Citations de Carlos Puerta (42)
La poésie immortalise tout ce qu’il y a de meilleur et de plus beau en ce monde. – Percy Bysshe Shelley (1792-1822)
Le corps : objet de fantasme, objet de science. Tout au long du XIXe siècle, le corps brisé, difforme et anormal se donne en spectacle. Alors que la bonne Société parisienne se presse à la Morgue de Paris pour s’enthousiasmer devant la douzaine de cadavres exhibés tous les jours, les freaks victoriens attirent eux aussi les foules au Bartholomew Fair et autres foires. Ces curiosités vivantes en sortent pas uniquement de l’ordinaire ; elles vont à l’encontre des lois de Dieu, de la nature, de la Société, et fascinent les badauds, parmi lesquels bon nombre de scientifiques et de médecins. En gardant les monstres à la marge, ce sont ses propres peurs que la Société tient à distance, comme si l’être inférieur pouvait se mêler à la norme, et donc la corrompre. C’est une période de doute ; les travaux de Charles Darwin sur l’évolution remettent en cause la sacralité de l’homme et font trembler les fondements religieux de la Société. Ces grotesques parodies d’humanité trouveront un écho dans le monstre de Victor Frankenstein, les créatures de Moreau, ou, avec Mister Hyde, le double pervers du docteur Jekyll (notons au passage que Wells était un partisan de l’eugénisme, et donc de la sélection des meilleurs sujets d’une population). Dans le roman gothique, l’homme, incapable de prendre le contrôle de son propre corps, s’acharne à en créer d’autres pour mieux asseoir son autorité suprême. Le corps, objet sacré, doit vivre le plus longtemps possible, et même après la mort.
L’ambition, le désir, la convoitise de ce que possède le prochain nous transforme en animaux. C’est dans la nature, et dans la nature seule, que nous redevenons de nobles prédateurs. Vous avez l’index sur la détente, ou la pulpe de votre doigt brûlant sur la corde que vous vous apprêtez à libérer, et vous sentez la goutte de sueur qui sillonne sur les aspérités de votre front… Mais vous ne bougez pas. Votre proie vous supplie, de la voix, du regard, de ses gestes elle vous supplie. Vous êtes une des Parques, vous êtes un dieu, vous avez le droit de vie ou de mort. Pan !
Je suis un cimetière à moi toute seule.
Voyez-vous, mes amis, Betsy est une malheureuse à qui la vie n’a accordé que très peu de faveurs. Elle est obligée de faire commerce de son corps pour survivre. Quelle ironie d’être une fille de joie quand le destin ne nous réserve que tristesse. Je la soigne depuis longtemps. Je suis devenu son confident. Son confesseur même, depuis que j’entends les choses repoussantes que ses clients l’obligent à faire. Car elle est malade, voyez-vous. La syphilis, que peut-être vous connaissez sous le nom de vérole. Une maladie terrible reconnaissable par des éruptions cutanées… Un peu comme celles que vous avez derrière l’oreille droite, inspecteur. Ou des lésions sur les organes génitaux qui provoquent une certaine irritation que la friction adoucit à peine.
Avec le roman gothique, le savant fou devient une des figures littéraires de la transgression. Il a presque toujours les mêmes caractéristiques : mégalomane, exalté, délirant, tourmenté, se fait appeler maître, est capable d’être son propre cobaye… Bien avant Moreau ou Frankenstein, Icare s’est brûlé les ailes, Niobée est figée en pierre, Prométhée a volé le feu sacré, et Faust s’est déjà affranchi de Dieu en choisissant le Diable. Mais au XIXe siècle, le savant se tourne résolument vers le monde moderne ; la plupart sont des chimistes (la chimie étant la fille de la fausse science alchimique) et des docteurs, nouveaux antihéros mégalomanes qui, au cœur de la littérature gothique, côtoient les vampires sanguinaires et les revenants vengeurs. Le cinéma se chargera bientôt d’en faire un cliché : le laboratoire secret, les étagères de bocaux et de fioles, les appareillages complexes, les expériences étranges. Indissociable de la figure du père, le savant fou engendre une progéniture dégénérée qui n’est souvent que son double. Son hybris, ou son orgueil démesuré, l’empêche de se conformer aux règles sociétales ; il doit alors inventer les siennes. Au-delà de son autorité naturelle en tant que créateur, et donc figure paternelle, c’est aussi par la Loi que Moreau essaie d’annihiler tout instinct primal chez ses créatures. Ces dernières, par exemple, doivent s’efforcer de marcher sur deux jambes, et non quatre : Ne pas marcher à quatre pattes. C’est la Loi… Notons au passage que ces commandements orwelliens seront repris avec une perspective inversée dans La ferme des animaux (1945), avec le Quatre pattes oui, deux pattes non.
Non, monsieur Darwin !! Pas de fausse modestie, car nos aspirations sont les mêmes, à vous et à moi. Nous voulons disqualifier Dieu.
Il est plus facile de tuer un lion qu’une gazelle. Le lion ne s’attend jamais à être une proie. Il est en cela similaire à l’homme. Voilà pourquoi l’homme est le gibier le plus savoureux et le plus dangereux.
Rien, ou si peu. Juste quelques ombres hésitantes et effrayées de s’être fait surprendre par l’obscurité et d’être déjà enveloppées d’un linceul de nuit. Quelques ombres aux mouvements désordonnés qui fugacent vainement mais cimetièrent à grands pas. Kas ! L’âme lutte mais elle n’a plus de prise sur le corps terrorisé. Elle ne peut le raisonner. Elle hurle silencieusement car elle sait maintenant qu’elle ne pourra jamais se détacher de cet amas de chair et de corruption. Que le corps court, court ! Il court à leur perte à tous les deux. Il n’coute plus, il n’entend rien. Il court. Elle qui aspirait à être vient de comprendre qu’elle ne sera pas car il est déjà trop tard.
J’ai tiré une leçon de votre histoire, Mary (Shelley) : le monstre n’est pas celui qu’on croit. Mais je ne serai pas comme votre Frankenstein et je ne tournerai pas le dos à mes créations.
Non fui, no sum, non curo.
Georg n'a pas anticipé la manœuvre de l'anglais et tourne trop tard. De toute façon, notre AEG est moins agile que leur Farman. Je ne peux pas tirer vers l'arrière. Nous sommes sans défense. Il va nous massacrer.
Dieu nous a donné la raison pour nous élever au-dessus des faibles, des lâches et des animaux. Et il a délégué une infirme partie de son pouvoir à ceux qui soignent, guérissent et sauvent. Comme Mithridate, il faut administrer le poison pour être immunisé. Les Grecs avaient ce mot, Pharmakon, qui désignait à la fois le poison et son remède. […] Oui, Mary. Il existe une forme moins virulente de la variole : la vaccine, que l’on retrouve chez les vaches. J’ai prélevé du pus d’une vésicule de vaccine sur le pis d’une vache du Yorkshire, puis je l’ai inoculé à un petit garçon de 8 ans. Le garçon fut pris d’une forte fièvre au bout de quelques jours et, une fois guéri, je luis ai administré sur le bras, la vraie variole. Cet enfant n’a jamais développé la maladie, contrairement à son petit frère qui en est mort l’année suivante. La frontière est ténue entre le médecin et le charlatan. Ils peuvent basculer à n’importe quel moment en dehors du champ de la science, et de la morale. Mais l’audace, Mary, est la ressource des plus grands médecins, des plus grands scientifiques. Être courageux, c’est se décider à affronter le danger. Être téméraire, c’est le braver. Mais être audacieux, c’est savoir le vaincre.
Le vrai savant est celui qui est capable de tirer parti de ses erreurs. L’échec nous enseigne une sagesse plus profitable que l’euphorie du succès. Je nous accorde donc le droit à l’échec. L’expérience de ce soir n’était qu’une péripétie parmi d’autres.
Et c’est la mort, Mary… La mort qui vous accompagne depuis que votre malheureuse mère vous a mise au monde. La mort qui vous a déjà pris deux enfants, et s’apprête à engloutir le troisième. Vous êtes marquée au fer rouge, par l’assourdissant silence de ceux qui vous ont côtoyée. Vous avez volé Percy à Harriet Shelley, sa première femme, qui sans vous ne se serait pas jamais jetée dans la serpentine. Vous avez volé Percy à votre sœur Fanny qui ne s’en est jamais vraiment remise et s’est suicidée deux mois avant votre mariage. Dans vos histoires, vous inventez la renaissance pour occulter le deuil mais vous oubliez que c’est le vide qui vous attend.
Torquay, mai 1815. Quelle est ma faute ? J’ai rêvé ma fille, mon bébé, engloutissant mon sein, la jolie joue prolongeant le galbe de ma poitrine gonflée. J’ai rêvé son regard fixé sur le mien, ses grands yeux bleus comme hypnotisés, sondant le tréfond de mon âme sans un battement de cil. Pour elle, j’étais l’alpha et l’oméga, j’étais l’absolu, j’étais le tout. J’ai rêvé qu’elle était vivante. Quelle est ma faute ? Je me souviens de ce naufrage, l’année dernière. La mer du Nord vomissait les marins du Gottfried Mehn sur la côte de Whitby. Sa langue d’écume léchait les cadavres gonflés qui roulaient en crissant sur la grève. Parmi tous ces corps désarticulés, il y en avait un qui respirait encore. Un vieux matelot qui resta entre la vie et la mort plusieurs semaines durant. L’abîme se refusait à lui. Il respirait, mais ne bougeait plus. Son cœur battait, mais personne ne l’entendait. Et le docteur Cline, ce brave docteur Cline, le ramena à la vie par des frictions, des massages, il le ramena à la vie. Cet homme était vieux, mon enfant était pimpant. Ce marin était laid, mon bébé était un ange. Ce Lazare portait les péchés du monde, ma fille était l’innocence. Pourquoi est-elle morte ? Quelle est ma faute ?
Mais l’homme a le pouvoir de façonner et de modifier la matière. Les êtres supérieurs sont ceux qui en prennent conscience. Ceux qui osent prendre des risques. Ceux qui refusent d’être de simples hommes, ceux qui s’affranchissent de Dieu. Le seul tort de l’homme, finalement, est de ne pas admettre sa mort. Il refuse sa condition animale, contrairement à mes créatures qui lui sont, en cela, infiniment supérieures, car elles ont depuis longtemps accepté leur part d’ombre. Il faut avoir conscience de sa propre mort, sinon à quoi bon vivre ?
La curiosité peut-être… La vanité sûrement.
Etre courageux, c'est se décider à affronter le danger. Etre téméraire, c'est le braver, mais être audacieux, c'est savoir le vaincre.
La poésie immortalise tout ce qu'il y a de meilleur et de plus beau en ce monde.