affectives reconnues comme légitimes », du couple comme « référence sociale », du « droit à l’indifférence », d’une « forme d’assimilation », d’un « présupposé universaliste », de la recherche à « se faire une place au sein de la société telle qu’elle est ». L’auteur souligne l’absence d’interrogation sur « la nature de la société dans laquelle il s’agit de s’intégrer ».



Il me semble plus que compréhensible que cette pente d’affirmation et de recherche d’un « même », qu’il soit masqué ou non par les revendications d’égalité, soit empruntée par des groupes sociaux ou des individu-e-s. Les revendications sont le plus souvent inscrites dans des environnements du pensable ou du souhaitable à un moment donné, sans nécessairement interrogations (ou sans moyen de les régler) sur « la nature de la société dans laquelle il s’agit de s’intégrer ». Il y a bien un « déficit » de penser, d’articulation aux conditions d’émancipation radicale – surtout dans des périodes de recul social. Nous pouvons le regretter, nous devons surtout participer à la reconstruction d’autres horizons du possible, qui ne sauraient se limiter aux élaborations en Europe.



Il est intellectuellement « intolérable pour un homme d’être toléré » (Pier Paolo Pasolini cité par l’auteur), il est tout autant intolérable d’être stigmatisé, invisibilisé ou (sur)nommé par d’autres… Il faut faire la différence entre l’auto-nomination soit une « identité revendiquée » et l’assignation par d’autres et donc une « identité imposée ». Contre les assignations, les auto-définitions des populations et des personnes se sentant concernées sont décisives (voir les propositions d’auto-définition, « What is this person’s race ? » dans des formulaires de recensement aux Etats-Unis). Mais que nomme vraiment une « identité » ? Une assignation, son refus, un retournement de stigmate, une référence au passé, une tension vers le futur ? Quoiqu’il en soit, une expression toujours partielle de soi. Combinaison de dimensions variables, inscrites dans un temps historique plus ou moins épais, les identités ne sont ni unique ni figées. Quant à l’extension/attribution d’une identité à un groupe, quel qu’il soit, la chose en devient plus qu’hasardeuse…



Du strict point de vue de la simple égalité des droits, l’opposition à revendication du « mariage pour toustes », de la possibilité de mariage entre personnes de même sexe reste peu compréhensible. Mais ce combat pour l’égalité juridique est resté très en deçà du possible. Car l’égalité d’accès à l’institution du mariage, aurait dû être complétée de l’accès aux droits égaux pour les couples mariés ou non, de l’individualisation des droits (que l’on soit en couple ou non).



Cela n’enlève rien aux nécessaires critiques de cette institution historique et aux analyses des logiques oppressives du mariage, de l’injonction de vivre en couple, de l’hétéronormativité. Ni d’ailleurs à la notion même de « contrat » pour régir les relations interpersonnelles (voir Carole Pateman : Le contrat sexuel). Je ne sais ce que pourraient être des « unions » émancipatrices, mais certainement pas les formes actuelles dominantes servant de référence rabougrie aux imaginaires sociaux. Il est donc nécessaire de critiquer les « formes d’existences dominantes dans nos sociétés hétérocentrées ».



L’auteur souligne que ce mariage ne peut être considéré comme la phase ultime d’une libération homosexuelle. Il y voit une certaine rupture avec le type de revendications développées dans les années 70, qui remettaient en cause plus globalement (et de manière plus radicale) les relations interpersonnelles et les rapports sociaux. Il aurait été possible d’emprunter d’autres voies, de mettre en avant d’autres « préférables ». D’autant que le choix d’une certaine « respectabilité » laisse sur la carreau (voir rejette) celles et ceux qui s’affirment autrement. Quoiqu’il en soit, je partage la façon de s’exprimer de l’auteur « Entre l’éloge systématique du présent et la nostalgie rétrograde pour les temps passés (pensée réactionnaire elle-même d’ailleurs tout à fait dans l’air du temps, il y a la place pour une pensée intempestive, créant une brèche dans l’homogénéité de l’époque ».



Par ailleurs, il y a le plus souvent un paradoxe ou un aspect contradictoire à nommer ou à cacher le sexe des personnes (cf les travaux de féministes sur la nomination des femmes). L’auteur en exprime un versant dans « l’apparition d’une mention du sexe des contractants dans la loi (et la nature des rapports qu’ils pouvaient entretenir entre eux) a-t-elle véritablement constitué un progrès du point de vue des libertés ? ». Dit autrement, l’ajout de la notion de « sexe » modifie-t-elle le cadre de l’universalisme républicain abstrait ?, l’énonciation publique de la sexualité modifie-t-elle quelque chose aux rapports sociaux réels ?



Il me semble important d’ajouter, que tout droit conquis (il n’y a jamais de droit octroyé par les dominants) à un endroit du monde, même s’il n’est que formel ou abstrait, devient rapidement un encouragement à d’autres luttes, pour son extension soit sous sa forme initiale soit sous des formes particulières liées à l’histoire et aux contextes. Il n’y a pas seulement internationalisation des modèles mais aussi mondialisation des combats. Nous pouvons néanmoins nous interroger sur la diffusion d’un seul modèle « juridique », considéré comme « passage obligé et libérateur ». Ce questionnement doit cependant intégrer le fait que le mariage est une institution largement partagée – même s’il s’agit parfois dans les faits, de pratiques différenciées.



Il est plus qu’hypocrite, et pour le moins « malvenu » à ceux qui se sont vu imposer un nouveau droit, d’en faire le drapeau de leur « identité démocratique » ou de leur « exceptionnalité nationale » et de vouloir l’imposer aux autres – alors même qu’ils font tout pour que ce droit ne soit que formel, qu’il ne débouche pas sur une extension de l’égalité réelle, qu’il n’ouvre pas sur une remise en cause des rapports sociaux de domination.



Les groupes homosexuel-le-s qui se rallient, plus ou moins ouvertement, à leurs Etats dans l’affirmation de cette « identité » – au nom du fantasme de l’égalité déjà là – et à son exportation sans lien avec des revendications portées dans des mobilisations dans d’autres pays, font preuve d’aveuglement « nationaliste ». Certaines critiques de ce positionnement, plus ou moins agressif, utilisent la notion d’« homonationalisme ». Si le terme est adéquat, son emploi par certain-e-s, qui dénient l’existence même de droits aux personnes se considérant comme « homosexuel-le-s » au nom d’un anti-impérialisme bien silencieux sur les rapports de domination dans les autres sociétés, rend difficile à mes yeux son usage. D’autant plus qu’elles et ils restent bien muet-te-s sur l’hétéronormativité, voir la soutienne au nom d’un ancrage dans des traditions/cultures et d’une essentialisation des organisations sociales…



De ce point de vue, l’auteur a bien raison d’insister sur le fait que l’universalisme réellement existant est le plus souvent « le communautarisme de la majorité », sur la différence entre affaire de lobbying et lutte politique, sur la « résorption du politique dans le juridique », sur le formatage par la modernité occidentale « Au nom de quoi, en effet, le devenir de l’humanité devrait-il être formaté par la modernité occidentale, notamment pour être compatible avec des pratiques de liberté dont on sait pourtant qu’elles peuvent être fort diverses ? » (sur ce point, je renvoie à ma note de lecture du N° de Tumultes : Pluriversalisme décolonial, sous la direction de Zahra Ali et Sonia Dayan-Herzbrun).

Reste que cela posé, le soutien aux luttes réelles et aux revendications ne peut être évacué comme le fait Joseph Massad ou Stella Magliani et Felix Bobbio Ewanjé-Epée, cité-e-s par l’auteur, au nom d’une conception que je nommerai campiste de l’anti-impérialisme . Et écrire (citation reproduite par l’auteur à propos de l’Egypte) que ce sont les campagnes internationales qui favorisent la répression relève, pour moi, de la mauvaise foi et exonère les régimes dictatoriaux non-occidentaux… Ce qui ne nous dispense pas d’interroger les notions utilisées – en particulier de vérifier qu’elles ne sont pas des réductions occidentale-centrées – et les formes d’expression qui peuvent se révéler contre-productives. Pour qu’il n’y ait pas de malentendu, je précise que la division binaire entre hétérosexualité et homosexualité est à la fois historiquement récente et non universelle. Reste que des hommes emprisonnés l’ont été sous l’accusation d’avoir eu des relations sexuelles avec d’autres hommes, que des pays criminalisent les relations amoureuses ou de plaisir entre personnes de même sexe (pas seulement par ailleurs).



Les possibles émancipateurs se heurtent bien à deux blocs réactionnaires, l’impérialisme et ses différentes formes de domination d’une part, les régimes en place (en référence ou non aux traditions inventées ou aux lectures instrumentalisées de sources religieuse ou non d’autre part). Les uns et les autres défendant la « naturalisation » et la complémentarité des sexes.



La reprise des thématiques participant à la consolidation des rapports sociaux dominants relèvent donc bien de la « normalisation ». Mais le mouvement n’est ni unilatéral ni sans contradictions…



A cela, j’ajoute qu’une part de la dérive droitière de certains gays est aussi lié à l’oubli de leur place en tant qu’hommes dans les rapports sociaux de sexe (système de genre) au nom de leur « indifférence » à l’hétérosexualité. Or s’ils n’ont pas de rapports sexuels avec des femmes, ils bénéficient et participent comme membre du groupe social des hommes à la domination des femmes.



Un autre exemple pourrait être soulevé, commun aux idéaux des hétérosexuel-le-s, l’importance donné au sang, au sperme, aux gamètes dans le désir de filiation, le privilège revendiqué d’une filiation « biologique » sur une filiation sociale.



Une dernière question, qu’en est-il des personnes qui se considèrent comme lesbiennes, dont les combats rejoignent quelques fois celui des gays sans pourtant s’y fondre, en particulier pour les féministes lesbiennes ?



J’ai choisi comme titre de cette note, celui du dernier chapitre qui se termine par un rappel sur la catastrophe (Walter Benjamin).



Je remercie l’auteur pour les précisions qu’il m’a apporté par courriel.


Lien : https://entreleslignesentrel..
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