Citations de Bruno Humbeeck (175)
La gélotophilie (le plaisir d'être l'objet du rire des autres) et l'autodérision ne sont en effet véritablement salutaire que s'ils se greffent, l'un et l'autre, sur une estime de soi suffisamment stable et qu'ils ne constituent pas la seule réponse que l'on se sent capable d'opposer à une moquerie dévastatrice parce que l'on se trouve, face à elle, en situation de complète impuissance.
... l'humour agressif, qui prend la forme de moqueries permet sans doute également une prise de distance émotionnelle mais elle n'entraîne pas un tel remaniement cognitif de l'évènement. C'est pour cela que la moquerie, si elle semble parfois provoquer, à court terme, un effet de soulagement des affects, ne présente, à long et moyen terme, absolument pas les mêmes avantages que l'humour positif.
L'humour apparaît, à cet endroit, souvent très utile pour se "tirer d'embarras sans se tirer d'affaire" (Scutenaire). En effet, il permet à celui qui en fait preuve de retourner à une réalité certes fondamentalement inchangée, mais en se sentant néanmoins plus fort de l'avoir pensé autrement.
... les hommes ont tendance à utiliser davantage la moquerie quand ils ne sont entourés que d'hommes. Ils refreinent par contre leur tendance katagélasticique (le plaisir de se moquer des autres) quand des femmes sont présentes dans le groupe.
Se moquer pour faire obstacle à l'écrasement ou s'opposer à un dominant, c'est souvent une façon psychologiquement salutaire d'entrer en résistance. Cette moquerie ascendante peut même, le cas échéant, se révéler comme un puissant argument de résilience.
L'ironiste, en proposant une "contradiction fictive entre ce qu'il dit et ce qu'il veut faire comprendre" (Pirandello), propose quant à lui d'utiliser des méandres cognitifs pour imposer un questionnement et affirmer par là son pouvoir de faire changer la pensée, l'état d'esprit ou la réflexion d'autrui.
... La moquerie doit nécessairement démontrer son utilité sociale avant d'être considérée positivement. La moquerie a en effet davantage une fonction politique, par la contestation du pouvoir qu'elle autorise de manière plus ou moins larvée, qu'une fonction reliance sociale.
Indépendamment du rire qu'ils déclenchent l'un et l'autre, l'humour et la moquerie n'ont en réalité pas gand-chose en commun l'un avec l'autre. Le premier, par nature bienveillant, renforce le lien social. Le second, par définition offensant et interpellant pour la relation, se constitue clairement comme un vecteur de déliaison an la relation moqueur-moqué.
Le rire provoqué par l'humour dans le rapport qu'il établit avec le temps, illustre parfaitement ce rapport complexe que l'écoulement temporel entretient avec l'événement traumatique et le processus de résilience qui permet de s'en relever. L'humour ne peut pas s'imposer n'importe quand. Trop près de l'événement traumatique, il rouvre la blessure et frappe trop fort. Trop distant du moment du trauma, il se perd dans les limbes de l'insignifiance et ne porte pas.
Les animaux vivent des trauma. C'est incontestable. Il suffit, pour s'en convaincre, de se glisser dans la peau d'un buffle attaqué par une troupe de lionnes. Toutefois, la représentation psychique consécutive au choc leur faisant défaut, les bêtes ne transforment pas leur trauma en traumatisme. Pour qu'il y ait traumatisme, il faut en effet qu'une perception du choc se greffe sur une conscience de soi suffisamment affirmée et une conception suffisamment élaborée du déploiement du trauma dans le temps. La mémoire du soi et de la temporalité dans laquelle celui-ci se réalise est en effet un ingrédient essentiel du traumatisme.
... un homme qui rit seul est naturellement nécessairement un fou.
Les rapports du rire humain avec la bienveillance qui phylogénétiquement lui est naturellement associée, si l'on se réfère exclusivement au rire des singes juvéniles, doivent donc impérativement être examinés si l'on veut comprendre comment et pourquoi il est devenu, au cours de l'évolution, ce redoutable instrument de domination intraspécifique que l'être humain en a fait. Il revient en effet à l'homme d'avoir "réinventé" le rire adulte, de l'avoir confondu avec ce qu'il était tant qu'il demeurait enfantin et d'y avoir adjoint une composante agressive.
Le propre de l'homme n'est donc pas de rire mais de continuer à le faire une fois devenu adulte en emmêlant alors dans un même faciès intentions ludiques et expressions agressives.
... dans sa déclinaison simiesque, l'expression d'hilarité n'existe apparemment que dans une version juvénile. Seuls, en effet, les jeunes singes rient. Le rire adulte chez l'homme constituerait essentiellement à cet endroit une conséquence parmi d'autres de la néoténie consubstantielle à l'espèce. humaine.
Le rire n'est donc pas le propre de l'homme. Il est incontestablement à la portée du singe et demeure également l'apanage de certains dieux. Ce qui est par contre le propre de l'homme, c'est de parler du rire ou de l'utiliser pour dépasser une situation traumatique en faisant preuve de résilience.
L'humour, c'est le saut du possible dans l'impossible
Georges Bataille
(une émocratie suppose que la délégation démocratique du pouvoir est fondamentalement le résultat d'un mouvement émotionnel)
La taille comme obsession, le bruit comme solution et la provocation comme résolution, voilà donc ce qui couve derrière les stratégies des bouffons tentés par l'autoritarisme
... Bernard Tapie, en France, avait déjà initiée [cette stratégie du bouffon[ il y a plusieurs années en introduisant en politique l'image du financier abouti mâtinée de celle de l'homme du peuple capable de manier une langue vulgaire et d'adopter des attitudes populaires. Les grands singes recourent de la même manière à la parade en montrant au groupe leurs parties les plus avantageuses, notamment leurs dents qu'ils découvrent et leurs yeux qu'ils écarquillent, et en dégageant des senteurs déterminantes qui révèlent instantanément leur patrimoine hormonal.
Trump, tout comme Berlusconi avant lui et à l'instar en France de Sarkozy, mise totalement ou partiellement sur la stratégie du bouffon. Celle-ci suppose le recours à un positionnement stratégique très proche de celui que les jeunes primates adoptent lorsque, à travers leurs rictus menaçants, ils miment en montrant les dents leur intention 'agresser tout en suggérant, par une expression faciale ludique et des mouvements corporels expressifs et désordonnés, qu'il s'agit d'une invitation au jeu.