Bleue Roy

«Celui qui lutte contre les monstres doit veiller à ne pas en devenir un lui- même.
Et si tu regardes longtemps l'abime, I'abime regarde aussi en toi. »
Friedrich Nietzsche
Par delà le bien et le mal. 1886

— Tombola ce soir, cinq billets pour le prix de quatre, achetez des billets et financez trois puits au Niger, le tirage ce soir. Gagnez de nombreux lots ce soir ! s’exclame, content, le gamin en secouant sa liasse de tickets, et d’une traite recommence sa tirade commerciale.
— Dégage puits de bienfaisance, je ne sais pas où c’est ton Niger, tu me saoules, dégage, je dois réfléchir. Tu es sourd, dégage !
La séance de quatorze heures au ciné, plus la séance suivante, reste encore six heures. Faudrait surtout que j’aille chercher des fringues propres. Tu es folle, il t’attend. Qui ? S’il te retrouve, il t’écrabouille. Qui m’attend ? Tu dérailles ! Que vas-tu faire ? Je veux fracasser la gueule de ce macho impuissant. Je veux défigurer cette gueule de pouffe puante, avocate marron, je veux lui faire bouffer vermine et excréments. Ah, tu mélanges tout, tu débloques. Récite, ciel nuage vide galactique. Soleil étoile galaxie trou nébuleuse lactée noir jaune bleu rouge. Non pas les couleurs, je déteste les couleurs. Je veux l’écarteler, le démembrer, le dépecer. Récite, pinson grive alouette salaud connard alouette. Récite dans l’ordre, enculé pervers alouette. – Silence. Silence, je ne comprends plus rien ! La tête entre les mains, Joséphine marmonne, renifle, marche, chantonne, se tait, marche, parle seule.