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Citations de Arnaud Maïsetti (36)


Une nuit avait passé, et si on ne sait rien de cette, que les historiens n’ont sous les yeux qu’une porte battante entre deux jours, aucun document à commenter doctement, on peut rêver cette nuit, sûr au moins que Saint-Just ne fit aucun rêve. Qu’il passa la nuit à la bougie, à scander l’air auprès de quelques amis des phrases qu’il avançait devant lui comme un somnambule, étonné lui-même par elles et la force qu’il avait de les dire. Saint-Just voit l’occasion où nous ne voyons que les coulisses obscures. L’occasion d’éprouver les Gellé, les mondes vieux. (…) On bat le rappel des troupes. On convainc. On dessine des hypothèses, des perspectives. Quand le jour se lève, on est plein de courage. On vote en levant haut la main. Des amis qu’on ignorait avoir autour sont là pour voter comme un seul homme.
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Nous avons de l'histoire une idée vague et défaite. Nous savons qu'elle a eu lieu. Nous supposons les hommes et les dates. Nous supposons les mots, nous imaginons les foules en armes, le sang craché et tombé à cause des mots. Nous pensons en être issus. Nous regardons les murs des villes, les rues qui portent les noms de ceux qui autrefois ont dit les mots et craché le sang.
(page 9)
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On dit que la Terreur est la Révolution elle-même, son régime, son principe : son devenir fatal comme il en est de toute révolution. On dit : c'est le bloc dans lequel est taillé l'édifice funeste de ces années. On dit cela comme on crache, la nuit, en l'air.
On ne voit pas les mille anfractuosités par où passe chaque jour de ces jours, et que ce bloc est moins pierre que fleuve, labile et redoutable, aux courants irréguliers, torrents filant et roulant sur cent rochers âpres, s'enfonçant parfois sous la terre même, rejaillissant plus loin, plus faible ou plus large, plus emporté ou parfois presque étale comme un lac.
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IL PARAîT QUE LE TEMPS PASSE, le temps que passe ce qui défait le temps : il paraît que tout passe, et c'est faux. Le passé demeure, seul et intact. Il suffit de se baisser. On tendrait les mains et on le ramasserait. Il est là. Il ne nous attend même pas.
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Si le père prit les armes pour conquérir des titres, le fils les ramassa aussi pour en déposséder le monde. Comme on ne tue pas le père sans s'arracher une part de sa peau, il portera le nom de Saint-Just comme un crêpe violacé, un mauvais coup de l'histoire. C'était la sienne dans la mesure où c'était celle de son père : et contre l'histoire aussi il fallait prendre les armes, contre son nom.
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l'Histoire n'est qu'un théâtre peuplé de corps surgis seulement pour la beauté d'un geste ou d'une réplique.
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C’est le rêve, il y a deux jours, qui lance, comme une douleur, ce mouvement terrible, et la peur depuis ne me quitte pas. Le rêve disait la maladie, alors je suis malade. Le rêve disait, c’est fini – je viens ici pour l’apprendre, dans la bouche de la réalité, même si le rêve me l’a déjà dit. Le rêve ne peut pas se tromper, d’ailleurs, et depuis, cette pensée ne me quitte plus, cette pensée qui fore et dit je suis malade, je suis déjà mort d’être malade de cette maladie-là, incurable, invisible.
Quand je croise les types dans la rue, je ne vois pas des hommes, mais des survivants. Et moi, je me dis : j’ai été incapable d’être survivant, j’ai été incapable de survivre à leur vie, à ma propre vie.
Dans la salle d’attente, on appelle invariablement ceux qui sont là pour le sang, et ceux qui sont là pour le chiffre du sang. Ce n’est pas la même chose. Je lève les yeux surtout pour ceux dont on va annoncer le chiffre. Je cherche dans leur regard les dernières secondes de la vie, et l’espoir insensé qu’il reste encore à brûler. Tout à l’heure ils entendront qu’ils vont mourir, cette maladie ne laisse aucun jour de répit à ceux qui savent ; un jour, ou deux, le temps de dormir une fois. On pourrait très bien ne pas savoir, et continuer de vivre, mais ce sera dans l’attente, et le temps mort ; alors, on préfère tous savoir, quand on fait ce rêve. Le rêve nous dit déjà ce qu’il en est. Il y a des rêves moins précis, et certains y vont seulement pour entendre la confirmation de la vie, mais le rêve aussi, dans l’imprécision, aura tout dit. Le frôlement de la mort aura rendu plus vivant, c’est une loi générale, banalité de la banalité.
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« J’ai vécu des expériences décisives, mais elles sont irracontables. » Je voudrais ici seulement approcher l’irracontable de ces expériences – non en vertu d’un savoir qui saurait les expliquer par la preuve, plutôt chercher dans un parcours les traces de quelques trajectoires fuyantes qui dessinent comme des constellations de sens et d’intensité pour notre présent.
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D’une radicalité profonde et offerte cependant à une reconnaissance immédiate, l’œuvre de Koltès ne peut se lire qu’en regard de cette vie, non pas qu’elle l’explique, ou la prouve, mais parce que Koltès a fait de sa vie l’expérience même, esthétique et politique, de ces conquêtes, où il s’agissait avant tout de trouver, voire d’inventer, les espaces où se donner naissance, pour pouvoir donner naissance à l’écriture, et réinventer les fables susceptibles de nous réapproprier le monde.
C’est dans cette mesure que raconter ce que fut la vie de Bernard-Marie Koltès a un sens, et c’est pourquoi ce sens porte avec lui le refus de s’attacher aux événements superficiels de l’existence, pour mieux lire dans les articulations de l’œuvre et de l’expérience ce que cet auteur inventa pour nous : une manière d’inventer dans l’écriture la vie : la sienne ou la nôtre, comme celle de notre temps.
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À la vie de Bernard-Marie Koltès sont attachés le privilège du secret et l’appel du désir. Au secret, sa vie tout entière paraît vouée comme à un pacte. Et au désir, l’écriture est son serment qui le révèle.
Emporté à quarante et un ans, en 1989, Bernard-Marie Koltès n’aura pas seulement laissé une œuvre, mais aussi son inachèvement qui la constitue finalement de part en part.
De son vivant, dix ans durant, son œuvre fut célébrée, montée par Patrice Chéreau qui la choisit en contemporain essentiel, et pendant dix ans elle fut ainsi reconnue comme celle de notre temps ; dix ans ensuite elle fut lue et commentée, reprise et éditée, dressée au rang des classiques du présent ; depuis dix ans, on la joue sur toutes les scènes du monde.
Trente ans après sa disparition, la vie et son pacte demeurent intacts : ce qui lie l’expérience aux secrets qui exigent en soi de rejoindre les territoires les plus vifs où la vie elle-même serait de nouveau possible et réinventée à rebours des origines. Dès lors, ce qu’on croyait appartenir au camp de l’œuvre, sa faculté à rebattre les cartes de l’art, relève aussi de part en part de la vie, d’une articulation intime entre l’expérience et l’écriture, une façon neuve de penser le monde qui le renouvelle.
Ce que nous laisse Bernard-Marie Koltès, ce n’est en rien l’exemple d’une vie ou l’héritage d’une œuvre, mais cette faculté à éprouver dans la vie les forces capables de reconquérir des territoires de fiction, et par là des imaginaires intimes, politiques ou érotiques essentiels pour que nous puissions, en retour et en partage, habiter ce monde et le rendre possible, percevoir la nature des corps qui peuplent notre histoire et en reprendre possession.
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dans cette ville, impossible de voir le ciel directement, il y avait trop de ces tours levées comme des échafaudages.
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le visage qu’on a quand on le prend dans ses mains, le cache, et ce qu’on laisse voir de soi
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C’est du visage que commence la mort du visage, l’appréhension d’une fin possible : et dans cette fin possible, toutes les fins que le visage va augurer.
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Mais dans l’éloignement, la beauté infinie de cette nuit obscure, on s’approcha de moi, sans raison, sans que je le sache même, sans rien qui l’avait préparé que ma solitude, sans aucune volonté de s’approcher de moi, hors ma solitude posée là, vaine, dans la tendresse terrible, dans l’évidence.
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C'est un temps de secousse : la crise remue le corps, de bas en haut, en longs soubresauts de peur qui tétanise – d’avoir annoncé l’effondrement depuis des années semble avoir conjuré tout krach, de sorte qu’on n’entend plus vraiment le bruit de la terre qui se sépare peu à peu, sans se rompre tout à fait, sous nos pieds, et qu’on prend désormais pour le bruit de fond du monde.
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La place pourrait être déserte s’il n’y avait, à un endroit de lumière plus dense, quelque chose qui m’attend, que mon ombre rejoint en coulant sur le sol, rampant entre les pavés irréguliers, quelque chose que mon ombre va finir par rejoindre, sans doute, si la lumière continue, et le fera-t-elle sans moi.
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La nuit non souhaitée s’éloignait de moi comme de la mer : ce qui vient est autre chose de plus vague, de plus neuf que l’origine encore.
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Ce présent de sol et d’évidence, toute cette étendue horizontale de temps qui s’offre devant soi, sur laquelle tomber, de tout son poids, au soir ; et recommencer chaque matin, lever le corps : debout formera l’angle droit entre le sol et soi, cet angle entre lequel recevoir tous les coups que le monde sera prêt à lancer : et le monde est prêt à en lancer par centaines.
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À partir de quoi nous pouvons penser l’écran allumé non plus comme une surface mais comme la frontière de deux réalités, matérielle et immatérielle. Il y a des raisons de penser que l’écran allumé est une frontière entre une région du monde à laquelle nous avons accès immédiatement, et un région de notre monde à laquelle nous n’avons affaire que par l’intermédiaire de notre ordinateur qua allumé. Si nous pensons l’écran comme une frontière logique, et non pas physique, en suivant les termes de Léonard de Vinci, nous sommes en mesure de résoudre un certain nombre de difficultés qu’il pourrait y avoir à penser le contact entre cette région du monde immédiatement accessible, par l’intermédiaire des seuls sens, et cette région du même monde, qui demande, pour être accessible, un écran d’ordinateur ou de smartphone ou d’iPad. L’analogie entre l’écran et la fenêtre se termine donc là : la fenêtre est un obstacle entre deux régions du monde, alors que l’écran est une frontière, donc une connexion, entre deux régions du monde.
(Isabelle Pariente Butterlin)
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On s’enfonçait dans des territoires dont on soupçonnait à peine l’existence : des corridors de plusieurs centaines de mètres, humides et étroits, peut-être immenses au-dessus de nous, qui débouchaient sur de grandes salles rondes distribuant à leur tour d’autres corridors vers d’autres salles rondes. C’étaient des journées de plusieurs dizaines d’heures à avancer dans ce noir. Derrière soi et devant soi, il y avait cette colonne de corps qu’on sentait, qu’on devinait, mais personne ne parlait. L’un derrière l’autre, comme grattant le noir mètre après mètre, comme traversant un rideau à mille épaisseurs, les mains tendues, les yeux plus fermés encore pour mieux sentir avec les oreilles et chaque pore de la peau ce qui se trouvait devant soi. Dans les égouts, ce n’était pas l’odeur qui prenait et manquait de nous évanouir à chaque seconde. C’étaient les bruits, au cœur de cette épaisseur de silence qui se creusait dans le tunnel, le moindre bruit déchirait nos corps — un pas posé plus sourdement, une glissade du pied dans le filet d’eau, une toux, un cri lointain, derrière, lâché par quelqu’un de plus faible qui s’effondrait.
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