"L'épicerie solidaire" (Bertrand Ferrier / Bertrand et Damien Ferrier). Enregistré le 4 novembre 2013 à Ze Artist (75019) par Josée Novicz. Rens. : www.bertrandferrier.fr.
Le prêtre me demande pourquoi je joue toujours la même chose à chaque convoi
je lui réponds :
C'est la première fois que je joue dans votre église
Il me regarde, fait la moue puis conclut :
-Peut etre mais ca n'empeche pas
C'est pas faux.

Mais il n'y a pas de miracle. Je ne peux pas me relever. Je ne me relève pas. C'est Lui qui me relève en m'attrapant par le col. J'essaye de tenir debout. J'essaye vraiment. Je sait qu'Il préfère me frapper en l'air qu'au sol. J'essaye quand même. En vain. Alors, Il me maintient. Il me fout quelques baffes. De la gnognote, comme Il dit. Il ricane. Parle. Je n'entends plus que par bribes. Coup de boule. Les arcades ont cédé : il y a du sang sur mon visage.
[...]
Un coup, deux coups. Je hurle. Je n'arrive pas à hurler comme je voudrais, l'air a disparu du couloir. Je n'attends plus de secours de personne. Je suis au milieu d'une steppe et mes gueulements sont couverts par ceux des loups qui vont me dévorer. Personne ne m'entend. Ne veut m'entendre. Je ne crois pas que je survivrai. Je suffoque. Je ne veux pas survivre. [...]
J'ai mal, je ne respire plus, je plonge ne apnée dans la souffrance. Je ne crois pas à Dieu ou aux voisins. Sinon je hurlerais : "Arrête, papa, arrête !" Je me souviens d'un truc où, quand le père rentrait, complètement saoul, il battait sa petite fille dévouée, et elle, ça lui était égal parce qu'elle était dévouée, justement, elle s'imaginait que se faire battre aussi, c'était être dévouée. C'était con, mais, au moins, c'était triste. Là, je sais que je ne suis pas un fils dévoué et soudain ça y est, je réussi à hurler, et Elle arrive en courant :
- Arrête un peu, il va alerterr tout le quartier !
[...]
j'ai MAL aux côtes, c'est le seul mot que je bafouille, je ne hurle plus, je pleurniche, j'ai mal, mal , j'ai mal, oh que j'ai mal, maman j'ai mal, la tête contre le carrelage, une fois, trois fois, plus, ça ne finira pas, et puis un coup de pied plus fort que les autres, un pointu, presque abstrait tant j'ai mal ; et cette certitude que si je n'étouffe pas maintenant, si je n'étouffe pas de douleur, je ne mourrai jamais ; et Sa voix pour conclure:
- Que je t'y reprenne, à voler dans le buffet !
Auparavant, tu avais une femme, bien que tu rechignasses à employer en l’espèce le terme « avoir ». Disons plutôt que tu aimais une femme qui t’aimait et habitait avec toi. Disons donc que tu étais réciproquement amoureux d’une femme qui s’appelait Luce. Depuis six ans.
Enfin, elle s’appelait Luce depuis vingt-six ans, mais vous vous aimiez réciproquement depuis six ans.
Un jour, la femme que tu aimais réciproquement t’a dit : je ne t’aime plus. Il faut qu’on se sépare. Tu n’en voyais pas bien la nécessité, peut-être aidé en cela par le fait non stipulé quoique supputé que, toi, tu l’aimais toujours. Mais tu t’es retrouvé seul.
On ne me frappe pas tous les soirs. De temps en temps seulement. Et avec raison. Quand on bat quelqu'un, on trouve toujours des raisons pour. Alors, s'arrêter, curieuse idée, non, non, non. Pourquoi ?
Ils me tapent dessus avec de très bonnes raisons. J'aurais raconté ça à quelqu'un, il aurait trouvé ça normal. C'est pour ça que je préfère être seul. Qu'on me laisse tranquille avec mes torts.
Pense à quelques insultes bien senties, y compris quelques-unes de mon cru, du genre : crapelon envasé, regardeur de play-backs, stéréotype mou. (p.14)
Parfois, il faut accepter de mettre un mouchoir sur sa fierté, en attendant de prendre sa revanche... et fuir, fuir au plus vite et le plus longtemps qu'on le pouvait.
On ne me frappe pas tous les soirs. De temps en temps seulement. Et avec raison. Quand on bat quelqu'un, on trouve toujours des raisons pour. Alors, s'arrêter, curieuse idée, non, non, non. Pourquoi ?
Ils me tapent dessus avec de très bonnes raisons. J'aurais raconté ça à quelqu'un, il aurait trouvé ça normal. C'est pour ça que je préfère être seul. Qu'on me laisse tranquille avec mes torts.
Cependant, quand votre amoureuse vous quitte, vous ne pouvez pas lui jurer-promettre que vous ne tuerez personne à cause d’elle. Ça ne se fait pas. Ça paraît tellement évident.
Et pourtant.
Il y a tant de thorax. Tant de couteaux.
Bien.
Au début, c’était parfaitement clair : tu n’avais pas de chat. Tu n’en avais jamais eu. Jamais. Ni de chatte, d’ailleurs.
Il n’y avait aucune ambiguïté sur le sujet : ni chat, ni chatte.
Jamais.
Bien.
Il n’y a que les gens intelligents qui ne changent pas d’opinion, que les gens courageux. Les imbéciles, ça ne les dérange pas, de dire le contraire de ce qu’ils pensaient. Ils croient même que c’est ça, être intelligent, changer d’opinion, ils en ont fait une maxime que tout le monde répète tellement ils en sont convaincus – et cette conviction, pas question d’en changer : " Seuls les imbéciles ne changent pas d’avis. "