Bruno Humbeeck

Trump, par exemple, n'a rien d'un clown dont il ne faudrait pas se méfier. Le rire qu'il provoque n'est ni joyeux ni inclusif. C'est un véritable bouffon, le pur produit d'une mascarade qui ne s'exprime que dans le chaos et cherche, à travers l'autoritarisme et dont il se revendique et en avançant souc ouvert d'humour, à prendre le pouvoir qu'il dénonce. C'est cela, cette absence de sérieux apparent dans un jeu politique ambigu, qui rend dangereuse la stratégie du bouffon.

Le lieu d'expression favori du rire de mascarade du bouffon, ce n'est pas le cirque, c'est le carnaval ou le charivari. Il définit un espace chaotique et propage un rire subversif et moqueur qui, derrière le masque figé, autorise le rictus crispé. Le carnaval, comme le charivari, autorise de cette manière l'humiliation et donne à la moquerie ad hominem un lieu d'expression privilégié.

Trump [...] n'a rien d'un clown dont il ne faudrait pas se méfier.

Le rire n'est absolument pas, nous l'avons dit, le propre de l'homme.

... le rire s'immisce partout en politique, pour le meilleur comme pour le pire. Il est donc temps de le prendre suffisamment au sérieux pour éviter que la farce, en aveuglant nos cerveaux, ne nous pousse à donner trop de pouvoir à des individus davantage préoccupés par l'idée de singer la puissance que par celle de gouverner avec sagesse et intelligence.

Ce qui est sans doute nouveau, c'est l'idée que le clown ou le bouffon, au lieu d'utiliser les enjeux des luttes stratégiques en grossissant le trait pour démontrer à quel point ils peuvent prêter à rire ou manifester l'idée que les rêves de chacun pourraient, temporairement et potentiellement, s'inverser parce que le pouvoir est par nature instable, ne se contentent plus de singer l'autorité, mais revendiquent d'être investis d'une part de celle-ci.

La démocratie en virant à l'émocratie a ainsi mis le rire, tissé d'humour et de moquerie, dans une posture paradoxale qui l'amène, en dénonçant le pouvoir, à s'en emparer.

Nietzsche ne va pas simplifier le débat en affirmant haut et fort que la forme la plus aboutie du rire se réalise dans son alliance avec la sagesse pour constituer ce qu'il appelle le gai savoir.

Pratiquer l 'humour, c'est "avoir de l'esprit". Davantage qu'un objet de condamnation, l'humour est donc devenu une excellente opportunité d'étudier les mouvements de l'esprit humain.

... Rabelais, c'est de l'humour intellectuel incorporé ou de la farce corporelle intelligente, c'est le corps et l'esprit réconcilié dans un rire burlesque qui reste populaire tout en parlant néanmoins aux élites.

Quand un Dieu qui se prétend unique se fait représenter sur terre par un fils divin amené à lui donner chair ou un prophète chargé de parler en son nom, il le mutile aussitôt de toute forme de comique trivial. Jésus-Christ crie parfois, mais ne rit pratiquement jamais, tandis que Mahomet est à peu près aussi sérieux que lui.

Jésus-Christ crie parfois, mais ne rit pratiquement jamais, tandis que Mahomet est à peu près aussi sérieux que lui.

Un Dieu seul, à moins d'être fou ou réduit à l'état de bébé, ne rit pas.

Un Dieu seul, à moins d'être fou ou réduit à l'état de bébé, ne rit pas. Les religions monothéistes accouchent de dieux ultra-sérieux - à moins que ce ne soit le contraire, à savoir les dieux ultra-sérieux qui feraient naître les religions monothéistes. Le rire agressif ou convivial est généralement proscrit au profit du sourire mieux adapté aux conduites de sagesse ou de soumission au dieu unique qu'elles préconisent.

Le carnaval produit un déchaînement chaotique qui inverse la peur et la transfigure en exaltation partagée Le rire, derrière le masque, vient couronner ce mouvement collectif que la danse et la musique ont provoqué. Nul n'imagine un carnaval silencieux et l'absence de rire et de sourire aurait vite fait de le transformer naturellement en procession funèbre.

Le rire cynique, sous forme de raillerie provocatrice, décape la réalité en la soumettant au joug d'un regard ironique extrême qui en souligne le caractère profondément désespérant. Le rire sceptique, plus policé et moins désenchanté, aboutit à la corrosion de l'ironie socratique qui, sans le décaper complètement, égratigne le réel pour le contraindre à livrer tot son sens; Le rire grec archaïque, fou, insensé et bruat signait que la quête du lien prenait le pas sur la quête de sens. Le rire grec classique, domestiqué, intellectualisé, réfléchi, traduit le mouvement inverse à travers lequel la quête de sens fait passer au second plan la quête de lien.

Platon [...] recommande un usage parcimonieux du rire qui "enlaidit" le visage - au point que les artistes grecs , soucieux de perfection, ne représentent jamais de visages rieurs - et les pythagoriciens, prescrivant une face de carême", s'accordent avec les stoïciens pour proscrire le rire qui ne s'apparente selon eux qu'à une façon de glisser dans la vulgarité et de s'empêtrer dan la anfe des bas instincts.

La mise en scène comique d'Aristophane apparait ainsi comme une forme d'insulte ritualisée (J. Wilkins) dont la charge agressive est sans limite. Les philosophes, les politiques et le peuple, en général, en prennent pour leur grade. Ils sont littéralement traînés dans la boue et même davantage quand le logos scatologique de l'homme de théâtre grec se fait plus cru. Bref, Aristophane pousse le sarcasme à un niveau que les scénaristes de South Park n'auraient pas désavoué. L'agressivité provoque un rire dur et brutal qui ne sera policé et réorienté vers des cibles plus privées que bien plus tard quand l'autorité politique sentira le besoin de protéger les valeurs civiques.

... il est tout aussi important de concevoir par quel parcours individuel l'enfant en est venu à mélanger l'humour et la moquerie que de comprendre de quelle façon l'être humain tout au long de son histoire collective a paru tiraillé entre ces deux formes bien distinctes de rire qui tendent pourtant parfois à se confondre l'une avec l'autre.

Le déni de la mort, caractéristique de nos sociétés hédonistes, favorise l'achèvement postmoderne des morts vivants partout où, en films ou en séries, ils trouvent l'occasion de se manifester. L'automatisme ambulatoire, le visage fossilisé du zombie et l'impression de transe que le mouvement collectif provoque donnent le sentiment de parodier la vie en donnant à celle-ci une forme à la fois grotesque et carnavalesque. Ainsi envisagés, les films de zombie se constituent d'emblée dans le registre de la parodie.