AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Blockchain France (36)


De façon plus générale, comme toute technologie la blockchain est un "enabler", et non une solution. Elle ne pourra pas fonctionner sans une volonté politique et une validation par la justice des dispositifs créés. Il est donc peu probable que la blockchain se passe des institutions.

Face à la blockchain, l’Etat est Janus : d’un côté, il aura la tentation d’interdire et de contrôler, d’autant que les professions menacées comme celles des notaires ne resteront pas sans rien dire. Mais tout l’intérêt du caractère décentralisé de la blockchain risquerait alors d’être atténué.
D’un autre côté, il faudra bien, à moins de rester dans le virtuel, qu’une jonction se fasse entre d’une part ce que la blockchain permet et d’autre part la vie réelle - notamment en termes de reconnaissance juridique -. Certains technophiles ou utopistes imaginent certes un monde sans Etat ; mais dans le cas des titres de propriété, par exemple, ces titres devront bien être reconnus juridiquement.

La technologie n’est jamais une solution : celle-ci ne vient que des usages. L’important est donc de voir ce que rend possible la technologie, et de développer des stratégies qui intègrent les possibilités apportées par la blockchain.

La blockchain, une menace pour les institutions ? par Julien Lévy, Professeur affilié à HEC Paris, Directeur du Centre Digital d'HEC, auteur de l'étude annuelle Netexplo Trend report
Commenter  J’apprécie          60
Par conséquent, on peut s’interroger sur l’obsolescence de certaines institutions. Ne peut-on numériser, "blockchainer" une grande partie des processus existants? Les notaires vont-ils succéder aux chauffeurs de taxi comme les victimes de la révolution numérique ? Toute une partie de l’activité des banquiers ne sera-t-elle pas touchée ? La blockchain ne crée-t-elle pas en fait un modèle alternatif, plus performant que les modèles institutionnels existants (le cas de Bitland au Ghana en offre une belle illustration) ?

La blockchain, une menace pour les institutions ? par Julien Lévy, Professeur affilié à HEC Paris, Directeur du Centre Digital d'HEC, auteur de l'étude annuelle Netexplo Trend report
Commenter  J’apprécie          00
Si l’une des blockchains devient dominante, alors ses choix politiques sous- jacents se répandront avec elle. Dans le cas de Bitcoin, même si les intentions de Satoshi Nakamoto ne sont pas connues, il est clair que ce système implique une conception politique libertarienne. Dès lors si Bitcoin devient dominant, la vision libertarienne qui la sous-tend deviendra elle aussi dominante. Il faut donc se demander si cette vision politique correspond véritablement à notre souhait. Par exemple, il faut se demander si l’idée de déplacer de l’argent très facilement et rapidement est conciliable avec la notion d’impôts. Il peut être problématique qu’en une fraction de secondes il soit possible de transférer mon argent ailleurs dans le monde ; sans parler des protocoles entièrement anonymes, tels Dash ou Monero que certains veulent développer.

Ces questions politiques doivent se poser maintenant : ensuite, il sera trop tard.

Politique des blockchains par Yves Moreau, Professeur à l’université de Leuven
Commenter  J’apprécie          20
Dans cette période où des réseaux comme Bitcoin et Ethereum se développent, chacun a la possibilité d’adhérer ou non au réseau de son choix. Cette situation contraste avec la réalité du réseau de la vie de tous les jours, l’Etat, puisque chaque citoyen est sujet d’un Etat en fonction de critères notamment géographiques, ce qui n’est pas un choix véritablement démocratique : pour pouvoir changer de règles, l’individu doit déménager. Les réseaux blockchains actuels, dans la période où ils grandissent, offrent donc une véritable opportunité démocratique en autorisant chaque personne à choisir le ou les réseaux qu’elle souhaite rejoindre.
Commenter  J’apprécie          00
La blockchain permet de créer une relation de l’ordre du contrat social. Elle permet de connecter des individus les uns avec les autres, en créant une architecture adaptée. "Architecture is politics" affirmait en 2006 Mitch Kapor, à l’origine du logiciel Lotus (qui a fortement contribué à l’arrivée de l’ordinateur personnel au sein des entreprises). Toute architecture, toute façon de créer un système, qu’il soit ou non informatique, est une forme de politique. Par exemple, la façon d’aménager les rues pour ralentir les conducteurs constitue une manière de réguler les comportements des individus.

En matière d’architecture informatique plus spécifiquement, la création de systèmes informatiques, en permettant de connecter des individus ensemble, de les mettre en réseau, de les faire s’échanger des informations, n’est pas sans influence. Cette influence peut être négligeable à l’échelle de quelques individus, mais à l’échelle de l’ensemble du réseau, ces petites influences vont créer de grandes forces.

Autrement dit, construire un système en réseau revient toujours à créer des forces entre les individus. Il est essentiel que les développeurs qui construisent ces systèmes aient cette notion en tête. On entend souvent des scientifiques ou ingénieurs dire qu’il n’y a pas de dimension morale et politique dans la création des systèmes techniques, et que ce sont ce que les utilisateurs en feront. Cela peut être plus ou moins vrai pour les technologies classiques, mais cela n’est jamais vrai pour les technologies de réseau. L’exemple de Facebook le montre bien : ses créateurs ont développé un système intolérant vis-à-vis de la nudité et très tolérant vis-à-vis de la violence verbale et ce qui relève plus globalement de la liberté d’expression. Ils imposent ainsi un système de norme américain aux utilisateurs du monde entier. En somme, à chaque fois que des infrastructures de réseau sont déployées, il y a bien une dimension politique.

Politique des blockchains par Yves Moreau, Professeur à l’université de Leuven
Commenter  J’apprécie          10
Rêvons un peu. Imaginons que demain, le lien de subordination constitutif du salariat soit brisé, non au profit d'une régression vers le travail à la tâche, mais au bénéfice du libre choix de participer à des projets satisfaisant aux objectifs de chacun.

En tant qu'initiateur d'un projet, je souhaite réunir les collaborateurs qui partagent mes valeurs et dont les compétences complètent les miennes. En tant que participant, je cherche à combiner en diverses mesures la nécessité de subvenir à mes besoins matériels, l'aspiration à servir une cause désirable, le besoin de développer du lien social et l'envie d'utiliser et d'accroître mes compétences. Ce faisceau de motivations peut me conduire à me concentrer sur un seul projet, ou bien à participer à plusieurs. Dans le cadre d'un même projet, je peux être aussi invité à endosser de multiples rôles.

Nous voyons se constituer aujourd'hui de nouveaux réseaux sociaux tels que Colony ou Part-up dont le but est précisément d'offrir l'accès à ce nouveau Web collaboratif, cet univers fluide où nos aspirations et nos compétences trouvent à s'ancrer dans des projets, aussi simplement que nous hélons virtuellement un chauffeur Uber depuis notre mobile.

Au bout du compte, comment caractériser ces nouveaux modes d'organisation que la blockchain pourrait outiller ? Ils devraient tout d'abord être ouverts. Les firmes actuelles sont dotées de dispositifs de protection renforcée vis-à-vis de l'extérieur. Une organisation décentralisée se doit d'être poreuse, afin de laisser son réseau atteindre naturellement et rapidement son optimum. Cette porosité n'est pas un simple état passif, mais une capacité dynamique à inviter chaque acteur à exprimer son potentiel.

La résilience de l'organisation n'est pas affectée par son ouverture, car elle ne dépend pas d'une sélection initiale, incertaine et coûteuse ; l'accès à une position d'influence au sein de l'organisation dépend de la validation consensuelle de contributions effectives. L'influence reconnue au participant se doit d'être proportionnelle à l'engagement effectif, ainsi qu'à l'alignement vis-à-vis des valeurs du groupe. La forme naturelle de la structure de décision de telles organisations est donc méritocratique, plutôt que démocratique - même si rien n'empêche d'introduire des formes plus égalitaires de prises de décision.

Lorsqu'une rémunération rétribue l'activité des participants, il convient également qu'elle soit proportionnelle aux contributions effectives, afin de prendre en compte la diversité d'implication. Là encore, l'équité ne peut s'assimiler systématiquement à l'égalité, sauf à en faire explicitement une valeur cardinale du réseau. Des mécanismes complémentaires de redistribution - tel que le revenu universel d'existence, par exemple, - peuvent être trouvés en dehors de l'organisation.

Ouverte, méritocratique, équitable : tels pourraient être les attributs d'organisations décentralisées collaboratives. Exceller dans ces dimensions ne saurait dépendre uniquement d'une technologie, aussi puissante soit-elle. On touche ici à l'humain et au social, qui débordent de toute part l'approche techniciste. Mais il faut reconnaître le caractère transformatif de la blockchain dans cette évolution, et s'en saisir comme d'un outil irremplaçable pour substituer au pouvoir descendant de la hiérarchie la forme du consensus entre pairs, à une échelle inédite dans l'histoire des organisations.

La blockchain, catalyseur de décentralisation des organisations - Philippe Honigman, Entrepreneur, Fondateur de ftopia
Commenter  J’apprécie          20
L'internet et la capacité à publier des pages Web dynamiques - ou Web 2.0, évolution du Web vers des usages sociaux construits à partir du contenu généré par l'utilisateur - ont rendu possible l'apparition des plateformes.

Aujourd'hui, de nouveau, une technologie est perçue comme "disruptive", c'est-à- dire susceptible de transformer en profondeur les systèmes d'organisation sociale, notamment en matière de production économique : la blockchain. Sa caractéristique principale réside dans sa faculté à établir un consensus entre des acteurs n'ayant a priori pas de raison de se faire confiance, ni mis dans l'obligation d'agir de concert par la force d'une autorité surplombante.

En tant que "machine à fabriquer du consensus", la blockchain semble autoriser la constitution de systèmes d'information décentralisés et transparents, à l'opposé de l'asymétrie des plates-formes où le pouvoir et l'information sont concentrés du côté de la firme.

L'utilisation de la blockchain pourrait ainsi favoriser une émancipation de l'individu dans son activité contributive auprès d'organisations diverses, dans la mesure où la valorisation de ses contributions (en termes monétaires ou non monétaires) donnerait lieu à une trace incontestable, incorruptible et surtout échangeable dans d'autres réseaux, via l'interopérabilité de tokens émis sur la blockchain.

On peut ainsi envisager de s'appuyer sur cette technologie pour outiller de nouvelles formes collectives de production de valeur sociale et économique. En garantissant la transparence et en renforçant la résilience des mécanismes de distribution de valeur et de gouvernance, la blockchain pourrait fournir la solution au problème d'auto-organisation des réseaux, et inaugurer l'ère des organisations collaboratives décentralisées (DCO), successeurs des plateformes.

Ainsi, le projet Reposium vise à auto-organiser des collectifs producteurs de connaissance, en combinant des mécanismes d'incitations économiques et d'établissement de la réputation des contributeurs. Le modèle décrit par son créateur, Dominik Schiener, pourrait s'appliquer à de nombreuses communautés ouvertes, réunies autour du contenu généré par les participants, telles que Wikipedia ou Reddit. En ligne de mire, un fonctionnement économique équilibré et autonome, alternatif aux options actuelles du financement par le don ou par la publicité.
Le projet Backfeed a pour objectif de généraliser cette approche, en fournissant des outils d'établissement du consensus au sein de tous types d'organisations décentralisées. En l'absence de hiérarchie pour allouer les tâches, évaluer les contributions et décider du mode de répartition de la valeur, il est critique de disposer d'un mécanisme d'alignement favorisant la cohérence dans l'action, quelle que soit la taille d'un réseau ouvert par nature à toute contribution de valeur.

Backfeed élabore son protocole dans ce dessein, en s'efforçant de coupler réputation et rétribution monétaire. Le mécanisme de proof-of-value consiste à définir les conditions de validation collective de la valeur des contributions, sous la forme de tokens propres à l'organisation et enregistrés sur la blockchain. Dans les premiers temps d'un projet décentralisé, ces tokens peuvent être vus comme une forme de parts sociales, promesse de valeur future. Lorsque l'organisation mature et qu'elle offre ses services sur un marché, les tokens deviennent liquides et acquièrent une valeur d'échange.

De façon plus générale, et en l'absence à ce jour de modèles éprouvés, l'intérêt de la blockchain pour les organisations décentralisées nous semble justifié par trois considérations :

a. Des modes de gouvernance implémentés sous la forme de DAO et de smart contracts moins susceptibles de détournement au profit d'un petit nombre disposant des avantages que confère l'information asymétrique. Les conditions d'une rétribution plus juste de tous les contributeurs de valeur deviennent plus sûres et plus transparentes ;

b. La sanction de la contribution sous la forme de tokens (monétaires ou non) enregistrés sur la blockchain renforce l'autonomie de l'individu, qui dispose ainsi d'une trace intangible de son activité ; dans un monde où le salariat décline et où nous sommes amenés à multiplier les participations à des projets hétérogènes, la capacité à valoriser et établir vis-à-vis de tiers l'historique de nos contributions devient constitutive de notre identité ;

c. Une capacité intrinsèque à porter l'interopérabilité entre organisations distinctes, et in fine à estomper les frontières artificielles entre organisations; la blockchain est un système d'information universel, qui a vocation à servir de lingua franca.

La blockchain, catalyseur de décentralisation des organisations - Philippe Honigman, Entrepreneur, Fondateur de ftopia
Commenter  J’apprécie          00
Au cœur de la révolution numérique : les plates-formes, et leur capacité à extraire une valeur économique de la coordination de millions d'individus et d'entreprises.

La plate-forme présente un caractère hybride. D'un côté, une firme traditionnelle, souvent sur-capitalisée afin de lui permettre de passer à ses clients les économies d'échelle encore virtuelles lors du déploiement de son modèle. De l'autre, un réseau ouvert associant les usagers, dont les actions sont coordonnées par du logiciel, plutôt que par des équipes opérationnelles.

Dans le monde des plates-formes telles qu’Uber, Facebook, Youtube ou eBay, chacun est encouragé à participer au réseau, en tant que contributeur, évaluateur, producteur. Plus le réseau s’étend, plus sa valeur d'usage s'accroît. Puisque les actions de millions d’agents peuvent être automatiquement coordonnées, le coût de changement d’échelle est négligeable.

Mais si les plates-formes s’appuient sur des réseaux gigantesques, les firmes qui les contrôlent sont de taille modeste, comparées aux entreprises dominantes de l’ère pré-digitale. La valorisation boursière d’Amazon dépasse celle de Walmart, avec des effectifs 10 fois inférieurs – 155.000 employés contre 2,2 millions. Airbnb, avec 1400 collaborateurs, dispose de plus d'un million de chambres aujourd’hui, plus que certaines chaînes d’hôtels internationales comme le groupe Hilton group, qui compte... 110 fois plus d’employés !

Dans le modèle de la plateforme, la firme organise le réseau de façon à en extraire une valeur économique optimale, conformément au mandat que lui assignent ses actionnaires. La valeur est largement coproduite par les agents du réseau - que serait Facebook sans les contributions de ses utilisateurs, ou Airbnb sans les appartements de ses hôtes - mais ceux-ci ne sont jamais en capacité de peser sur les mécanismes de gouvernance et de distribution de la valeur d'échange.

Parachevant une évolution qui s'est appuyée sur le logiciel pour mobiliser une multitude active et génératrice de valeur, nous pouvons envisager l'émergence d'organisations dont la gouvernance serait interne au réseau, et où la distribution de la valeur d'échange se ferait au profit des contributeurs.

Ces organisations existent, au moins à l'état de projet ou d'expérimentation. Elles ont toutes en commun le fait de s'appuyer sur la blockchain pour atteindre leur objectif de gouvernance décentralisée.

La blockchain, catalyseur de décentralisation des organisations - Philippe Honigman, Entrepreneur, Fondateur de ftopia
Commenter  J’apprécie          00
Il est toujours surprenant de se souvenir que l'entreprise telle que nous la connaissons n'a pris son essor qu'il y a deux cents ans. La prédominance de cette forme sociale est telle aujourd'hui qu'il est difficile de penser la production économique en dehors de son cadre. En 1980, la part de l'emploi salarié a atteint 90% aux Etats-Unis !

Les économistes se sont préoccupés des raisons de ce succès fulgurant. Les travaux nobélisés de Ronald Coase, en particulier, ont montré que la firme disposait de l'avantage de coûts de transaction moins élevés que le marché libre, lorsqu'il est nécessaire de faire travailler ensemble de nombreuses personnes de façon prolongée. La recherche de ressources qualifiées et la négociation de conditions satisfaisantes pour les parties entraînent des coûts élevés. Embaucher et débaucher des travailleurs en fonction de la demande devient une stratégie plus coûteuse que leur intégration à long terme sous la forme d'un contrat de travail.

On peut du coup se poser la question de la limite à la croissance de la firme. Si ce modèle d'organisation sociale de la production est plus efficace que le marché libre, comment se fait-il que nous constations des limites à la croissance des entreprises ?

Une réponse tient aux limitations humaines en matière de planification et de coordination. Nos ressources cognitives ne nous permettent de travailler étroitement qu'avec un petit nombre d'individus. Une autre limite bien connue, celle du nombre de Dunbar, rappelle que nous ne pouvons entretenir de relations directes qu'avec environ 150 personnes, au maximum.

Face à ces limitations, nous avons inventé la hiérarchie de commandement et de contrôle, s'appuyant sur des procédures opératoires standardisées, associées à des fiches de postes elles-mêmes insérées dans un organigramme structurant l'ensemble de l'entreprise.
L'efficacité de ce dispositif a largement fait ses preuves. Cependant, l'accroissement de la taille d'organisations hiérarchiques va de pair avec une complexification des systèmes de décisions, des coûts de coordination interne élevés, et un manque d'agilité, en particulier dans des environnements marqués par des changements rapides.

A partir d'une certaine taille, tout se passe comme si l'organisation est peu à peu paralysée par son propre poids, et devient incapable d'identifier les opportunités nouvelles dont des structures plus lestes savent se saisir.

Chefs d'entreprise et théoriciens ont tenté d'adresser cette limite de multiples manières : formes plus sophistiquées d'organisations comme le managementmatriciel, tentatives d'aplatir la structure hiérarchique en la réduisant à 3 ou 4 niveaux, dispositifs d'innovation ouverte rassemblant des équipes hybrides au sein de réseaux non hiérarchiques.

On a vu encore émerger des formes nouvelles de coordination, plus coopératives et plus fluides, telles que l'holacratie ou la sociocratie, ainsi que des organisations ouvertes comme Linux ou Wikipedia.

La blockchain, catalyseur de décentralisation des organisations - Philippe Honigman, Entrepreneur, Fondateur de ftopia
Commenter  J’apprécie          20
Prenons deux exemples pour montrer à quel point les choix de développement sont révélateurs d’un choix de société.

Prenons par exemple les inégalités sur Bitcoin. Le coefficient de Gini, qui est un instrument utilisé par tous les pays pour mesurer l’écart de richesse au sein de leur population, est infiniment plus élevé dans Bitcoin que dans nos sociétés modernes, pourtant passablement inégalitaires ; plus révélateur encore, il continue de croître avec la montée en puissance du réseau. En réalité, nous assistons à un jeu de Monopoly : au départ, nous étions tous égaux devant Bitcoin, mais ceux qui ont pris de l’avance en début de jeu gagnent à la fin. "Plus tu gagnes, plus tu gagnes" : il n’existe dans Bitcoin aucun mécanisme redistributeur qui permet de protéger des distributions de valeur plus équilibrées.

Or ce choix-là n’est pas une nécessité. On peut faire appel à d’autres systèmes, comme ceux décrits par Christopher Boehm (Hierarchy in the Forest) ou Pierre Clastres (la Société contre l’Etat), pour comprendre l’importance des systèmes de contre-hiérarchie. Ainsi dans ces sociétés de chasseurs-cueilleurs les femelles et les mâles bêta prennent le pouvoir contre les mâles alpha et mettent en place des mesures pour limiter leur domination. Ce sont des exemples connus mais qui illustrent un fait : un système qui n’a pas de contre-pouvoir va nécessairement virer au monopole. Il s’agit d’un choix à faire au moment d’en fixer les règles.

Un second exemple pourrait être la fameuse "longue traîne" décrite par Chris Anderson. Il s’agit de cette idée de dissocier d’une part les "gros succès", qui attirent individuellement l’attention, et la multitude de petits succès qui viennent ensuite, mais dont la somme peut être collectivement supérieure à celle des " hits" en terme d’impact. Cette économie secondaire, alternative, crée à son échelle un système fondé sur des micro-choix.

Or cette longue traîne n’est pas permise par Amazon, ni Google et consorts parce qu’en leur cœur réside un algorithme qui crée de la concentration. A l’inverse, Jamendo avait mis en place des contre-mesures qui la protégeait. Là encore, la technologie est affaire de choix, et ce choix n’est pas univoque.

Il est urgent pour nous tous de réapprendre cette vérité, puisqu’il me semble que nous l’avons oubliée. Dans les milieux technologiques, les développeurs, les hackeurs, ne la connaissent pas assez. Et une fois cette prise de conscience faite, viendra l’heure des choix : c’est ce qu’on appelle value sensitive design, c’est-à- dire prendre conscience lors de la création que celle-ci prend place dans un système de valeur, et effectuer ses choix en conscience.

Il est urgent de commencer à développer des financements de projets plus égalitaires - par exemple via les coopératives -, des algorithmes plus égalitaires, des gouvernances de plateforme - par exemple par les utilisateurs - plus égalitaires. Des exemples comme ceux du collectif Inspire en Nouvelle-Zélande sont à suivre.

On constate aujourd’hui une sorte d’automatisme, de passage apparemment obligé pour les créateurs : des jeunes, qui veulent créer une technologie, sont très vite poussés par une certaine valorisation sociale dans la culture extractive. Cette culture extractive, c’est celle des start-up, avec la volonté unique de réussir une Licorne (Nb : start-up dont la valorisation boursière dépasse 1 milliard de dollars) ou un Exit (Nb : sortie du capital rapidement après lancement et avec forte plus- value). Or une autre voie existe, même si elle n’est pas très visible. Il y a tout un travail à faire aujourd’hui envers les développeurs pour leur montrer cette autre voie.

Il faut dénaturaliser l’idée du développement de la technologie, l’idée que ce développement est naturel, que le capitalisme est naturel ... Il faut se rendre conscient qu’il s’agit de choix humains.

Or la blockchain arrive vite. Une sorte de consensus informel prédisait les prototypages en 2016, et les premiers systèmes utilisables en 2017. Sans se placer dans ce débat, je crois important de rappeler que l’on a toujours tendance à exagérer l’importance des technologies quant au potentiel de développement sur le court terme, et à les sous-estimer sur le long terme.

Souvenons-nous de la hype autour de l’intelligence artificielle, comme de celle autour de la réalité augmentée. Si cela n’a pas pris sur le moment 20, 25 ans après, nous y sommes. Il est tout à fait possible que la blockchain soit l’éléphant qui accouche d’une souris. Mais ce ne sera pas grave, et ce n’est pas pour cela que la blockchain n’aura pas d’importance ensuite, le temps qu’elle se déploie réellement. Cela peut arriver vite: on a vu avec le moteur de recherche par exemple (Nb: inventé au début des années 1990, il décolle véritablement au début des années 2000) que ce délai de montée en puissance se réduit constamment avec l’accélération technologique. Il faut s’attendre à ce que la blockchain compte vraiment dans moins d’une dizaine d’années.

Les grandes entreprises et les défenseurs du capitalisme seront les premiers à s’en saisir mais je ne pense pas que cela soit un mal. Quand on regarde l’histoire des grandes évolutions sociales, comme la grande révolution féodale du Xe siècle ou la grande révolution capitaliste du XVe siècle, le scénario est un peu le même : on est face à un système épuisé qui ne marche plus, et où tout le monde va chercher des alternatives, aussi bien les gens qui ont les moyens que les gens qui sont au bas de l’échelle.

C’est justement parce que les éléments ultra-capitalistes investissent dans ce changement qu’il pourra avoir lieu. C’est à l’intérieur des structures romaines en déclin que se sont formées les graines du changement qui allaient former la féodalité, et c’est à l’intérieur des grains du système féodal que les grains qui allaient devenir le capitalisme se sont développés. Il est naturel de penser que c’est à l’intérieur du système capitaliste en déclin que les graines des communs vont se développer.

Ce qui peut d’ailleurs amener des paradoxes, comme Facebook, parfait produit du capitalisme d’extraction et en même temps puissant encapaciteur d’auto- organisation en P2P. Le changement n’est peut-être pas encore totalement là où on voudrait qu’il aille, mais il va dans la bonne direction, et il faut s’en saisir. Ne refusons pas un outil sous le prétexte qu’il a été développé pour les mauvais motifs ; il faut garder en tête Luther au XVe siècle lorsqu’il voit à sa juste valeur le potentiel de l’imprimerie pour la diffusion de ses idées. Il faut se saisir et s’approprier les potentiels des technologies, même si elles sont en partie dominées par des forces qui ne sont pas nécessairement émancipatrices.

Les deux visages de la blockchain - Michel Bauwens, Théoricien du pair-à-pair, Fondateur de la Peer-to-peer Foundation
Commenter  J’apprécie          20
Mais on l’a dit : une technologie n’est jamais univoque. Et tout n’est pas mauvais dans Blockchain.

A nouveau, il est nécessaire mettre les choses dans le contexte. On peut considérer qu’il y a toujours au moins trois couches dans l’élaboration d’une technologie. Il y a d’abord celle des financeurs de projets, qui ont une influence déterminante sur le design, puisque ce sont eux qui vont donner les ordres à ceux qui travaillent. Ensuite, il y a ceux qui développent la technologie ; ceux-ci ne sont pas des exécutants passifs, des esclaves, mais sont des créatifs, à l’image de la communauté des développeurs blockchain, et vont donc influencer fortement sur le design de la technologie. Il s’agit d’un groupe social fortement influencé par
l’éthique ‘hacker’. Enfin, il y a les utilisateurs qui ont en tout temps ‘subverti’ les technologies pour les adapter à leur besoin. La technologie est donc bien un terrain de lutte, ou des influences variées essayent d’adapter les fonctionnalités à leurs propres besoins.

Prenons l’exemple d’Internet. A l’origine, Internet est né de l’idée de militaires qui cherchaient des moyens de communications pouvant survivre à une destruction nucléaire. Puis ce sont les scientifiques qui ont repris l’idée pour en faire un réseau de partage des connaissances. Tim Berners-Lee, en inventant le World Wide Web, a ensuite crée une couche civique, qui a démocratisé l’Internet. Enfin est arrivé le commerce, qui est venu se greffer dessus et a fait tout pour qu’il y ait des contrôles, de la surveillance sur les accès utilisateurs, etc.

Internet n’est donc pas quelque chose de simple ; il y a des aspects P2P, des aspects décentralisés, des aspects centralisés, et ce sont ces couches successives qui ont fait que l’on a aujourd’hui un système finalement assez contradictoire dans son idée sous-jacente. La blockchain suit le même chemin des différentes couches de développement et de leurs motivations contraires.

Dans la blockchain, une chose m’intéresse en particulier : la promesse d’une nouvelle organisation. Il faut bien comprendre qu’Internet a pourtant déjà fait baisser considérablement les coûts de l’auto-organisation humaine, et que les individus n’ont pas attendu la blockchain pour commencer à s’organiser ; certaines études témoignent d’une croissance exponentielle des organisations citoyennes depuis une dizaine d’années. Cela étant, si nous n’avons pas besoin de la blockchain pour nous auto-organiser, celle-ci peut renforcer ce mouvement.

A mon sens, la blockchain peut représenter une deuxième couche, une seconde baisse des coûts de publication, de communication, de transaction. En créant une banque de données universelle, en créant une sécurité universelle, la technologie a le potentiel de faciliter encore davantage l’auto-organisation humaine. C’est une seconde vague d’accélération qui pourrait se dessiner, et en ce sens, il serait intéressant que des forces disons progressistes, ou émancipatrices, qui sont concernées par des valeurs comme la durabilité de la planète et une équité dans la distribution de la richesse, apprivoisent et s’approprient à leur tour le potentiel de la blockchain.

Mais dans ce cas la blockchain revêt une coloration différente. On quitte en effet le technocratique et l’individu, pour entrer dans le domaine des coopératives, des communautés productives pour soutenir des domaines comme la pêche ou l’agriculture éthiques. Dans cette approche, on réinvestit le collectif et il y a une forme de gouvernance démocratique. La blockchain pourrait être utilisée pour automatiser les accords de ces organisations-là.

On peut également trouver à la blockchain un potentiel intéressant autour de la transparence. Aujourd’hui, il existe deux principales façons dans nos sociétés d’allouer les ressources : en faisant choisir l’Etat, c’est-à-dire hiérarchiquement, ou en faisant choisir le marché, c’est-à-dire compétitivement. Mais lorsque l’on atteint un système véritablement transparent, une troisième option émerge de façon très forte : la coordination mutuelle libre.

Cette coordination mutuelle libre est déjà en action sur Wikipédia et pour Linux. L’économie de l’immatériel connait donc déjà ce qu’on appelle la stigmergie, cette possibilité pour chacun de gérer son propre effort et donc de collaborer, et ce parce que tous les signaux sont lisibles. En appliquant la transparence à la comptabilité ou à la logistique, et c’était la proposition du Livre Blanc de Provenance par exemple, il devient théoriquement possible grâce à la blockchain de passer à une économie matérielle qui fonctionne elle aussi selon le principe de la coordination mutuelle libre.

C’est une vision à mon sens très émancipatrice, puisqu’elle permet l’émergence d’un système où chaque individu peut librement allouer son temps et son énergie, et la création du même coup des ressources partageables.

Ce qui m’intéresse dans la blockchain, c’est donc son potentiel d’encapacitation ("empowerement") de l’organisation collective de l’humanité.

Des projets comme ArcadeCity, ou Backfeed, sont des projets qui peuvent être interprétés sous cet angle-là. Pour qu’ils se multiplient, il est important d’aller éduquer les forces égalitaires au potentiel de la blockchain. Car dans la blockchain comme ailleurs le constat est le même : aussi bien les investisseurs à risques que les défenseurs de l’idéal propriétaire et libertarien se montrent toujours plus rapides dans l’adoption de la technologie que d’autres parties de la société. L’enjeu de la blockchain est de s’assurer qu’elle ne s’engage pas dans une voie unique, celle de l’individu atomique et égocentré, mais qu’elle investisse bien, aussi, des valeurs qui sont celles de liberté, d’égalité de fraternité.

Les deux visages de la blockchain - Michel Bauwens, Théoricien du pair-à-pair, Fondateur de la Peer-to-peer Foundation
Commenter  J’apprécie          21
Mon approche, c’est le rejet de ce qu’on peut appeler le déterminisme technologique. Ce déterminisme, que l’on appelle aussi les approches technocratiques, c’est une croyance selon laquelle la technologie est univoque. Ce discours consiste à dire : parce que demain nous pourrons techniquement faire ceci ou cela, alors nécessairement notre société sera comme ceci ou comme cela. C’est le genre de discours par exemple que peut tenir Jeremy Rifkin dans son livre The Zero Marginal Cost Society, où il associe la montée en puissance de l’Internet des Objets et des économies collaboratives avec un déclin du capitalisme. Or à mon sens la technologie ne peut pas être univoque ; il est extrêmement important de la problématiser.

Je vais donc essayer de problématiser la blockchain dans cette optique. Il me semble que l’on peut en dire à la fois du bien, et du mal. Je vais commencer par la critique, avant de développer ce qui me plait dans cette innovation.
J’avais donné en 2014 pour Ouishare une keynote dans laquelle je proposais une analyse politique de la technologie. Pour qualifier les technologies Pair à Pair (P2P), j’avais réalisé une simple grille à double entrée. Première entrée du tableau: une technologie peut soit être sous contrôle central et globale, soit décentralisée et donc locale. Deuxième entrée, elle peut avoir soit un but de profit, soit un but social. J’avais mis dans ce tableau un certain nombre de technologies P2P.

Une technologie à la fois P2P, sous contrôle centralisé, et avec un but de profit peut bien sûr paraître contre-intuitive, mais Facebook en est un bon exemple. Avec Facebook, plus de 2 milliards de personnes peuvent se connecter en P2P, ce qui crée de formidables capacités d’auto-organisation ; pourtant, les utilisateurs ne contrôlent ni le design, ni les données, et l’entreprise en capte tout le profit monétaire.

La blockchain, elle, à cause de son association avec Bitcoin, se place dans un autre croisement. A mon sens, elle est pour l’instant une technologie P2P dédiée au profit et avec un contrôle décentralisé : c’est ce que j’appelle le capitalisme distribué.

Ce n’est pas un secret : Bitcoin est très influencé par la théorie politique qu’on appelle anarcho-capitaliste (qui est aussi un anarcho-totalitarisme, puisque ce mouvement prône le marché total, et par une théorie économique qui est l’école de Vienne, celle de Friedrich Hayek). Tout le design du Bitcoin, on le voit, est tourné vers l’intérêt personnel : j’investis dans le bitcoin car je pense que sa valeur va augmenter. Cette vision, ce rêve politique tourné vers soi, rejaillit de la genèse du Bitcoin sur chaque Blockchain qui le suit ; nombre de gens s’approchent du Bitcoin et de ses dérivés précisément à cause de ce rêve politique là.

C’est dans ce rêve même que se tient ma critique de la blockchain, car ce rêve politique est une vision hyper-individualiste. Ce qu’il figure, ce sont ces individus atomisés, séparés absolument, qui créent des contrats entre eux, en fonction de leurs volontés individuelles. A première vue, rien de problématique là-dedans puisque c’est ce qu’est Bitcoin par essence.
Mais la réalité, c’est que la société ne marche absolument pas comme cela. Aucune société ne le fait. On naît toujours quelque part, dans un contexte, dans un ensemble, avec des parents. Il y a toujours du collectif ; ce collectif présent dans les faits, il disparaît dans cette idéologie Bitcoin, dans ce rêve politique et dans ses développements technologiques.
Sans argent, dans le Bitcoin, on ne joue pas. Un paysan de l’Utthar Pradesh [Etat indien] n’a pas 450 dollars pour s’acheter un Bitcoin, ni même une fraction de Bitcoin. Il y a dans l’idée de Bitcoin une certaine démocratisation de la rente, par le biais de la spéculation. Le rêve n’est pas d’abolir les revenus spéculatifs et le pouvoir de bénéficier d’une rente divorce de la spéculation, mais d’ouvrir l’accès à ce jeu-là. C’est le rêve de Thatcher et de Reagan qui ont voulu la propriété immobilière et la participation de tous comme actionnaires.

La blockchain dans ce contexte bien spécifique a donc un message simple à faire passer : nous en avons fini avec l’Etat et nos autres organisations, et nous pouvons désormais créer de la confiance sans passer par des systèmes démocratiques et sans avoir confiance en personne ; la confiance est placée dans la cryptographie, dans l’algorithme, dans la technologie.

En ce sens, je trouve la blockchain dangereuse. Parce que ce qu’elle nous annonce, c’est un totalitarisme libertaire, effrayant, terrible. Cette politique "cachée" qui se tient derrière le Bitcoin, c’est elle que je critique. Si la question est celle de la confiance, alors il existe d’autres philosophies que l’on peut opposer à la Trustlessness, en particulier celle de la Trustfullness : c.a.d. j’ai confiance en toi, tu as confiance en un tiers, et donc j’ai confiance en ce tiers. C’est par exemple du système Couchsurfing, c’est la ‘mise en échelle’ de la confiance (scaling trust), aussi appeler le web of trust, l’internet de la confiance. Voilà à mon avis une philosophie préférable à celle de la Blockchain. Attention, je ne veux pas dire que ces solutions ne sont pas appropriées dans certains contextes, ce que je vise c’est plutôt la vision sociétale qui se cache derrière, qui veut rendre absolu cette individualisation complète.

Les deux visages de la blockchain - Michel Bauwens, Théoricien du pair-à-pair, Fondateur de la Peer-to-peer Foundation
Commenter  J’apprécie          00
Le premier obstacle, que l’on perd trop rapidement de vue lorsque l’on traite de la blockchain, est le sujet de la confiance.

La blockchain élimine le besoin de confiance entre individus qui interagissent entre eux ; c’est de cette promesse dont parlait The Economist en titrant "Trust Machine" (la machine à créer de la confiance). Ce qui est désormais envisageable grâce à cette technologie, ce sont les échanges commerciaux entre des individus ou organisations qui ne se connaissent pas et qui ne se font pas confiance en amont, sans nécessiter d’opérateur centralisé ou de tiers de confiance. Et cela va bien plus loin encore dans des domaines encore assez peu explorés mais qui seront fondamentaux demain, comme l’Internet des Objets et la communication entre humains et machines ou machines-machines.
Mais derrière cette promesse, il existe une réalité qu’on ne peut pas ignorer : malgré tout, dans le cadre des interactions humaines les individus ressentent tout de même souvent l’envie de savoir qu’ils peuvent faire confiance à autrui. Lorsque je loue un espace sur Airbnb, la transaction n’est pas purement comptable ou financière : elle touche à quelque chose de plus important, à savoir le besoin de placer une certaine confiance en la personne avec qui je vais contracter.

Ma conviction est donc la suivante : plus le curseur de la confiance sera déplacé sur la technologie, plus il sera nécessaire de développer des relations sociales et des organisations pour appuyer et certifier cette confiance. Dès que la technologie va nous amener vers des applications plus sociales, ou qui impliquent des relations humaines, il deviendra nécessaire de développer au-dessus de la blockchain une nouvelle couche, un nouveau protocole, qui permettra de gérer les relations humaines et de réintroduire cette confiance. Sans cette surcouche, la blockchain ne parviendra pas à prendre en charge avec succès toutes les applications qu’aujourd’hui on projette parfois un peu vite dans un avenir proche.

Il s’agit donc du premier obstacle. Le second est celui de la gouvernance.
Le bénéfice d’une technologie décentralisée ne peut être totalement exploité que si l’on arrive à déployer au-dessus une gouvernance décentralisée. La blockchain ne pourra pas concurrencer les marchés ou les organisations traditionnelles et ne sera pas non plus un commun ou un outil de gestion des communs sans modèle de gouvernance approprié.
Ce qu’il est nécessaire de construire, c’est donc une nouvelle couche de gouvernance au-dessus de la blockchain. Elle partira de l’idéologie de l’open source, mais devra nécessairement inclure un processus de récompense, pour inciter le plus grand nombre à rejoindre la blockchain et à la développer pour la rendre compétitive vis-à-vis des autres systèmes.

C’est tout le projet de Backfeed. Backfeed est un protocole en développement qui se fonde sur un système de réputation et de gouvernance décentralisée, pour obtenir à une autre échelle et sur un fonctionnement humain la coordination horizontale –la stigmergie- des différentes organisations présentes dans la nature. Concrètement, cette gouvernance est assortie d’un mécanisme de création et de redistribution de la valeur, qui dépend de la valeur effectivement apportée par des individus dans un projet ou une organisation : plus j’apporte relativement aux autres de valeur ajoutée au projet auquel je participe et qui utilise Backfeed, plus mon influence et mes gains tirés du projet seront importants.

L’objectif de Backfeed, c’est donc d’obtenir une couche d’interaction humain- humain au-dessus d’un protocole qui permet naturellement le dialogue des machines, et de transformer la blockchain, qui est - on l’a vu - une organisation spontanée fonctionnant sur des principes de marché, en une organisation en propre, tournée vers des buts bien déterminés. Tant qu’une telle entreprise n’aura pas réussi, le potentiel de la blockchain ne pourra pas être totalement réalisé.

C’est pour cela que les DAO, les Organisations Autonomes Décentralisées, sont si importantes.

En permettant à des individus de se coordonner de façon décentralisée et de coopérer pour fournir un service dont ils vont bénéficier eux-mêmes, ces applications décentralisées collaboratives se développeront de façon plus autonome encore que ne le font les applications blockchain "classiques". En effet, outre la figure de l’intermédiaire, les DAO s’attaqueront à un autre tiers de confiance, à savoir les administrateurs.
Gérées par des logiciels, basés sur la blockchain, et indépendantes de toute intervention humaine, elles éviteront les principaux écueils des organisations verticales, tout en assurant leur autosuffisance et donc leur résilience. En effet, la grande force des DAO est leur capacité à aller récupérer les ressources nécessaires à leur propre survie – par exemple, pour payer elles-mêmes un loyer sur la blockchain. Cette force et cette résilience promettent donc une nouvelle étape dans la conception d’une organisation distribuée. Mais ce n’est pas leur seul avantage : elles permettent également de mettre en lumière les enjeux juridiques fondamentaux des technologies blockchain.

Perspectives et enjeux des blockchains de demain - Primavera de Filippi, Chercheuse au Cersa (CNRS) et au Berkman Center for Internet & Society à l'université d'Harvard
Commenter  J’apprécie          00
Ce qui paraît très clair lorsque l’on observe la blockchain, et notamment le projet d’ordinateur global d’Ethereum, c’est que la blockchain ne constitue pas simplement une "nouvelle technologie", c’est-à-dire en économie classique une simple transformation des facteurs de production et une hausse transversale de la productivité. Elle possède une capacité de transformation à même de proposer de nouvelles formes d’organisation et de gouvernance économique.

Prenons les marchés : ce sont des organisations décentralisées qui ont montré leur efficacité pour la gouvernance de systèmes qui reposeraient simplement sur des contrats ponctuels, c’est-à-dire pour une économie qui se concentrerait sur de simples échanges entre les entités qui la composent. Mais dès que l’activité économique a besoin de coordonner des investissements sur le temps long, met en contact régulièrement les mêmes acteurs, ou fait face à des éléments totalement imprévisibles qu’on ne peut pas traduire par des contrats, on s’aperçoit que le marché ne suffit pas, et on en revient à d’autres modes d’organisations, par exemple plus hiérarchiques.

Ainsi jusqu’à il y a peu, on considérait que la transaction "travail contre salaire" avait davantage vocation à exister au sein d’une entreprise que sur un marché, même si l’économie de plateforme est venue revisiter cet a priori. Demain, les caractéristiques des blockchains pourront leur permettre d’abriter à leur tour un certain nombre de transactions aujourd’hui réalisées dans les entreprises, sur les marchés ou ailleurs, voire permettre des transactions qui jusqu’ici n’existaient pas faute de structure appropriée.

Sous cet angle-là, les blockchains sont donc concurrentes des organisations. Pourtant il est difficile de les qualifier elles-mêmes "d’organisations" ; comme l’expliquent S. Davidson et J. Potts dans un récent travail, les blockchains sont davantage ce qu’on appelle des "organisations spontanées", avec des caractéristiques proches des marchés, mais sans l’être tout à fait puisqu’elles permettent et facilitent des transactions qui vont plus loin que le simple échange. Elles se rapprochent en fait de ce qu’Hayek décrivait dans les années 1960, sans connaître bien sûr la blockchain, comme une catallaxie, un ordre spontané particulier qui répond à une diversité de besoins individuels dans le respect notamment de la propriété et des contrats.
Pourtant, une fois encore, on ne peut pas réduire les blockchains à cette vision- là.

Si l’on se penche sur l’histoire des biens communs par exemple, on s’aperçoit que la blockchain fait tout-à-fait sens dans une telle grille de lecture. Historiquement, on peut dire que les Communs 1.0 se sont concentrés sur les ressources naturelles communes (forêts, systèmes d’irrigation...), tandis que les Communs 2.0 ont cherché à analyser les communs de l’information et du savoir (notamment dans les secteurs du numérique, comme les logiciels open-source ou le Pair-à- Pair). Les Communs 1.0 ont prouvé la possibilité d’une gouvernance efficace à petite échelle sur ces sujets, tandis que les Communs 2.0 ont démontré que les enjeux d’image et de réputation pouvaient permettre de dépasser les problèmes de "passagers clandestins" pour parvenir à une gestion durable des biens publics.

Dans cette perspective, la blockchain peut apparaître comme un Commun 3.0, en ce qu’elle propose une solution technique (le consensus cryptographique) à un problème simple : comment faire coopérer à large échelle un groupe dans l’optique d’une production concrète, tout en maintenant les bénéfices d’une gouvernance qui respecte les principes des communs ? La difficulté du passage à l’échelle de la gouvernance peut être résolue par la blockchain, qui constitue elle-même un commun de par son code open-source, et grâce à laquelle la gouvernance peut se fonder par le biais de "smart contracts" directement inscrits et sécurisés par la technologie - pour peu que ces règles inscrites dans la blockchain respectent les règles de la gouvernance des communs, comme par exemple les 8 principes définis par Elinor Ostrom.

La blockchain est donc bien plus qu’une simple nouvelle technologie dans une économie faite de marchés et d’organisations. Si on considère par exemple un complexe formé à la fois d’Ethereum, de Backfeed [un système de gouvernance décentralisée sur la blockchain] et d’une communauté, qu’est-ce que serait finalement la blockchain ? La réponse est du côté d’une organisation spontanée, qui s’auto-organise avec les propriétés de coordination d’un marché, les propriétés de gouvernance d’un commun, et une capacité de prise de décision semblable à celle d’un Etat.

Perspectives et enjeux des blockchains de demain - Primavera de Filippi, Chercheuse au Cersa (CNRS) et au Berkman Center for Internet & Society à l'université d'Harvard
Commenter  J’apprécie          00
Il existe dans la nature des exemples impressionnants de ce que l’on appelle l’intelligence collective. Les termites, par exemple, qui travaillent ensemble à l’établissement de leurs immenses monticules ; ou les oiseaux migrateurs, qui fonctionnent en parfaite coordination sur des distances phénoménales sans que nulle part un être ou un groupe d’individus n’émette d’ordre à ce sujet.

On sait aujourd’hui que cette coordination est produite indirectement, par le fonctionnement et la lecture notamment de traces, y compris hormonales. C’est donc la lecture a posteriori de ces traces laissées par les autres membres du groupe qui permet l’émergence de ce qu’on appelle "l’intelligence collective", sans que nulle part on ne puisse vraiment rencontrer cette intelligence elle-même. Les biologistes l’appellent la stigmergie. Elle est à la fois le fruit de la somme des intelligences individuelles du groupe, et plus que cela à la fois.

Cette idée d’agréger une multitude de petits travaux individuels pour réaliser quelque chose de supérieur à la somme des parties n’est certes pas nouvelle pour les humains, qui se sont très tôt constitués en organisations destinées à accomplir certains objectifs. Mais si on se penche sur les réalisations les plus imposantes et les plus immédiatement visibles, les Pyramides d’Egypte ou des domaines Aztèques, la Grande Muraille, le Colisée, et plus récemment nos gratte-ciels partout dans le monde, on constate qu’aucune n’est le fruit d’une intelligence collective humaine. Elles sont pratiquement toujours le fruit des ordres données par une ou plusieurs personnes, bien souvent complètement absente de la mise en œuvre technique.

Aujourd’hui le mode de décision prôné dans la majorité des discours est devenu celui du marché, du Winner takes all, réputé plus efficient qu’une prise de décision hiérarchique. Pourtant, la compétition (puisque c’est elle qui est au cœur de la logique de marché) n’est pas toujours le meilleur moyen d’allouer les ressources. On peut prendre comme exemple très simple la Recherche et Développement sur les sujets pharmaceutiques, aujourd’hui compartimentée en autant de silos qu’il existe de laboratoires, tous lancés dans une course dont les termes sont simples: le premier qui dépose le brevet gagne. Se demander si la mutualisation des ressources et des hommes sur ces sujets-là ne serait pas meilleure pour le bien public, c’est prendre conscience des limites de la gouvernance systématique par le marché.

La question qui se pose est donc de savoir s’il nous est possible, à nous humains, d’atteindre en partie cette forme d’intelligence collective déployée par d’autres espèces, et de l’appliquer à des buts plus ambitieux que la création d’une termitière. Ce ne serait pas la première fois que l’on imiterait la nature dans ce qu’elle sait le mieux faire. Elle nous a donné envie de voler ; pourrait-elle nous conduire vers des formes d’organisations plus horizontales et plus efficientes ?

A mon sens, la blockchain est un outil capable de nous amener vers cette intelligence collective.

Perspectives et enjeux des blockchains de demain - Primavera de Filippi, Chercheuse au Cersa (CNRS) et au Berkman Center for Internet & Society à l'université d'Harvard
Commenter  J’apprécie          30
Les décisions techniques prises aujourd’hui auront donc un impact sur nos sociétés demain. Il n’y a pas de technologie neutre. La blockchain est un outil qui peut être employé pour le meilleur comme pour le pire. Il faut donc comprendre que faire du code revient à faire de la politique : la blockchain peut tout aussi bien être une technologie de libération et d’émancipation qu’être reprise par les pouvoirs en place pour renforcer le cadre actuel. En conséquence, il est essentiel de commencer à réfléchir aux implications éthiques de la blockchain, aujourd’hui trop souvent oubliées : qui va bénéficier de cette technologie ? Qui y aura accès? Qui pourra la contrôler ? Quels seront les rapports de force qui se développeront? Quels acteurs se renforceront et s’affaibliront ? La blockchain favorisera-t-elle l’émergence d’une société plus juste, ou renforcera-t-elle les écarts entre ceux qui ont le pouvoir et ceux qui ne l’ont pas ? Les décisions prises aujourd’hui définiront le futur de la blockchain, et ce futur déterminera une partie importante de l’avenir de notre société.

Perspectives et enjeux des blockchains de demain - Primavera de Filippi, Chercheuse au Cersa (CNRS) et au Berkman Center for Internet & Society à l'université d'Harvard
Commenter  J’apprécie          00
Cela étant, même s’il existe peut-être actuellement une "hype" autour de la blockchain, son potentiel, lui, est bien réel. La blockchain, grâce à sa capacité d’horizontaliser le monde, est en effet de nature à renforcer la révolution anthropologique que nous vivons. Cette tendance se pressent depuis quelques temps déjà ; il est notamment de plus en plus question d’organisations agiles et de modèle holacratique, qui obligent les entreprises à devenir plus plates, poussées par la révolution digitale. Les conséquences de cette transformation sont majeures, notamment dans un pays comme la France qui reste fasciné par l’élitisme, la verticalité, et la vision d’un pouvoir quasi-thaumaturge, auquel nous sommes trop coutumiers.

La terre est plate : sa géographie n’a plus d’importance. Ce qui compte désormais est la capacité d’empowerment des communautés, qui nous oblige à repenser l’organisation des sociétés humaines. "Il n’y a rien de plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue" affirmait Victor Hugo. Avec le TCP/IP et la blockchain, il existe maintenant des technologies capables de faire cette révolution anthropologique. A nous de faire en sorte que cet aplatissement du monde devienne réel.

La blockchain, une horizontalisation du monde - Gilles Babinet, multi-entrepreneur, Digital Champion de la France à la Commission Européenne
Commenter  J’apprécie          00
La blockchain n’en reste pas moins un outil au potentiel important pour mettre en place des systèmes plus sûrs, plus intuitifs et plus collaboratifs, capables de créer un système assurantiel recentré sur ses utilisateurs.
Commenter  J’apprécie          60
Le premier enjeu est un enjeu de scalabilité, c’est-à-dire de passage à grande échelle. La blockchain n’est actuellement pas encore véritablement mature. En termes de blockchain publique, la blockchain Bitcoin est considérée comme la seule véritablement robuste à l’heure actuelle, même si celle d’Ethereum progresse rapidement. Cela étant, la blockchain Bitcoin présente des contraintes techniques qui freinent un éventuel déploiement massif et généralisé (ce qui n’est pas forcément son but d’ailleurs) : citons ainsi le temps de dix minutes pour valider une transaction, qui permet d’assurer une sécurité du réseau mais qui n’est pas adapté pour utiliser le bitcoin en tant que moyen de paiement courant, ou encore la limite des sept transactions maximum par seconde, à comparer aux 2000 en moyenne d’un réseau comme Visa.

En lien avec ces limites techniques figure un enjeu de gouvernance. Les choix technologiques du bitcoin sont en effet décidés par sa communauté. Celle-ci connaît périodiquement des débats voire des conflits sur les décisions à prendre. Début 2016, les acteurs du bitcoin se sont ainsi divisés entre les partisans d’une augmentation de la taille des blocs (limités à 1 mégaoctet à l’heure actuelle) et les défenseurs d’une réduction de la taille de chaque transaction. Parmi ces derniers, certains plaident également pour la création de "sidechains", des blockchains secondaires rattachées à la blockchain originelle qui géreraient notamment les micro-transactions, sans que cette proposition ne fasse elle non plus le consensus. Les débats sont donc aujourd’hui loin d’être tranchés et conditionneront le développement à venir du bitcoin.

A tout cela s’ajoute plus globalement un défi majeur pour les blockchains : parvenir à créer une expérience utilisateur qui leur permettrait d’être utilisée par tout un chacun. Nous en sommes encore loin aujourd’hui mais il s’agit avant tout d’une question de temps, de la même façon que le réseau Internet a préexisté au Web (la principale application d’Internet, qui permet la publication et consultation de documents - textes, sons, images...- et qui utilise les techniques de liens hypertextes) et aux navigateurs internet.

Par ailleurs, un autre enjeu essentiel réside dans la consommation énergétique, très élevée, des blockchains utilisant le système du proof-of-work – c’est-à-dire Bitcoin en premier lieu, et Ethereum jusqu’à 2017, avant le basculement vers un système alternatif intitulé proof-of-stake justement pour réduire cette consommation. Si aucune étude scientifique et académique n’a pu évaluer précisément l’impact du proof-of-work sur l’environnement, il est en tout cas certain que ce processus de sécurisation du réseau passe, par nature, par un gaspillage d’électricité très important. Le développement des blockchains ne pourra s’exonérer de cette question-là.

Enfin, s’ajoutent à tout cela des questions juridiques et éthiques majeures, par exemple en termes de responsabilité, sans parler des enjeux plus culturels et humains liés à l’acceptation des concepts sous-jacents à la blockchain, qui redéfinissent un certain nombres de paradigmes actuels.
Commenter  J’apprécie          40
Une DAO (Decentralized Autonomous Organization) est un logiciel, un programme, fonctionnant sur la blockchain, qui fournit des règles de fonctionnement et de gouvernance à la fois transparentes et immuables, à destination d’une communauté s'organisant autour d'un objectif commun. Elle a pour but, à la manière d'un fond d'investissement classique, d'évaluer des projets qui lui sont soumis, de décider collectivement avec les détenteurs de jetons de la DAO de financer ou non ces projets, et de distribuer les risques et récompenses qui y sont relatifs.

Une DAO est donc en quelque sorte à la croisée du crowdfunding, du fond d’investissement et de la fondation. "Il s’agit d’une organisation incorruptible qui appartient aux personnes qui ont aidé à la créer, à la financer, et dont les règles sont publiques." détaille Stephan Tual, cofondateur de Slock.it. "Il n’y a donc pas besoin de faire confiance à qui que ce soit, tout étant dans le code, auditable par chacun.".

La première véritable DAO a été lancée fin avril 2016 à l’initiative d’une communauté de développeurs parmi lesquels les fondateurs de Slock.it. Elle est devenue en moins de dix jours la deuxième plus grande campagne de crowdfunding jamais réalisée. Les DAO sont considérées comme l’une des applications les plus prometteuses de la blockchain, même si nous n’en sommes encore qu’à ses débuts.
Commenter  J’apprécie          00



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Blockchain France (1)Voir plus

Quiz Voir plus

On entend les noms d'écrivaines et d'écrivains

Elle correspondit sans discontinuer avec Madame Bovary à partir de 1863.

George
Louise
Mathilde
Pauline

12 questions
119 lecteurs ont répondu
Thèmes : Écrivains français , 19ème siècle , 20ème siècle , 21ème siècleCréer un quiz sur cet auteur

{* *}