Un jour mon prince viendra

Nous sommes un peuple menacé. De même, nous habitons un pays menacé, la disparition de l'un devant fatalement entraîner la disparition de l'autre. Cela sera-t-il long ; ou, tout au contraire, rapide ? Avons-nous raison de nous accrocher à cette terre de toute la force des sabots de nos juments sauvages et de nos taureaux ? Avons-nous raison d'élever nos enfants dans l'amour de leurs bêtes et de la plaine salée qui les nourrit ? Peut-être faussons-nous ainsi tout leur avenir... Car ils ne pourront plus s'adapter ailleurs. Peut-être devrions-nous les empêcher de s'attacher aux étangs, aux marais, aux oiseaux, à l'éclatante lumière des étés qui fait naître les mirages, aux sauvages ciels d'automne, aux galopades du vent d'hiver et à ses hurlements. Peut-être faudrait-il renoncer maintenant, tout de suite...

Les mots qui couraient et se chevauchaient sur la page étaient au nombre de cinq. Mais chacun se répétait plusieurs fois, comme si l'on s'était exercé à le tracer jusqu'à ce que la manière dont il était écrit donnât satisfaction. Nul lien, du reste, entre eux. Cependant, leur réunion évoquait tout à la fois une interdiction et une résolution. En tout cas, la fermeté d'une autorité qui s'exerçait. C'est ainsi qu'on lisait : irrévocablement... jamais... décision... fléchir... et, enfin, demeurer.

Et surtout je crains que vous ne connaissiez mal les femmes. Une sorte d'orgueil de nous servir se mêle, la plupart du temps, à leur amour. Flora n'est pas différente des autres. Elle met des conditions à votre bonheur, elle retarde, elle impose, elle exige, pour se donner à elle-même des preuves nouvelles de votre attachement.

—Et cependant vous aimez votre pays, votre mas ?
—Passionnément, oui. Mais, comment vous expliquer... Je l'aime moins avec mon corps qu'avec mon esprit. Je préférerais le chanter que le parcourir, parler de ses douceurs et de ses violences plutôt que de subir les unes et les autres.

Le pays est désert, difficile. On s'y retrouve mal, lorsqu'on ne le connaît pas.