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Citations de Alice Orient (39)


Les serpents

Sous le déploiement majestueux de branches de l’humide taillis
Dans l’herbe dorlotée je me couche, mes tempes sur mes paumes,
Je n’autorise pas le sommeil à m’abattre de son végétal baume
Car lentement je me mets à siffler le sortilège des serpents gris

Qu’ils glissent sous les feuilles aux douces eaux ondulantes,
Aux secrètes flammes verdâtres tremblant sous la braise,
Qu’ils dirigent vers moi leur tête triangulaire et mauvaise,
Où des yeux troubles veillent sous les paupières transparentes.

Avec un sifflement prolongé le chant irrévélé commence,
Qui les rassemblera de loin et les flattera, trompeur,
Et ils ramperont vers moi sur la mousse verte et en fleurs,
Hors de l’obscurité telles des sources qui de la terre s’élancent

Et voici que de tous côtés j’entends un friselis de forêt,
Enroulés sur les branches comme la chaîne du malicieux lierre
Ils bâtissaient leur venin d’ivraie dans l’herbage vert
Dans les eaux du bois cachés sous de gros cailloux somnolaient.

Or mon incantation repousse loin leurs premiers frissonnements
Soudain chacun d’entre eux quitte du bois son nid désertique
Aussi, vaincus par le long supplice du sifflement chromatique,
Se mesurent-ils en mon rythme étrange par un lent glissement.

Venez ô vous serpents dans l’herbe à plat ventre ondoyant
Brins longs comme lances plantées en pierre, vos visages rêvés !
Venez ô vous arc-boutés comme des chaînes, lors enchaînés
Aux invincibles cadences de mon chant jamais chanté auparavant

Venez ô vous secrets, fastueux, envoûtés par une voix singulière !
Désormais vos ébats seuls dans leurs rythmes se transformeront
Et impuissantes contre moi vos dangereuses langues seront,
Qui telles de vénéneuses fleurs lancent leur venin amer.

Dans les hautes herbes j’étais couchée, ô vous, en vous guettant,
Qui à mes pieds déposez tout le pouvoir caché du bocage
Et son entière subtilité m’offrez en d’illusoires virages
Tandis que mon sifflement devient chant de victoire à présent.

Appuyée contre l’arbre j’attends toutes vos troupes décimées
À mes pieds avec leurs corps d’épées agiles qu’elles se couchent
Que j’élance en la roulant sur mon bras ma proie farouche
Et que ma taille soit ceinte par ces ceintures animées.

Dépourvu de force contre moi le bois tout entier m’est asservi
Lui qui m’enlaçait de son âpre fragrance et de sa terreur
Désormais m’appartient tout son empire de crainte et de peur
Et je me pare de son inimitié empoisonnée que j’ai anéantie.

(p. 163-164)
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Aujourd’hui j’ai cru voir s’incarner la souple pluie
Bruissant grisâtre et de soie était son habit.

Des épaules à la taille elle portait des milliers de fers
Qu’elle jetait en passant sur l’eau trouble de la rivière.

Et d’innombrables anneaux chargeaient ses mains
Qu’elle ôtait tous et balançait au lac un à un.

Près des labours au jardin on l’entendait souvent passer
Et la traîne de sa robe de fraîches fleurs renversait.

Sa main transformait les vitres dans son urbain périple
Sous des cordes d’eau en harpes multiples.

Or la radieuse pluie sur l’épaule comme une amphore
Sombre et chargé d’eau l’infatigable nuage arbore.

De lui passant comme un échanson dans tous nos cœurs
Elle remplit des coupes innombrables de vains pleurs.

(La pluie, p. 167)
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Alice Orient
Appuyée contre l'arbre j'attends toutes vos troupes décimées
À mes pieds avec leurs corps d’épées agiles qu’elles se couchent
Que j’élance en la roulant sur mon bras ma proie farouche
Et que ma taille soit ceinte par des ceintures animées.

[Mă reazăm de-un copac, ș-acolo aștept tot neamul vostru-nvins,
Să mi se-adune la picioare cu trupuri agere de spadă,
Să-nalț, încolăcind pe brațu-mi, sălbateca mea pradă
Și-n cingători însuflețite să las să-mi fie brâu-ncins.]

(extrait du poème Les Serpents)
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Chant étranger
Ne venez pas quand l’ombre croît
Vers l’horizon qui se perd,
Quand le couchant déçoit
Le ciel violet est vert.

De peur de chasser de timorées
Ombres de naguère
Les reliques de mon passé
Souffrances qui m’obèrent,

Car sur les cieux quand les étoiles étincellent
Sur mon âme qui me fait mal
Les souvenirs arrivent telles des gazelles
Qui s’abreuvent à la source vespérale.
(p.166)
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Alice Orient
Les Perles

Jette-moi, sombre mer attiédie et qui dors,
Tes violettes sur le sable…
Jette-moi les subtils atomes de ton or
Perdu dans tes flots innombrables...

Et parmi les milliers de conques qui se brisent
Et dont l'être frêle se meurt,
Surprends mon cœur, ô mer, avec tes perles grises
Et leur ruisselante splendeur.
[...]

Et quand le flux comme un reptile dans le sable
Rampe un instant et disparaît
Avec la même promptitude insaisissable,
Mon espoir se mue en regret.
[...]

Jusqu'à ce que mon souffle et mon effort se brisent
Je prolongerais mes tourments
Parmi les sables traît[r]es où le pas s'enlise,
Et parmi les rocs déchirants.

Et quand je reviendrais, les mains humides pleines
De conques riches, sombre mer,
Je te rejetterais comme un manteau qui traîne
Sur le sol ses plis bleus et verts…

Mais je convoite en vain ton trésor somptueux,
Car la vague souple déferle
Et l'écume se désagrège peu à peu,
Mais ne m'apporte aucune perle.

Et sur la grève jaune où les mouettes se mouillent
Les ailes, je suis comme au seuil
Inaccessible d'un royaume où s'agenouillent
Ma convoitise et mon orgueil.

De tes colliers perdus, nul ne resplendira
D'une ligne limpide et molle
À ma gorge ! Du moins puisse leur doux éclat
Suggérer en moi des paroles,

Qui saisissent en vers, ô mer, les perles rares
Éparses au fond de tes eaux,
Pour qu' au reflet d'un pur miroir ce chant me pare
De l'illusion d'un joyau.
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Dépourvu de force contre moi le bois tout entier m’est asservi
Lui qui m’enlaçait de son âpre fragrance et de sa terreur
Désormais m’appartient tout son empire de crainte et de peur
Et je me pare de son inimitié empoisonnée que j’ai anéantie.

(p. 164)
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Bercée par le rythme des phrases, éblouie par l’éclat des idées, toujours enivrée par mon propre geste, par ma propre image que je ne me lassais jamais de contempler dans le miroir, je ne m’étais pas aperçue que je commençais à vouloir franchir les bornes permises aux humains et que je voulais furtivement poser un pied dans l’infini.
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– Où allons-nous ? demandai-je. – Ce ne sont ni tes oignons ni tes huiles, me répondit-il. » Je sursautai indigné : « Comment ça ? Où donc avez-vous été me chercher ? » L’autre se mit à rire : « Chez le marquis de Carabas. » Celui qui conduisait se retourna pour partager l’hilarité de son compagnon. Ce dernier reprit : « Quand on se fait châtelain, on n’a plus besoin de ses papiers de faux démocrate. C’est pourquoi on te les a mis de côté. Tu peux fouiller ta poche, mon amour, le rigolo est avec eux dans la mienne ! Ainsi, reprit aussitôt mon inconnu en se croisant les bras, tu t’imagines comme ça qu’on peut aller villégiaturer comme le Chat botté dans le château des ennemis du peuple ? Vous jouez un double jeu, mon cher ami. Votre pigeon n’a pas pris soin d’enlever la devise bien connue brodée sur votre ruban de pochette. Il ne savait pas. Comme il y a déjà longtemps qu’on veut ta peau, on s’en offre l’occase, et on l’aura, toute pleine de suie qu’elle est ! T’es un beau démocrate, oui, tu es démocrate pour tout le monde, mais pour toi, ne t’en fais pas, t’es conservateur. Ce n’est pas avec le pèze des comités que t’achètes tes capes de soie et tes bracelets-montres en or. – Et où me conduisez-vous ? – Tu ne répondras que si on te le demande, et alors il est préférable de dire que tu n’en as pas connaissance.
(p. 142)
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–Vous rêvez debout, mon pauvre ami. Vous ne voyez pas que c'est décolleté dans le dos jusqu'à la ceinture ?
–Et qu'est-ce qu'il a, votre dos ?
–Il a froid.
(p. 46)
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Mais cet autre tango, au contraire, qui est pourtant aussi un enlacement de bras, combien de choses plus lointaines il évoque ! C’est une musique bien plus amoureuse que si elle était, comme l’autre, canaille. Je ne vois plus l’auteur, c’est moi seule qui l’éprouve, mais j’en lis cependant le titre : Pure Class, et j’entends dans son chant aux phrases pénétrantes qu’il y parle d’une tendresse lointaine, hautaine et douloureuse… Aurais-je moi-même ressenti cette tendresse presque idéale, moi qui n’aime personne, qui ne veux aimer personne ?
(p. 117)
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Ceux que nous connaissons, les connaissons-nous mieux que les autres? Que me dira de plus l'identité de Georget? Il y a en chacun de nous, même les plus confiants, un monde secret que le reste de l'humanité ignore. Nous sommes au milieu du monde comme au cœur d'une forêt obscure, mais nous-mêmes portons en nous la nuit. Ne demandons pas aux autres quelle est la raison de leur existence sur terre ni la raison de leurs rapports avec nous. Autant qu'au-delà, tout ici-bas est mystère.
(p. 83)
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Ah ! un musicien rirait bien (et peut-être même un profane) à voir l’ensemble de choses qui concordent avec mon âme ! Ai-je dit : « qui concordent avec mon âme » ? Je ne sais alors quel langage je viens de parler. Je voulais dire : « Autrefois j’avais mis ensemble toute cette musique… »
Voici la Fileuse de Raff, le Rondeau brillant de Weber, la quatrième sonate de Beethoven, la Révolutionnaire de Chopin… et dans d’autres choses choisies récemment et qui ne sont pas en dentelles, des mièvreries modernes où se trouvent mêlées des danses de Lully…
Oh ! il ne faut pas que je m’arrête à des mièvreries modernes si je veux trouver le chemin…
(p. 113)
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Une chute m’a amenée ici, une chute qui m’avait paru sans importance au premier instant. Je revois le sol à ma tempe, je me rappelle l’étonnement que j’éprouvai de ne pouvoir me relever aussitôt, l’absence de toute douleur et le rêve où je sombrai.
Je me souviens peut-être qu’au moment où je tombai quelque chose se débattit à ma droite… Une lutte ailée, brève, un essai de fuite, une lumière aperçue, la chute, les ténèbres.
(p. 12)
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Francisque n’habite pas loin. C’est un céramiste. C’est aussi un pot à tabac. Je frappe à la porte de son atelier.
– Voici, lui dis-je, mon ami Josué qui désire vous vendre quelque chose.
Francisque, méfiant, au seuil de sa porte, tourne un œil rond et bleu.
Josué pose sa boîte par terre. Il l’ouvre et en tire une petite lampe à alcool comprimé qu’il allume. Curieuse, je m’approche, suivant des yeux ses mouvements. Une fois la lampe allumée, Josué sort de la boîte un petit pliant métallique qu’il ouvre et installe au-dessus de la flamme. Enfin il pose à même le feu d’alcool, sous le pliant, une casserole qu’il a emplie d’eau à la pompe.
– Voilà, dit-il. Il n’y a qu’à se mettre sur ce pliant et à attendre que l’eau bouille. Puis, poursuit-il en tirant de la boîte un grand peignoir de tissu éponge et un parapluie, puis, enveloppé dans ce peignoir, vous attendez sous le parapluie que la sudation se produise. Cet appareil s’emporte en voyage, s’installe n’importe où et fait maigrir infailliblement.
(p. 34-35)
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Voici la "Révolutionnaire" de Chopin. C’est l’étude 12, qu’avait écrite Chopin, désespéré par la prise de Varsovie où, de plus, se trouvaient ses parents. Cette musique est d’une telle tristesse… et cependant je ne peux lui faire appeler de la tristesse en moi. Tout est trop difficile, moins pour l’exécution que pour la compréhension. Je la lance contre moi-même pour qu’elle me heurte et tire comme d’une lyre brisée des sons de mon cœur inerte. Je briserais plutôt cette musique.
(p. 114)
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Cette âme que je vais désormais porter dans la foule comme une torche de fête, cette âme appelée du fond de l’univers, par la magie et par l’amour, par ma nostalgie et mon désespoir, est-ce la mienne ? Ou bien une autre plus secourable et aussi radieuse est-elle en moi ? Et la mienne enivrée de lumière a-t-elle à jamais oublié le chemin du retour ?
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Alice Orient
Aujourd’hui j’ai cru voir s’incarner la souple pluie
Bruissant grisâtre et de soie était son habit.
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Dehors le printemps sent bon jusqu’entre les murs des vieilles rues. L’aube se lève.
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Dehors, les étoiles me semblent des points de suspension à mon existence car j’ai trop bu de champagne.
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Je longe allègrement l’enfilade des pièces jusqu’à celle où jadis j’ai enfermé mes fards et tous les masques dans un tiroir de psyché. Me voici devant la glace penchée. Je suis seule. Je mets une tunique verte. Je secoue dans l’air les rubans invisibles des masques que j’ai peut-être retrouvés et que je crois tenir dans la main. Inclinée vers le miroir je fais apparaître sur mon visage les moindres nuances de ma pensée…
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