Alix André

– Excusez-moi. C’est une mauvaise gouache que je vous présente-là, l’excursion sera à refaire un de ces jours. ...

Après une longue ascension, Thierry, le premier, s’avança dans la clairière qui formait comme une loge dominant plusieurs vallées. Mais, appuyé des deux mains à la balustrade de roc naturels, il ne put retenir un mouvement de déconvenue.

Durant le séjour des deux jeunes gens sous bois, la tourmente de neige s’était accrue. L’approche de la nuit jetait ses brumes sur le paysage, habillant funèbrement le moindre pli de terrain. Les flocons, qui tombaient maintenant lourds et serrés, noyaient toutes choses. A peine distinguait-on les courbes des vallonnements, quelques arêtes de montagne. Mais le pain de sucre de Montgaillard, mais les ruines de Roquefixade, mais, surtout, le sombre château de Montségur, dont le duc de Lévis Mirepoix évoqua si magnifiquement l’âme passionnée et indomptable, disparaissaient dans le brouillard.

Thierry se tourna vers Claire.

– Excusez-moi. C’est une mauvaise gouache que je vous présente-là, l’excursion sera à refaire un de ces jours.

L’automne, sur ces hauteurs, était déjà venu. Aux toits de chaume, fortement inclinés afin de donner moins de prise aux neiges, des feuilles mortes s’accrochaient ; d’autres, en tas, bordaient le chemin et, happées par les remous de la voiture, tourbillonnaient, affolées, avant de s’abattre un peu plus loin. Les fougères qui, l’été durant, avaient crû sur les talus, n’étaient plus que des squelettes friables ; Marie-Claire croisa une vieille femme qui, à l’aide d’une serpe, coupait les tristes brindilles et les jetait dans un grand sac, sur son dos.

Il vous aime depuis longtemps, depuis toujours, Geneviève… il vous aimait avant d'être rien pour vous, et a comblé son cœur à la fois de douleur et de joie en vous gagnant...
« Vous en aimiez un autre, et pour ne point vous blesser il a caché son tourment… vous l'avez dédaigné, et il vous a toujours chérie… vous l'avez fait souffrir, et son amour s'en est encore accru !...

Je vous aimais déjà, certes, mais sans espoir ; et cette souffrance là n’était en rien comparable au tourment de vous voir si proche, joint à la certitude que vous ne serez jamais mienne !

Et c'était vrai, elle était devenue le centre de toutes ses pensées, de tous ses désirs, la raison de chaque battement de son cœur, l'objet unique. Devant son adorable visage tout s'effaçait, tout disparaissait et perdait son importance.

Garder le silence serait me rendre complice d'une situation honteuse. Je ne pourrai le faire sans me mépriser.

Les souvenirs et les comparaisons ne sauraient détruire le charme d'un lieu.

Ses paroles, ses silences, son sourire, rien ne se trouve exactement comme avant. On sent en lui une sorte de brisure si profonde que le ressort même de sa vie en parait menacé… Il est malheureux, enfin, et c'est pour cela que je vous demande grâce. Il ne faut pas qu'une âme comme la sienne soit blessée, car elle ne guérirait pas, jamais…

— ... Le charme de ce pays réside tout entier dans sa lumière et dans l'éclat de ses couleurs.
—Dans ses parfums aussi. Jamais ils ne s'exaltent autant que la nuit.

— ... L'Amérique est la patrie des gangsters.
— C'est aussi celle des Washington, des Rockefeller, des Ford...

S'astreindre chaque jour à une longue station auprès de l'infirme, alléger le poids de sa solitude et lui apporter, sans jamais se lasser, ces échos et ces remous d'une vie dont elle était pour toujours rayée, semblait à la jeune fille un bel exemple de dévouement.

Une femme ne peut être indignée des sentiments qu'elle inspire.

Le bonheur, ce n'était pour elle ni un pays enchanteur, ni une vie facile, ni la sympathie, ni la nouveauté, ni le luxe, mais une chose plus grave et plus haute. C'était, ce ne pouvait être que l'amour.

Derrière elle les mélodies naissaient et se déroulaient, émouvantes. L'âme profondément triste de Tchaikovsky disait le regret des amours perdus, l'amertume des tendresses méconnues et des séparations ; puis Beethoven, de sa magnifique angoisse, empoigna les cœurs.

Nous sommes un peuple menacé. De même, nous habitons un pays menacé, la disparition de l'un devant fatalement entraîner la disparition de l'autre. Cela sera-t-il long ; ou, tout au contraire, rapide ? Avons-nous raison de nous accrocher à cette terre de toute la force des sabots de nos juments sauvages et de nos taureaux ? Avons-nous raison d'élever nos enfants dans l'amour de leurs bêtes et de la plaine salée qui les nourrit ? Peut-être faussons-nous ainsi tout leur avenir... Car ils ne pourront plus s'adapter ailleurs. Peut-être devrions-nous les empêcher de s'attacher aux étangs, aux marais, aux oiseaux, à l'éclatante lumière des étés qui fait naître les mirages, aux sauvages ciels d'automne, aux galopades du vent d'hiver et à ses hurlements. Peut-être faudrait-il renoncer maintenant, tout de suite...

Pour des gens qui, s'ils piétinent nos pelouses, saccagent nos plates-bandes, cueillent nos fleurs, et laissent, derrière eux, un grand désordre, ne nous ont par ailleurs, croyez-moi, aucune reconnaissance.

Elle vient d'avoir trente et un ans et les paraît bien, sans doute à cause d'un certain air de dignité tranquille, qui appartient rarement à la jeunesse.

Le bonheur n'arrive jamais trop tôt.

Les vieilles gens s'emportent vite, mais sans que cela tire à conséquence.

Le pays est désert, difficile. On s'y retrouve mal, lorsqu'on ne le connaît pas.