Cass Hunter

[Rachel] On vit bien et j'essaie de me montrer aussi généreuse et aimante que possible envers Aidan et Chloé. Ce n'est pas toujours facile. Mon travail exige de gros sacrifices, me prend beaucoup de temps et m'occupe l'esprit.
Je sais que, parfois, je ne suis qu'un coup de vent et que Chloé, en particulier, aimerait passer plus de temps avec moi.
Mais je veux aussi qu'elle voie ce que sa mère peut faire. Ce qu'une femme peut faire. Je veux qu'elle sache qu'elle aussi, en grandissant, a la capacité de devenir qui elle veut et de réaliser ses rêves.

— Avance un peu, demanda Rachel.
En soupirant, Luke fit un pas en avant. Il se tenait à présent juste devant le bureau. Rachel marqua un temps d’arrêt, puis effectua un petit ajustement.
— C’est bon. C’est prêt, annonça-t-elle.
— Tu veux que je fasse quoi ?
— Un contact visuel, pour commencer.
Luke leva la tête. Ses yeux étaient d’un bleu profond, bordés d’épais cils noirs.
— Contact visuel établi. Ensuite ?
— Je veux que tu ressentes une émotion puissante. Quelque chose de facilement identifiable. Pense à quelqu’un qui éveille en toi des sentiments forts. Sans me dire quoi.
Luke lui jeta un rapide coup d’œil, prit une profonde inspiration, puis fronça les sourcils pour se concentrer. Il regardait droit devant lui, avec une intensité électrique ; il semblait en avoir oublié de respirer. Rachel ne le quittait pas des yeux. Soudain, elle vit son regard s’enflammer, ses pupilles se dilater et elle entendit sa respiration se modifier. Il serrait les poings.

Rachel est une ingénieure surdouée, spécialisée en intelligence artificielle. A sa disparition brutale, son mari Aidan et sa fille Chloé découvrent l'existence d'un robot humanoïde à son image : IRachel. IRachel est presque trop parfaite : double exacte de sa créatrice, elle dispose de sa mémoire et de son intelligence, ne manquent plus que les émotions, fil ténu qui sépare encore le robot de l'humain. Et c'est cette découverte progressive des contradictions et des tourments de l'âme humaine qui sont racontés ici, sous couvert d'une histoire dont le postulat de départ est d'abord aussi compliqué à accepter que l'androïde est mal accueillie dans sa famille d'adoption - imaginons un deuil récent et la réapparition immédiate sous forme électronique de la personne disparue... Mais on finit par se laisser embarquer par cette histoire futuriste et les réflexions qu'elle suscite forcément sur notre avenir proche.

Je crois qu'elle voulait me dire que ce n'est pas grave de pleurer. Qu'on pleure parce qu'on aime et que l'amour est un signe de force.

Nous inventons, développons, explorons et créons parce que nous sommes insatisfaits de ce que nous avons. La guerre comme la poésie existent, parce que nous voulons, nous désirons, nous mourons d’envie de posséder ce que nous ne pouvons pas avoir. Être humain, c’est vouloir.

J'écoute. Je vis. Le monde est un endroit extraordinaire.

Je crois qu’on a beaucoup appris l’un sur l’autre, ce week-end-là. J’ai compris que j’aurais toujours la seconde place, dans la vie de Rachel, après le travail. Mais que la seconde place, c’était déjà énorme. Et elle a appris à accepter que je ne sois pas ambitieux. Je voulais juste être heureux et je trouve aujourd’hui encore mon bonheur dans des choses simples : l’amour, les copains, une bonne bouffe, une blague.

Souhaiteriez-vous que je vous apporte une collation ? Elle a répondu par une phrase partiellement inaudible, mais qui, comparée à ma base de données, ressemblait à quelque chose comme « Bas de fer foot ». La logique suggère qu’il ne s’agit pas d’une référence au sport collectif, mais d’une requête ordinairement reconnue comme impolie pour que je m’éloigne de l’endroit où je me trouve.

Chloé retourna dans sa chambre en feuilletant lentement les pages. Quelques annotations la firent sourire, comme celle où Rachel avait baptisé une plante particulière : « Bidule à feuilles hérisson avec fleurs roses en tige, qui virent au rouge. Un peu comme la sauge. Aucune idée de ce que c’est. Déjà là quand on a emménagé. Increvable

_Je suis en colère.Je l'aimais beaucoup,vous savez.Pour sa nature douce,ses blagues nulles et le capharnaüm de son laboratoire.Mais ce qui me rend le plus furieuse,c'est que des cerveaux comme le sien,il n'en existe qu'un ou deux par siècle.Ce qu'elle faisait...Ce qu'elle était en train d'accomplir...Ce qu'elle aurait pu faire...