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Citations de Angèle Paoli (32)


mes enfances sont éternelles
je les traverse

marelle à ciel ouvert

même invisible
je funambule
sur la ligne

l'eau vive du torrent
me scelle
dans mes silences

avec elle je caracole
de l'éphémère
à l'éternel

sa voix désaltère
mon attente

il suffit d'une libellule
bleue
pour qu'advienne
le chant de l'eau
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Angèle Paoli
Au bord des pliures du temps
tes mots
en marge
dans le gisement des formes
aux confins de terres oubliées
sur le gouffre de tes attentes
tes silences

En apesanteur.
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Angèle Paoli
Au bord des pliures du temps
tes mots
en marge
dans le gisement des formes
aux confins de terres oubliées
sur le gouffre de tes attentes
tes silences

En apesanteur.
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Instant Noailles
instant fugace
elle lui parle

elle lui dit
le bruissement du vent dans les branches
caresses silences souffles
suspendus
au-dessus du gouffre

les dernières fleurs
le frémissement des feuilles
l’ombre
qui la sauve de la chaleur
obsédante chaleur
d’un été qui s’obstine

les sentiers qui fraient un passage
entre les massifs d’hibiscus
les bancs disséminés
à l’abri des grands pins

et là-bas
les Îles d’or
qui grésillent au soleil

elle lui dit le jardin
sa beauté sauvage
elle lui dit les cigales
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Traversées de pensées

le torrent roule ses eaux lourdes
les fusils claquent dans le soleil

j’invente sous la treille
la fraîcheur de l'aube
le conte blême de la lune


la tour là-bas
la tour de la mère tutélaire
me tient serrée dans ses entrailles


- depuis quand et toujours -

[un chien jappe qui jamais ne cesse
emplit le vallon de sa gouaille
les châtaignes boguent dans la mousse]

l'hiver est en suspens à la lisière


l'avant-naître et l'après

même solitude même silence lent
je cherche l'instant pérenne
qui me détache du passé du futur
équilibre d'absence sur le fil


dans la tiédeur du jour
le vrillement incessant des insectes
je guette les signes avant-coureurs


de l'autre saison


[les coupes sourdes dans le maquis
les rondins abandonnés
à la clairière neuve
l’odeur de bûche fraîche
le grelot qui rythme les heures
les trouées de trilles dans les chênes
les froissements d'ailes
qui brouillonnent les feuilles]

la terre remuée s'évade
odeurs d’urine et de moisi


la mer plus proche
mer montgolfière
dure et sereine
monte à l'assaut du ciel


Immobilité du matin.


Le plumbago est en fleur [Bleu du Cap]
malgré cette douceur
une brume blanche enveloppe


- ouate village
ouate clocher
ouate collines -


englouti enseveli
plus rien n'existe
ni présent ni passé
demain avalé
oubliée
la dentelaire douce

un petit vent frissonne frais
secoue l'eucalyptus
la mer mugit en contrebas

- happée -

surgit par trouées grises
griffonnées de crêtes blanches


[chaussures de montagne
bonnet de laine brune sur les oreilles
coupe-vent rouge
gants vert amande blonde]


tout en marchant (je) dévie
ma route (je) dérive
jusqu'aux confins de la Nouvelle Zemble

- nouvelle jusqu'à ce jour
(j') en ignorais l'existence et le nom -


quelle carte pour dire
de quel Nord il s'agit
du petit qui n’existe pas ou du Grand ?


tout en marchant (je) rêve
aux brouillards de Barents
à cette île noyée - passage du Nord-Est -
qui depuis des jours vacille
toujours son nom échappe
entre un [k] … et un [v]
le tréma et l'arrondi d'un [o]
placés dans le désordre

qui pourrait le croire
un brouillard fibreux d'étoupe dense
engloutit montagne et crêtes
le village et ses piani
ses murets ses chapelles
le lampadaire bourgeois
au-dessus de la route

les chèvres surgissent au détour
une par une sonnailles au cou
le mugissement des vagues tout proche
le gros du troupeau se resserre [flanc à flanc]
les échancrures de chair brune retroussées
fièrement dans la broussaille de la laine

(je) sens le chuintement des roches
une goutte puis une autre
les oasis minuscules dans les replis
Utah miniatures forgés
à même les schistes verts
superpositions de strates
feuilletés de pâte fine

ça gargouille ça pleut
ça frissonne ça sommeille
ça s'écaille ça se délite


menues trouées de nacre
qui s'effrite sous le graphite


les nuages se lèvent
la mer se libère de son poids de brume
les gris du ciel se diluent acier de l'horizon
le maquis s'enracine
la nature s'ébruite

dans le recueilli de son silence


-et toi en ton centre
tu dis que cela est bien

crottes
serrées menu le long du talus
(ma) vie entière
dans ces déjections d'olives noires
petites niçoises fripées


dans le redoux du jour.
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Ivresses ivresse des montagnes prises dans les cimes du ciel ivresse des nuages
colporteurs
de lumière majestueuse beauté du vent le temps glisse crête du silence dense
d’éternité
ivresse moirée de l’épervier qui plane solitudes tremblées jusqu’à épuisement
de l’horizon
le grand vaisseau de la montagne fuit
Stèles dressées tout au long du sentier avant-coureur de rêve
murets de pierre ancrés à flanc de ravines ivresse d’Ariane le toit de lauzes
court
bel équarrissement de dalles dans les cistes équilibre aérien de lignes et de
formes
Franchiras-tu l’enceinte sacrée fouleras-tu silhouette fragile l’aire de terre
battue ? Une première porte une autre béant noir au-delà de l’enclos oseras-tu
t’avancer ? Tu restes droite sur le seuil tu tournes autour de l’antique demeure
tu t’élances éprise d’insolite inquiétude en un vol insensé transport infini de
ton être cerf-volant effacé dans la mort douce.


Je suis arbre. Arbre-sensation. Mon corps s’enracine. Mes pieds cherchent
appui dans la terre humide et s’enfoncent par-delà les premières couches
encore visibles au-dessus du sol. Mes doigts se mêlent aux doigts du chêne,
filaments et souches, tressages de végétaux, lianes et branchages invisibles à
l’oeil égaré dans le vide. Je m’enroule à la sombre intimité végétale. Je m’infiltre.
Chemin faisant, je creuse canaux et rigoles nécessaires à ma vie souterraine.
Je bois à grands traits l’eau qui gonfle le tronc dont je sens toute la puissance
au-dessus de moi. Des ruissellements ténus irriguent les membranes ligneuses
et les porosités, alimentent la sève. Je me coule dans l’arbre, me fonds à son
corps de silence et de vent. Je m’enivre à son parfum de girolle et de cèpe.
Je savoure la mousse de son suc. Je suis la source nourricière qui humecte
ses lèvres-feuilles. Et je m’élance. Je monte, silencieuse et sûre, le long de
ses veines herbues. Je me dédouble et danse dans l’air du soir. Une lumière
dorée filtre entre la ramure. Je suis oiseau et nid. Je me love entre les branches
les plus douces dans des courbes tracées par le temps. Je suis nid et oiseau.
J’écoute le chant de ceux qui gîtent dans la même ramée. Je me fais silence
pour entendre essaimer le vent.
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III

Longtemps tu t'es cru immortel
au-dessus de tout soupçon
indifférent au temps qui passe
à la maladie qui arrache des pleurs
à l'âge qui affuble
de rides et d'oripeaux de chair

Longtemps tu as pensé que tout cela
n'était que baliverne ne te concernait
que de loin Et pourtant de loin en loin
voilà que le temps se rapproche et que te cernent
les vagues noires d'un Styx
dont tu dédaignais l'existence
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En partage
à travers les feuillages
glisse la tiédeur bienfaisante

entre les doigts

passe la vie qui nous sépare
et son bruit doux
de pas retenus
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Angèle Paoli
Quelle trace la tienne
dans cet espace
où tu ne fais que passer
sinon tes larmes silencieuses salées
asséchées aussitôt que jaillies
sur tes propres déserts.
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Angèle Paoli
Laisses de mer

À toi

Il faudra alors se satisfaire de l’extrême lenteur des jours
du parfum affadi des journées sans lumière
des coquillages vides sur les laisses de mer
du craquèlement des pas dans les pas de l’absent
du ricanement persistant des mouettes rieuses
des plumes abandonnées dans les recreux de dunes
des filins emmêlés dans les lagons d'oyats


Il faudra alors oublier la lueur du regard
et laisser au sourire le temps de s’estomper
de n’être plus qu’une ombre au coin de ta paupière
à peine un battement imperceptible des cils
la soie d’un cheveu pâle glissé entre deux pages
juste un mot évadé de tes courriers froissés
juste un nom éclipsé dans l’océan du ciel
une larme égarée dans l’infini silence
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Angèle Paoli
Sassifraga
     
fragile sassifraga
frêle fleur corolle
dans la roche du temps
vigie des saisons

rongent nos cœurs
présomptueux

dans les anfractuosités
ma voix te cherche où tu élis
domicile petite couronne
moussue
se fraie passage
entre la hampe des nombrils-de-Vénus
le cyclamen sauvage
ailes de velours
     
fleur des rocailles
modeste sans ambition
autre que de frayer
passage entre les mailles
du schiste dur
tu perces de tes pétales clairs
le jour s’échevelle
dans la moiteur solaire
     
à la rencontre
de mon regard
tu viens
tu me parles des étoiles
petite perce-pierre
qui élance sa tige humble
hors les murs sablonneux
     
dans la tendresse
je te coule toi qui connais
la dureté aride
des creux de roches
     
confie-moi ton secret
     
ton nom chante à mon oreille
le saxo de la mer me berce
il pleut à pierre fendre
le tremblé de la corolle étoile
frémit sous le gong
de l’orage
     
je cherche refuge
dans les cavités de ma mémoire
je me pelotonne dans mes fibres
je me fais à ton exemple
petite fée saxatile
que rien ni personne ne brise
sous les coups de butoir
des vents hostiles
     
je pense à toi
humble vigie des rocailles
je me fonds dans la modestie
de ton courage
     
il m’est un guide sûr.
     
     
Anthologie « Saxifrage », proposée par Sabine Huynh, dédiée à la mémoire de Clara Pop-Dudouit, Revue Terre à Ciel, 2015.
https://www.terreaciel.net/Saxifrage
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quelque part en dessous plus bas
le bleu fauve de la mer
et son froissement étale
le soleil joue
entre les branches de l'amandier
et du figuier doux
balancé dans l'air calme
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VI

Pas un bruit hormis le vent les arbres respirent
tu marches les yeux fermés pour mieux sentir
une vache indolente passe un homme la suit
qui ne te voit pas tu t'assieds dans un creux
de roche soleil ton carnet ouvert sur les genoux
le crayon glisse écriture sur le vif
les mots viennent sans ordre précis
tu leur laisses le champ libre en ce temps
suspendu entre un passé qui prend le large
et un futur indiscernable à quoi bon
leur tenir la bride ? ce sont pensées
qui te traversent elles t'aident à te tenir droite
à te rendre à la bienveillance.
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X

En famille on resserre les rangs
on s'appelle on se parle on dialogue

oubliés les rancoeurs les animosités
les conflits

face à l'ennemi
devant son caractère aveugle

le cercle se ressoude
retrouve un peu d'équanimité

égalité de ton et d'angoisse
de sentiments partagés

de tendresse
retrouvée.
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SIXIÈME EXTRAIT

(Notte di Poghju)

C’est très doux comme
main ça mais c’est froid un peu
même à travers la peau du jean
c’est doux comme
cheveux ces boucles et blondes
même si ― comme ne le dit pas le poème ―
Walter va au jardin & bande*

.

― le chien se couche sur le dos
cuisses ouvertes langue haletante ―
qu’a-t-il à dire à faire comprendre
est-ce appel sans détour ?

.

la lumière lance
ses oiseaux-tulipes
reflets de lampes
dans les vitrées
fenêtres ouvertes
sur le ciel
ouvertes ― non ― fermées

les grands panneaux aveugles
absorbent la moire

nuit entière dans le verre

.

le parfum d’herbes
glisse jusqu’aux narines
liseuses blotties dans les laines
et les coussins moelleux
fenouil séché couché
en larges branches
et par brassées
dans le vaste vaisseau
d’osier corbeille du maquis
ombelles et graines

cueillies de main experte
par la signadora

.

le sanglier mijote
odeurs d’agrumes douces
les lumières de l’église
ont disparu
rien de Ginevra Bel Messer
n’arrive jusqu’ici
ni son sourire ni sa plainte

― le chien gratte derrière la porte
derrière la vitre le chat sommeille ―

.

blême de silence d’absence
ouvert sur le plafond d’étoiles
le défunt dort
cercueil d’ébène

gardé par le Christ noir

Christ noir sauvé des eaux
veille dans son miracle
les vivants et les morts

la grotte est loin
qui accueillait sous sa voûte
déferlement de vagues
et vaisseaux naufragés

par quel édit muselée
sous la citadelle

.

les grandes baies de verre
absorbent le village
la nuit boit

― engloutie
l’encre des montagnes ―

plus rien n’existe

ni la rousseur des vignes
ni les chevelures boisées
ni l’effilochement des brumes

la plongée dans l’échancrure
des vallons se réfugie
dans la mémoire

la chaleur du dedans
retient les voix dans sa lumière

.

un point se déplace
dans le vide
zèbre le verre noir
qui avale la nuit

― le filanciu** suspend
son élan silencieux ―

le cavalier de l’orage
rôde plein vent

sous les nuages.
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CINQUIÈME EXTRAIT

(le taureau blanc)





Dans l’encadrement de la porte

le taureau blanc veille
fixe sur toi le bleu de ses yeux


derrière lui devant au-delà
le labyrinthe mille coudes sans lumière
déplie ses couloirs tu te retires

sur la pointe des pas

à reculons du corps


.





tu empruntes un corridor un autre

angles droits privés d’échos Noir

humides les murs longues travées obscures

les gravillons crissent

sous ton poids il avance

tu rebrousses chemin sans broussailles


―lequel est le vrai qui guide vers la vie

lequel celui qui conduit à la mort ―



.





odeurs stagnantes des marais
eaux sans tain
visage absent
miroir sans ivresse


la ténèbre de son regard
ne t’effleure

ni ne blesse
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QUATRIÈME EXTRAIT

« Comment tout cela avait-il commencé » ?



Et elle Min(o)a, qui est-elle ? D’où vient-elle ? Elle se revoit petite fille rendant visite à un vieil oncle. Il lui semble se souvenir qu’elle n’est pas seule. Que sa sœur l’accompagne. Elles se serrent l’une contre l’autre, silencieuses. La pièce est vaste mais sombre. Elle revoit les tentures et les colonnades. Elle en sent le poids sur ses épaules. Cet endroit manque d’air. Elle est oppressée. Elle retient son souffle. Celui du vieil oncle emplit la pièce, pareil à un soufflet de forge. Le monsieur, en dépit de ce détail déplaisant, a tout d’un élégant taureau blanc. Il trône au centre, le corps dissimulé dans ses tuniques et ses toges. Elle, Min(o)a, malgré la crainte qui l’hypnotise, elle est subjuguée par ses cornes, lisses, effilées, d’un blanc d’os nettoyé par le sel. Elle en oublie presque la respiration bruyante qui sort des naseaux et enfle les tentures. Elle en oublie presque la présence, de l’autre côté de la table, d’une créature tout aussi noble et effrayante. On dirait une femme, mais elle n’en est pas sûre. Son visage diaphane, caché sous des voiles, combine à la fois, dans une superposition habile des traits, le visage d’une femme et celui d’un taureau. Comment savoir qui elle est au juste ?

Min(o)a évite de croiser son regard avec celui qui la fixe, rendu doublement puissant puisqu’il lui semble qu’il darde sur elle quatre yeux. Deux yeux ronds et luisants, pareils à ceux de ses ancêtres taurines. Deux yeux de jade, effilés, en amande. Elle n’en a jamais vu de semblables. C’est la reine, se dit Min(o)a. Elle est belle. Même cachée derrière ses tulles, elle est belle ! Ses collerettes lui font une couronne souple.



Elle devait jouer avec son époux quand les deux petites ont fait leur entrée. Des bulles d’eau et des perles jonchent le sol ainsi que la nappe. Dans un coin de la pièce, un chien s’acharne sur sa femelle. Min(o)a ne comprend pas bien à quoi les deux bêtes sont occupées.

Dans son dos, elle perçoit soudain un bruit précipité de pas. Des pas qui rythment une danse. C’est la danse endiablée du labyrinthe, pense Min(o)a. Celle qu’Ariane et ses amies dansaient infatigablement, avant que celui-ci ne soit fermé et couvert.



Min(o)a se secoue de son rêve. Elle reprend son feuillet.
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TROISIÈME EXTRAIT

Les Myrmidons





« Les yeux levés vers la carte du ciel, le géographe fou invente à la nuit boréale des frontières exaltées. Girouettes et planisphères, astrolabes établis sur la mappemonde de ses extravagances, le sextant grand écart est ouvert, face à Orion. Le maître es méridiens harangue la foule des Myrmidons, confrontée aux noires incertitudes du temps. Lui, la poussière du retour, il la distille à l’acétylène, bleu de Mycènes encore teinté de l’or d’Agamemnon. Et moi, esclave enroulée au pied d’un sycomore, je l’écoute, bercée de tendres lallations. Lui, proclame à tous ceux qui veulent l’entendre, l’attente éperdue du retour chaotique, la plainte enamourée des cadences mineures, la plongée improbable dans l’univers des notes silencieuses.



Il y avait là, réunis au pied de la tour aux ancrages secrets, des marins invaincus aux paletots d’ébène, des nègres saltimbanques aux muscles d’acajou, des femmes enivrées de salive et de sperme, des ondines baignées d’hydromels vénéneux. Il y avait plus loin, des marchands de mensonges enchaînés les pieds nus et des magiciens doux aux barbes de bulgares. Un archet arrimé à ses cordes violines faisait jaillir du temps un ensemencement de sons indésirés, caresses arrachées à la gorge des nuits. Les diseurs de distances arpentaient les coursives tout en échafaudant des transes et en buvant. De fausses nymphes enfin, aguicheuses averties, aiguisaient leurs fossettes aux portes des bordels.



Soudain un souffle ocre transperce l’horizon. Des crinières ventées enflent les mers ombreuses, soulèvent en tourbillons les regards séditieux. Des idées de caresses déploient leurs lignes courbes, embrasant les flancs bleus des monts ensorcelés. On vit alors, à l’Orient de Tout, des oriflammes folles dériver en cadence, des tombes renversées par des foudres ottomanes, des femmes abandonnées aux dérives mortelles. Les sabres virevoltent en arabesques blêmes, arrachant aux princesses-célestes, aux faunes des ruisseaux, aux belles détroussées, hurlements syncopés mêlés de cris d’amour. Et toi, crispée dans ta détresse, tu virevoltes nue dans les airs en saccage. Infestés de chair rance et coquillages morts.
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Feuillets de la Minotaure (extraits)

DEUXIÈME EXTRAIT



Démone et Belladone



« Les enfants se regroupent par bandes enjouées. Ils courent les uns derrière les autres, se dérobant à ma vue. C’est un jeu de cache-cache qui se trame à travers les ruelles, dans les culs-de-sac et les arrière-cours. Longiligne et frigide, une belle femme s’offre au regard de l’homme qui vient à sa rencontre. Il avance masqué de cuir. Elle est nue sous la robe qui s’entrouvre sur ses cuisses. Il l’entraîne dans son sillage tandis qu’au loin, derrière les collines, au-delà du village, une cavalcade violente soulève des nuées.



Annonciatrice d’un désastre proche, une flambée d’oiseaux effrayés gicle dans le ciel. Autour de moi, les enfants organisent leur défense. Ils se rassemblent pour déjouer par leurs stratégies les attaques violentes en germination invisible. Portes et volets claquent et se ferment. Les maisons se vident. Le temps est aux barricades. Les enfants infiltrent les ruelles. Ils grimpent dans les couloirs de cheminées et rampent dans la suie. Ils s’engouffrent dans les abreuvoirs. Plongent dans les noires eaux protectrices qui les dérobent à l’inquisition des regards. Soudés les uns aux autres comme chenilles en procession, ils s’aplatissent au fond des canaux, s’agrippent aux murs des réservoirs. Ils guettent. De temps à autre, une tête hirsute et trempée du suint des barriques émerge au-dessus des eaux. La horde des soldats ennemis franchit le seuil des collines. Le sifflement ininterrompu des cravaches déchire l’air. Les fouets cinglent, décapitant les têtes. Les corps de ceux qui tentent la fuite s’enchevêtrent dans les courroies de cuir qui les encerclent. Les cavaliers foncent à bride abattue sur l’émeute.



Soudain un grand silence fait place au vacarme. Le désarroi s’apaise avec la tombée de la nuit. Ici et là, des torches vacillent, projetant leurs ombres inquiétantes jusque sur les ramifications des arbres. Les enfants recouvrent leurs forces, resserrent leurs rangs. Ils serpentent soudés en longue chaîne au fond des réservoirs sordides. Ils émergent l’un après l’autre de leurs bauges. Moi-même, je hasarde une sortie sur l’extérieur. Le temps éclair de croiser le regard de flamme de l’homme au visage de cuir.



Les enfants se dispersent en cavale à travers la campagne. Je m’engouffre à leur suite dans le sillon d’une haie d’arbres. Puis je tente une percée dans l’étroit chenal qui conduit aux soupentes des greniers. De ce labyrinthe nuit, je connais tous les méandres. Je me faufile à plat ventre le long des parois abruptes. Je m’attelle aux prises inscrites dans la pierre dont mes doigts aguerris décèlent toutes les aspérités nécessaires à l’emprise. Je me hisse à coups de reins le long de cette verticalité dont je sens qu’elle est aussi celle que les autres derrière moi tentent d’apprivoiser.



Les corps ondulent à l’identique de moi-même. Je conduis lentement l’avancée progressive vers les ramifications du soleil. Ma main aveugle identifie l’abattant que je pousse d’un coup sec au-dessus de ma tête. Je sens la rondeur du chaînon sous mes doigts. J’enclenche la boucle au rivet qui sous-tend la tige de fer.



Me voilà à l’air libre. De là, je domine l’encerclement des collines. Au-delà des sillons en labour des nuages, montent, denses, les tourbillons de poussière soulevés par les sabots des chevaux en bataille. Les troupes campent sur leurs positions. Les enfants à l’affût aiguisent leurs conciliabules. Ils peaufinent en silence leur stratégie terrible. Ils complotent de s’assimiler au corps étranger qui va surgir intraitable d’un horizon inaccessible. La Belle lance la ruée suivante.



Étrangère à toute forme définitive, elle est la liane qui offre à l’homme au masque de cuir les attaques violentes dont il se veut l’objet. Mystère de la duplicité, la Belle échappe à toute saisie.
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Je couds mes fils
avec mes mots
pour retenir l’instant-lumière
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