Voilà un livre choc. Terrible. Magistral. Un coup de poing.
C'est le troisième roman d'un jeune auteur,
Bertrand Ferrier, destiné plus particulièrement aux adolescents, qui nous raconte sous forme de journal intime un moment de vie d'un adolescent de 14 ans, battu par ses parents.
Adolescence, journal intime, enfant battu, on pourrait s'attendre à un livre subtilement infiltré de messages pédagogiques, sociologiques, et d'espérance. Eh bien, pas du tout. Ou plutôt, c'est encore plus subtil que ça. S'il se trouve un « message » dans ce livre, c'est que rien n'est simple, évident, rassurant.
Pour avoir lu dernièrement quelques romans destinés à de jeunes lecteurs, on sent la plupart du temps la volonté des auteurs, même si les thèmes abordés sont difficiles, d'aplanir un peu les choses, sans vraiment les enjoliver dans les faits, mais au travers d'un style rassurant, d'une lueur d'espoir dans un encouragement direct aux études, à l'amitié, à l'écriture aussi…
Avec
Happy end, titre à la fois ironique et stimulant, la prose est vraiment sans concession.
Etant un journal intime, nous savons que le « héros » a dépassé ce qu'il a vécu puisqu'il le raconte. Reste que nous ne saurons pas ou peu, à la fin de l'ouvrage, si la vie qui s'offre à lui est symbole de liberté ou de nouvelle prison. A la fin, tout commence…
La force du livre de
Bertrand Ferrier est d'éviter les repères trop concrets. Ainsi, nous ne connaissons pas le prénom de l'adolescent, ni ceux de ses parents, le Frappeur et l'Autre, comme il les nomme. de même, nous ignorons le milieu social de cette famille. Plutôt classe moyenne, culture moyenne, pas d'alcoolisme ou de « carences » évidentes, si ce n'est une spirale de la violence qui semble avoir commencé aux alentours des dix onze ans de l'enfant.
Cet adolescent m'a fait penser à l'Antoine Doinel des « 400 coups » de
François Truffaut. Il n'est pas particulièrement sympathique, ne possède aucun don particulier, n'a pas d'ami, et n'en recherche pas. Il n'est pas résigné, c'est pire que ça : il n'intellectualise pas ce qui lui arrive, ne fait que le vivre, au jour le jour. Il ne l'analyse pas davantage, pense simplement que c'est tombé sur lui. Il ne se dit même pas que cela pourrait s'arrêter un jour, si ce n'est que confusément il sait que cela finira par s'arrêter, non pas parce qu'on lui viendrait en aide (il y a longtemps qu'il n'y croit plus), mais parce que cela ne PEUT pas continuer.
Il ne se révolte pas. Quand les coups pleuvent, il se soumet, pleure le plus vite possible, s'écrase. Sans remords, sans honte. Pour que ça passe plus vite. Au collège, il ne pense qu'aux filles, au sexe. Il écrit des nouvelles pornos, et à cet égard,
Bertrand Ferrier a su parfaitement brosser le portrait d'un adolescent d'aujourd'hui, sans mièvrerie, dans toute sa crudité.
On écoute la voix de cet adolescent avec compassion et effroi, et j'avoue avoir dû faire des pauses dans ma lecture, tant certaines pages sont insoutenables, car à la fois d'une sobriété et d'une précision au scalpel, sans rien à quoi se raccrocher.
Pourtant, et c'est aussi une grande force du livre, tout n'est pas noir absolument. Quelques adultes perçoivent la réalité de l'adolescent, lui tendent une main solidaire. Mais pour celui-ci, il est trop tôt, ou trop tard. Il ne peut faire confiance à quiconque, persuadé d'être au centre d'un complot.
Ainsi, approchant de la fin, comme un entonnoir qui peu à peu se rétrécit, le drame – ou le paroxysme du drame, sera atteint. Bien que terrible, le dénouement nous soulage. Il fallait que cela s'arrête. L'adolescent s'est délivré, sera-t-il apte à construire ? Nous ne pouvons que l'espérer, mais
Bertrand Ferrier évite soigneusement de nous en faire la promesse.
Pensant aux lecteurs adolescents, j'encouragerais cette lecture, par sa très grande qualité, et aussi sa nécessité. Toutefois, je pense que le mieux serait qu'elle soit accompagnée d'un débat collectif pour apaiser les angoisses qui ne manqueront pas d'apparaître mais aussi éclairer les moyens de prévention de cette violence intolérable.