Citations de Amélie Grégoire (107)
Tu n'as rien compris ! fit-il, fronçant les sourcils tout en m'observant. Tu n'es en aucun cas égoïste et capricieuse ! Tu sais, Joséphine, tu donnes du bonheur aux gens par ta musique. Tu dois partager ton art. Pour moi, tu es née du mauvais côté de Big Easy. Tu es blanche, mais tu es comme nous au fond de toi. Tu n'as pas à penser qu'aux autres. Tu dois vivre pour toi. Nous n'avons qu'une vie. Cette vie, c'est le jazz. Comme pour moi. Tu dois briser définitivement tes chaînes et t'envoler vers ce bonheur que tu as tant convoité...
Depuis que je suis toute petite, mes parents ne sont pas contents de moi et ne le seront jamais, car je ne suis pas la petite princesse polie et disciplinée qu’est Pénélope ! Je ne suis que le mouton noir de la famille, qui fait honte à chaque sortie ! Je ne peux plus supporter ce rôle qui me dénigre, et où je ne suis pas à ma place !
— Tu préférerais sans doute faire du ménage à longueur de journée ?! Subir les caprices des Blancs pour un minuscule pécule ? Devoir calculer ton argent pour savoir si tu peux aller acheter à manger ? Vivre dans un quartier qui n’est pas sécurisant ? riposta Leslie.
— Si cela me permet d’être moi-même et plus heureuse, alors oui ! Tu ne peux pas comprendre ! répondis-je, sûre de moi.
Pendant toutes ces années, je n'avais été que spectatrice de ma vie et à présent, je pouvais en être la principale actrice.
Ma mère aimait quand ses roses étaient parfaitement écloses. À l’expression de son visage, je vis qu’il était stupéfait, étonné et effrayé. J’allais répondre, quand j’entendis des pas précipités dans mon dos. Une silhouette féminine était arrivée et avait posé le journal devant moi, sur les touches du piano. En levant les yeux, je vis que Leslie était dans une rage sans précédent. Sur le journal, il y avait une photographie en noir et blanc. On y voyait Marvin qui jouait du saxophone et moi, au fond, qui jouait du pian
Ma mère aimait quand ses roses étaient parfaitement écloses. À l’expression de son visage, je vis qu’il était stupéfait, étonné et effrayé. J’allais répondre, quand j’entendis des pas précipités dans mon dos. Une silhouette féminine était arrivée et avait posé le journal devant moi, sur les touches du piano. En levant les yeux, je vis que Leslie était dans une rage sans précédent. Sur le journal, il y avait une photographie en noir et blanc. On y voyait Marvin qui jouait du saxophone et moi, au fond, qui jouait du piano.
Je pensais que vous étiez sans talent, vu votre méchanceté, mais j’avais tort. Vous peignez divinement. Quant à moi, vous deviez avoir raison. Deux fois que je joue du saxophone, deux fois que le propriétaire manque de me tuer.
J’aime le jazz ! C’est vivant ! Cette musique fait ressortir plein d’émotions ! Je me sens vivre ! Je veux jouer du jazz, et vous me cherchiez ! Je veux vivre cela tous les jours du reste de ma vie ! déclarai-je avec une passion sans vergogne.
Je cherchais toujours des réponses à mes interrogations, et je pataugeais. Du moins, c’était mon impression car, depuis que j’avais croisé le vieux Henry, quelque chose se passait dans ma tête. La réaction quand j’avais joué du saxophone dans le Hat Jazz Club… Cette partition confisquée… J’avais dû mettre le doigt sur quelque chose d’important.
Il était beau. Tout simplement beau. Le voyant monter l’escalier pour aller sur l’estrade, je ne pus m’empêcher de sentir monter en moi une vague d’excitation. Je n’étais plus qu’à quelques secondes d’entendre un merveilleux son se produire. La femme du propriétaire était venue nous poser deux verres sur la table, remplis d’une limonade bien fraîche, mais j’étais plutôt concentrée sur la scène. Beaucoup de personnes commencèrent à demander à tout le monde de se taire et, bientôt, les murmures restants se turent.
Je ne pouvais contenir mon excitation. J’étais comme une petite fille qui attendait éperdument le Père Noël. Mes souliers claquèrent contre le parquet et mes jambes frétillèrent. Je voyais bien du coin de l’œil que Leslie aurait préféré que je sois un tantinet plus calme, mais je ne pouvais contenir mon excitation : j’allais enfin écouter quelque chose de nouveau. Cela me semblait magique, comme dans un rêve. Je fermai un instant les yeux, et j’imaginai cette musique à mes oreilles, qui n’auraient rien à voiravec ce que je connaissais déjà. Je me voyais déjà danser sur cet air merveilleux.
J’étais assez fière de mon petit effet. Prends ça, le peintre ! Je ne jouais pas si mal, pour que tout le monde me contemple avec des yeux grands ouverts et bouche bée. Je continuais, enivrée par le son, en jouant la musique jusqu’au bout. Cela dura presque quatre minutes et, quand j’arrêtai enfin, j’expirai longuement pour reprendre mon souffle.
incontrôlables. Il ne fallait pas lui faire plus de peine que ce qu’il ressentait déjà. J’avais mon saxophone en main et je vis l’œil du propriétaire qui s’était assombri. Il s’était approché de moi rapidement, pour se placer devant moi.
Ce calme était apaisant, et à la fois inquiétant. Je n’aimais pas les endroits silencieux, dépourvus de vie. C’était sans doute pour cela que je ne supportais jamais les réceptions auxquelles les personnes riches étaient conviées. Il fallait être respectueux des autres et, en général, nous n’entendions que les couverts grincer dans les assiettes, quand ce n’était pas des compliments hypocrites.
La musique résonnait dans ma tête, et je ne comprenais pas qu’un tel air, aussi magnifique, puisse être resté autant de temps au fond d’un tiroir. Je cherchai sur la feuille la date de la création et ce fut en bas de la page que je discernai difficilement, une nouvelle fois au crayon à papier, des initiales et une date : M. C., juin 1930. Cette chanson avait vingt-deux ans. Elle avait mon âge. Je regardai le titre, et cela me brisa le cœur.
J’avais la sensation de me retrouver dans la cour de notre école, quand il disait à tout le monde que j’étais un monstre à cause de ma couleur de peau. J’ai beau le détester, le voir ainsi m’a fait de la peine. Il a vraiment dû souffrir dans sa vie pour en arriver là.
À chaque fois qu’elle en parlait, ses yeux brillaient et un grand sourire s’affichait sur son visage. Je savais que je jouais la carte sentimentale. Je touchais une corde sensible et cela n’était pas loyal, mais j’étais prête à tout pour découvrir cet univers que je ne connaissais pas. Peut-être qu’en découvrant un nouveau genre musical, je pourrais davantage améliorer mon propre jeu et m’ouvrir au monde.
Je comptais passer la journée à perfectionner le morceau que j’avais choisi pour le récital du conservatoire : la Nocturne op. 9 n° 2 de Frédéric Chopin, sauf que, depuis que j’avais entendu les Bradford pester contre ce mouvement musical qu’était le jazz, je n’avais qu’une idée en tête : c’était d’en entendre jouer. Je me doutais que Leslie en écoutait, car elle aimait beaucoup la musique et c’était la leur. Je m’étais tournée vers elle, posant mon bras sur la chaise et appuyant ma tête dessus sur le côté, avec un regard suppliant. Je savais qu’elle dirait non.
Elle me murmurait en même temps que c’était du gâchis de couper une aussi jolie chevelure lisse, mais je m’en moquais. Je ne supportais plus ma tignasse et, à présent, je voulais que ma coiffure reflète la nouvelle personne que je comptais devenir : une femme forte et indépendante. Une femme qui savait ce qu’elle voulait dans la vie. Elle commença à couper et, même si pendant une fraction de seconde j’eus peur de regretter mon choix en voyant les mèches de cheveux bruns tomber sur le sol, j’inspirai un bon coup et je me mis à sourire en voyant le nouveau reflet qui se dégageait du miroir. Cela m’allait mieux, et je trouvais que cette coiffure affirmait davantage mon caractère.
Au bout d’un petit quart d’heure, Leslie posa les ciseaux sur la coiffeuse en bois et ne put s’empêcher de sourire en me regardant.
— Il faut être sincère : cela te va bien…
— Tu aurais pu être coiffeuse au lieu d’être à mon service.
— Je coiffe les filles de mon quartier et cela est bien suffisant. Une Noire n’a pas sa place dans un salon de coiffure pour Blancs.
J’avais toujours été éduquée pour être la petite fille parfaite et coordonner sans cesse mes mouvements comme une vulgaire marionnette. J’avais tiré un peu plus mes rideaux pour observer la scène. Pénélope était montée la première dans la voiture en tenant sa poupée préférée dans ses bras et ma mère avait suivi le mouvement. Mon père avait tenu à donner ses dernières indications au jardinier avant d’entrer dans l’habitacle. Je regardai la voiture partir et je ne la quittai pas des yeux. Même une fois qu’elle ne fut plus à portée de vue, j’attendis de voir si elle allait revenir et faire marche arrière. J’avais tant de peine à croire qu’ils partaient pour plusieurs semaines que je m’attendais à les revoir sur le perron de la maison dans une dizaine de minutes. Pourtant, les minutes s’écoulèrent et la voiture beige ne revint pas dans le sens inverse. Alors, l’euphorie m’emporta.
Le lit me donnait déjà envie de me glisser sous les draps et de dormir d’un profond sommeil. Il y avait un bureau, sur lequel se trouvaient du papier ainsi que des crayons. J’allais pouvoir écrire ma première lettre à Grace ! Les commodités étaient sur le palier des chambres, mais je ne m’en offusquai pas, cela me convenait amplement.