Bruno Humbeeck

Les histoires de zombies, telles qu'elles sont par exemple popularisées par Romero, ne visent pas, elles non plus, à faire peur mais à produire une métaphore qui rappelle l'omniprésence de la mort en agissant comme un véritable "memento mori".

L'humour est un excellent mécanisme défensif pour faire face à l'angoisse. Il permet en effet de donner une apparence insignifiante à ce qui menace d'écraser de façon à se le rendre inoffensif. En présentant sous un angle incongru tout ce qui est porteur d'anxiété, le recours au comique permet d e neutraliser l'impression d'incertitude que l'on ressent face à tout ce que l'on ne maîtrise pas suffisamment ou qui n'est pas complètement sous notre contrôle.

... Brice de Nice n'est indiscutablement pas que drôle. Il signe en effet le pouvoir absolu que les nantis de tout poil se donnent de rire de tous dès lors qu'ils éprouvent le sentiment d'être au-dessus du panier. Ce rire-là, sous ses airs bon enfant, il faut donc s'en méfier comme du lait sur le feu... Plus en core que celui de South Park qui permettait de rire de tout, cet humour autorise celui qui l'utilise à rire de tous en prenant individuellement chacun pour cible, dans son individualité et en brisant dans l'oeuf son souci d'exister.

Le mutisme et la sidération de celui qui est cassé constituent s indicateurs d'un cassage réussi parce qu'ils révèlent que le sujet ne peut rien opposer à la forme de terrorisme interpersonnel lié à l'exposition brutale au sarcasme dont il a été la cible.

C'est là toute la gageure de l'adolescence : sortir de l'insignifiance et échapper à l'inexistence. Ce combat difficile transforme cette période de vie en véritable combat au cours duquel la pression identitaire se fait intense. Le glandage constitue à cet endroit une forme de résistance passive qui, souvent au prix de douloureux conflits avec l'environnement adulte, permet d'adoucir cette pression identitaire en la diluant dans le temps.

... Brice de Nice nous rappelle en effet à quel point la construction identitaire de l'adomescent postmoderne est de nos jours particulièrement difficile à assumer. Elle impose en effet à chacun de devenir ce qu'il est" en se faisant à la fois le scénariste, l'auteur et l'acteur de sa propre vie.

Voilà ce que Brice de Nice, en singeant l'adolescence, met véritablement en scène : l'existence ultra simplifiée d'un être arraché du temps et de la pression identitaire que la perspective de devenir quelqu'un ne peut manquer d'exercer sur un adulte en devenir quand le monde, épouvantablement complexe, se révèle aussi affreusement anxiogène.

"Je suis ce dont je ris." L'humour adolescent à une incontestable fonction identitaire. Il ne s'agit plus seulement pour l'adolescent de découvrir le monde et d'en rire mais de se découvrir dans ce monde et d'y trouver matière à en rire ou à s'en moquer. C'est pour cela que l'autodérision y coupe une place si importante.

Naviguant entre mêmeté et ipséité, l'adolescent est ainsi confronté à un défi identitaire de taille : devenir lui-même, en demeurant semblable à tous et en se constituant différemment de chacun.

L'adolescence agit un peu comme la levure : elle gonfle tout. C'est pour cela que les adultes qui se risquent à tenter de faire rire un adolescent s'exposent, s'ils le font de manière trop modérée ou inadaptée, à de solides déconvenues.

... toute la problématique. L'humour, quand il est utilisé pour tourner en dérision le plus fort et réduire de cette manière la distance qui le sépare des plus faibles, est incontestablement salutaire. Quand il est, au contraire, instrumentalisé par les puissants pour blesser encore davantage les plus vulnérables dès lor qu'il se réalise au détriment des plus fragiles pour manifester l'arrogance de ceux qui se sentent supérieurs, il devient lourd et ne fait d'écraser ceux qui ne peuvent que plier sous son poids.
C'est pour cela que le rire carnavalesque, en inversant les rôles, prend tout son sens inclusif dans les sociétés inégalitaires au sein desquelles il participe incontestablement à la construction du vivre ensemble mais c'est pour cela aussi que la discrimination, sous couvert d'humour, ou le harcèlement, déguisé en trait humoristique, constituent deux modalités d'exclusion particulièrement préjudiciables à ce même vivre ensemble.

Personne ne s'aime dans South Park et les liens que les personnes tissent entre elles sont essentiellement fonctionnels. Les rapports des uns et des autres sont en outre purement mécaniques; Cet aspect est encore accentué par le stop-motion, l'expressivité limitée des personnages dont le visage est même partout réduit à une photo inerte et l'absence de mouvements corporels qui pourraient rendre possible d'une embrassade ou toute autre forme de manifestation affective, tandis que les relations entre pairs n'expriment aucune tonalité affective positive et suggère un niveau d'empathie proche du zéro absolu.

Bob l'éponge avait lancé le signal pour se donner l'autorisation de rire de tout. Mais il l'avait fait dans un environnement convivial positif et dans un cadre affectif sécurisant, en posant notamment la bienveillance comme règle de conduite intangible du contexte ludique. South Park saute résolument le pas et fait exploser sans état d'âme tous ces garde-fous humoristiques. Avec South Park, il n'est effectivement pas question de la stimulation d'un rire bon enfant, authentique et franc, mais plutôt de promouvoir l'avènement d'un rire dominant, agressif et mordant.

South Park : s'autoriser à se moquer de tout dans un monde où l'incongru est partout

Bob l'éponge : apprendre à rire de tout dans un monde où l'incongru passe pour la norme

C'est exactement ce que prétend Scutenaire quand il affirme que l'humour permet de se tirer d'embarras sans se tirer d'affaire... Cette pensée de surréaliste est celle qui naît subrepticement dans le cerveau de chaque enfant de six ans quand il se met à rire de Scooby Doo et de ses aventures aussi répétitives que rocambolesques ménageant un effet paradoxal de surprise attendue qui maintient continuellement la peur dans le limites de l'humour et permet de s'en rire.

C'est pour cela que les parents ne doivent pas trop se méfier de cette double fonction émotionnelle et récréative des dessins animés.Elle apparaît au contraire essentielle pour aider l'enfant à apprivoiser ses peurs en s'octroyant le droit d'en rire.

C'est parce qu'il anticipe à chaque épisode cette fin hautement prévisible que l'enfant se met en état de rire des peurs incongrues de Sammy et de son chien Scooby qui, l'un et l'autre, servent de caisse de résonance à ses propres émotions. Le cadre affectif sécurisant, le contexte ludique clairement affirmé et la ritualisation répétitive des évènements, tout cela concourt à créer un environnement propice au déclenchement du rire.

Pour faire s'esclaffer un tout-petit, il faut donc mettre le monde à sa portée et, dans un climat affectif et ludique sécurisant, l'assaisonner de quelques incongruités susceptibles de moduler tout ce qui lui paraît familier. C'est là, sans doute, la véritable leçon que nous enseignent les Télétubbies.

... l'apprentissage de l'incongru doit toujours nécessairement demeurer suffisamment sécurisant pour que le comique y creuse son lit.