Le tatouage etait une empreinte, l'empreinte d'un rêve sur le corps.
Elle s'ouvre en deux face à la glace, pétrit de ses doigts agiles la fine mouture du plaisir. Après la fougue vient la paix qui résonne. Elle est seule, alanguie dans l'écho de ses cris. Elle enfile une chemise, respire ses doigts mouillés. Qu'elle est bonne, cette odeur, c'est le monde et c'est la femme, le grand secret des dieux.
Parles-tu parfois au Dieu qui est dans ton cœur ?
C'est cela que vous croyez, que Dieu est en nous ?
Où pourrait-Il bien être sinon ? Il vit en toi, et tu dois Le nourrir, Lui parler. Si tu t'ennuies, Il s'ennuie aussi, et bientôt te déserte.
Peut-être les pensées sont-elles partout présentes dans l'univers, voletant éparses, ici et là, comme des papillons, et n'en sommes nous que les récepteurs.
Le langage, d'un certaine façon, masque notre besoin éperdu de classer, de ranger, d'enfermer dans le rationnel, de mettre de l'ordre. Nous n'aimons pas l'inconnu. Ce n'est pas l'étranger qui fait peur, c'est l'inconnu qu'il représente.
Et partout et toujours cette odeur répandue qui n'en était pas une, une odeur crue et candide, immémoriale, l'odeur du Nord et des névés, une idée de propre, de net, d'ajournement.
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Dans cette répétition aveugle de blancs et de gris
désolés, des chênes bancroches et tout rogneux instal-
laient la vigoureuse graphie de leurs branches noires et
convulsées.
Ils avaient l'air en colère, désespérément en
colère, tandis que les hêtres fusaient vers les paludes du
ciel.
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Lorsqu'il avait dix ans, son père est mort en tombant d'un frêne
qu'il émondait pour la pâture des bêtes.
l'enfant est reste là longtemps.
Accroupi sur les talons, les bras passés autour de ses genoux osseux et nus comme les deux ailes d'un oiseau malade, il contemplait les minces filets de sang sinuant des oreilles et du nez, la vieille tête grise versée sur le côté dans l'or éteint des feuilles, les graviers du chemin.
Jamais touché, jamais vu de si près, nimbé du pâle soleil matinal, un énorme grain de beauté poilu sur sa joue comme une île, les dents gâtées par le tabac et le mauvais vin telle la denture d'un ancien ruminant, les mains informes, calleuses, crevassées, crochées sur une ultime poignée de terre.
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Elle se mit au lit avec un lourd roman. Elle pensait que les écrivains doivent être des tatoueurs d'âmes. Elle attendait d'eux, et de leurs livres, une marque profonde, un ravissement, une griffe, quelque chose comme une brûlure qui aurait rendu le monde, sinon supportable, du moins adouci par l'illusoire proximité du réel.
Bart, Je me demandais... Qui pourra encore parler du hameau, de ceux qui y vivaient? Qui connaîtra leurs noms, leur histoire?
-Personne
-Je trouve ça terrible. L'oubli absolu.
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