Citations de Anne-Frédérique Rochat (87)
C'est normal de s'ennuyer, ça fait partie de la vie, et c'est le meilleur moyen d'apprendre à rêver.
Trop d'attachement conduisait à l'étouffement, il le savait, mais n'était pas certain d'avoir les armes qu'il fallait pour s'affranchir de sa chère génitrice.
Cette nuit-là, dans son lit, il réalisa la chance qu'il avait d'être seul avec Maria (pas de mari, pas de frère), il n'avait à partager sa tendresse et son temps avec personne : elle lui était entièrement dévouée, et ça lui convenait parfaitement. Il aurait eu beaucoup de mal à supporter qu'il en soit autrement. Même s'il devait bien avouer que parfois, cet amour pouvait être un peu lourd à porter.
Il évoquait l’idée d’une séparation pour la première fois. Malgré de nombreuses disputes et incompréhensions tout au long de leur vie de couple, jamais ils n’avaient prononcé ces mots-là. Alors c’est possible, finalement. Ce n’était pas si compliqué. Prendre ses cliques et ses claques, repartir à zéro. Trouver un autre appartement, déménager. Manger toute seule devant la télé. Essayer de rencontrer un nouvel amoureux, au moins un amant. Mais comment ? Elle n’était pas très douée en communication, ni en séduction. Et puis tout recommencer… Raconter sa vie, son enfance (ou plutôt ce que sa mère lui en avait dit puisqu’elle s’en souvenait si peu), ses goûts, ses dégoûts, ses désirs. Au lit, trouver un terrain d’entente, dépasser sa pudeur, avoir confiance. Tout ça lui avait pris tellement de temps. Elle ne se sentait pas le courage de tout reprendre depuis le début. Non, il fallait continuer cette histoire. Tant bien que mal. Redresser la barre. Traverser les tempêtes. Et s’en sortir indemne. Ou avec le moins de cicatrices possible.
Pourquoi ce qu'on avait aimé ne pouvait-il pas rester intact et garder une forme de pureté ?
Elle avait appris à faire ça, chasser ce qui la perturbait, et c'était un sentiment de liberté et de puissance incroyable.
Elle était excitée et impatiente de découvrir s’il lui faisait toujours le même effet. Mais était-ce bien sa chambre ? Il y avait tant de portes dans ce long corridor, tant de portes identiques, comment la reconnaître avec certitude ?
Chiara aurait volontiers proposé d’allumer le plafonnier ou n’importe quelle autre lumière, mais elle n’arrivait plus à articuler deux mots, quelque chose était coincé dans sa gorge, peut-être un hurlement, une envie de crier : « Laisse-moi tranquille, ne m’appelle plus jamais, je ne supporte pas ta façon de parler pleine de sous-entendus, fous-moi la paix, je n’ai rien fait ! » Et puis il y avait ce chocolat chaud qui l’avait brûlée et sur lequel flottaient toujours des petites bulles de salive, ce qui la dégoûta.
Chiara n’aimait pas ces moments suspendus où des pensées désagréables s’immisçaient, elle savait qu’ils pouvaient être des portes vers une conversation plus intime. Elle porta son chocolat à ses lèvres, essaya d’en boire une gorgée, se brûla, recracha dans la tasse, se précipita vers l’évier et mit sa langue sous l’eau froide. – Je suis désolée, j’aurais dû t’avertir que c’était brûlant. Tu veux un glaçon ? Elle acquiesça.
L’odeur de sa mère avait quelque chose de rassurant et d’écœurant à la fois, un arrière-fond de nourriture se mêlait à son parfum et à celui de la laque pour cheveux. Chiara déposa sur la joue de sa sœur un baiser.
Boire seule engendrait chez elle une certaine mélancolie, lui rappelant l’absence de son mari (ex-mari). Le désir de Chiara la soulageait d’un poids.
En s’allongeant, elle poussait toujours un soupir de satisfaction. Elle adorait ce moment, juste avant la chute, l’abandon, la perte de conscience, enfin. Ce moment où elle pouvait être elle-même sans crainte d’être jugée ou de décevoir quelqu’un. Le chien aux allures de fennec se balançant sous le rétroviseur lui revint à l’esprit.
Après tout, un chat n’était qu’un chat, et tout le monde devait mourir un jour ou l’autre, alors un peu plus tôt ou un peu plus tard… Qu’est-ce que cela changeait dans le fond ?
C’était une peur enfantine qu’elle enfouissait la plupart du temps mais qui, parfois, comme un poisson des abysses, remontait à la surface.
Elle chassait les unes après les autres les pensées anxiogènes qui affleuraient, en se convainquant qu’elle ne risquait pas grand-chose. Ce n’était pas comme si elle était atteinte d’une maladie grave ou qu’elle devait se faire opérer à cœur ouvert. Elle ne risquait rien, mis à part un sentiment d’impuissance et une humiliation publique.
Place à l’artifice, place à Lina. Elle aima le contact des doigts fins et habiles de la maquilleuse sur son visage, l’odeur de rose de la crème qu’elle appliqua sur sa peau, les couleurs choisies pour ses paupières, ses lèvres, ses joues ; elle aima le soin et l’attention avec lesquels Lola l’embellissait, la façon dont elle se penchait au-dessus d’elle avec douceur, un pendentif en forme de trèfle se balançant entre ses seins généreux.
La seule et unique chose dont elle avait besoin en cet instant, c’était de dormir, mais son réveil sonna une nouvelle fois pour lui rappeler qu’il était hors de question de traîner au lit : elle avait signé un contrat, il fallait l’honorer.
Son réveil sonna à quatre heures. Il faisait nuit, et elle avait l’impression d’avoir à peine dormi. Ce n’était peut-être pas qu’une impression d’ailleurs, elle avait eu tant de mal à trouver le sommeil. Elle serait volontiers restée au lit, en plus c’était samedi. Quelle idée de vouloir faire du cinéma ! Une grasse matinée lui paraissait beaucoup plus attrayante.
Ça y est, c’est fait , sourit-elle intérieurement, j’ai embrassé un garçon sans que personne ne filme la scène, sans que ce soit écrit nulle part en italique, juste pour moi, pour lui, j’ai embrassé un garçon et j’ai trouvé ça agréable. Plus qu’agréable .
Il lui caressa d’abord la joue, tendrement, avant d’approcher son visage du sien. Chiara ferma les yeux. Son sang pulsait dans son cou, son cœur, ses poignets, partout. Le jeune homme ne piquait pas, ses lèvres étaient d’une douceur étonnante, et lorsqu’il enfonça sa langue dans sa bouche pour la goûter plus intimement, plus profondément, elle se laissa tomber en arrière sur le lit. Il lui sembla que c’était la chose la plus étrange et la plus extraordinaire du monde. Des coups à la porte vinrent troubler leur délicieuse intimité.