Entrevue avec Bernard Émond, réalisateur du long métrage « Tout ce que tu possèdes », mettant en vedette Patrick Drolet.
On dit souvent sans trop y penser que lire, c'est se réfugier hors du monde. Je pense exactement le contraire. Lire, ce qui s'appelle vraiment lire, c'est sortir de soi pour aller à la découverte des autres et du monde. Souvent, je repense à ces professeurs qui m'ont poussé à lire... Ces professeures, ces lectures, ont fait sortir de lui-même un petit garçon aux horizons limités qui venait d'une famille où on ne lisait pas. Grâce à eux, le monde est devenu pour moi plus vaste. p. 86
Quand on marche, il se passe deux choses : d’abord, le monde se met à exister, et on voit ce qu’on ne voyait pas; ensuite on fait prendre l’air à notre cerveau, et il arrive qu’on se mette à penser à ce qu’on ne pensait pas avant.
Quand on marche, on crée, avec une grande liberté, des liens nouveaux entre les choses et les gens. On fait exister le monde.
Comme celle des vieux Inuits et des aînés de nos campagnes, la nostalgie que nous éprouvons d’un lieu et d’une époque mythiques est le signe d’un manque réel. La solidarité familiale et sociale nous manque; la dignité du travail nous manque; le lien avec la nature nous manque; le sentiment d’une histoire commune et de valeurs partagées nous manque. Nous aurions tort de rejeter ces sentiments comme passéistes : dans la conscience de ce manque et de ces pertes, il me semble y avoir la possibilité de regagner une partie de ce que nous avons perdu. Le retour en arrière n’est ni possible ni souhaitable. Mais s’il se trouvait, dans notre passé, des choses qui pourraient nous servir à sortir du présent clos qui nous enserre, nous aurions tort de ne pas y avoir recours.
Toutes les nuances de la vérité et du mensonge s’y trouvent et les prévenus jouent parfois autant pour les juges que pour la caméra. À première vue, peu de films pourraient autant prétendre à l’objectivité, puisque les interventions du cinéaste sont réduites à presque rien.
La « raison », les « valeurs humaines », on n’a pas foi en cela, sinon dans un sens secondaire.
Vous et moi, je pense, allons plus loin que cela.
La foi pointe vers l’infini, vers ce qui nous dépasse absolument. L’être, Dieu peut-être, selon le nom consacré.
Il y a de l’amour dans le geste de se tourner vers ce que j’appelle l’infini. Et un appel. Cela relève de l’ordre de la grâce.
Comme le dit George Steiner, le lecteur (le spectateur) doit à l’œuvre une certaine courtoisie : il doit accepter de s’ouvrir à elle, de faire l’effort de la lecture et de la compréhension. Mais encore faut-il que la rencontre en vaille la peine etxque l'oeuvre offre autant qu'elle exige .
Au fond, il est difficile d’imaginer une image plus simple, plus dépouillée et pourtant elle est chargée d’un formidable poids d’humanité. De plus, c’est une image ouverte, qui exige un engagement de la part du spectateur. Cette image fait ce que j’attends du cinéma : elle tente de rendre une expérience humaine dans sa beauté et sa complexité (mais aussi, paradoxalement, dans sa simplicité) et elle ouvre un dialogue avec le spectateur. Évidemment, ce plan n’est rendu possible que par ce qui le précède, ce qui, à mes yeux, justifie le film même s’il ne se tient pas tout du long à cette hauteur.
Il y avait bien longtemps que je n'étais entré dans une église et je ne m'attendais pas au choc que j'ai ressenti je jour-là. J'ai eu l'impression de rentrer chez moi, tout non-croyant que j'étais. La basilique, dans sa grandeur comme dans son kitsch, me rappelait la foi de mon enfance et de mes ancêtres: voilà d'où je venais, voilà ce qui m'avait fait. ... Voilà les rituels de ma tribu. p. 71
... je suis un catholique culturel. Cela ne fait pas de moi un croyant, à tout le moins au sens strict, mais plutôt quelqu'un qui reconnaît une dette et qui chérit un héritage. p. 72
La suite est plus difficile à expliquer. Le travail de scénarisation est pour moi quelque chose d’assez mystérieux, un mélange de bricolage et d’imagination, de contrôle et d’abandon, où les contraintes économiques de la production d’un film jouent un rôle important, où les impératifs de la construction d’une histoire sont parfois balayés par des personnages qui se mettent à vivre une vie indépendante (et parfois à me faire pleurer !), et où ça s’écrit autant que je l’écris.
Le cinéma devient alors autre chose qu’une technologie du divertissement ou de la persuasion (pour ne pas dire de la propagande) : il devient une manière de regarder, de ce qui s’appelle vraiment regarder, une manière de s’appliquer à voir, à voir derrière, à voir au-dessus des choses, à voir ce qui ne se voit pas du premier coup d’œil, à voir ce qui est devenu invisible dans un monde encombré d’images. Voir ce qui est devenu invisible dans un monde encombré d’images.