Chantal ALIBERT, romancière, présente son livre "Le manuscrit d'Isis" - Chantal Alibert
Un corps est retrouvé dans une chapelle du musée lapidaire de Narbonne. Mécontent d'interrompre ses vacances, le commissaire Marchand mène l'enquête.
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L’inquisiteur reprit :
– Souviens-toi que n’importe qui peut te dénoncer pourvu qu’il y trouve un intérêt.
– Vous avez une piètre opinion de vos semblables pour un homme d’église, marmonna l’aubergiste qui se redressa à nouveau pour tenter de juguler sa peur.
– L’homme est faible. Chaque jour nous devons être plus vigilants pour faire triompher la foi du Christ. Où sont partis les hérétiques que tu hébergeais ?
Maître Puech regarda désespérément le moine.
– J’ai soif, s’il vous plaît, un peu d’eau.
L’inquisiteur fit un signe à frère Antoine. Les deux religieux s’éloignèrent de quelques pas et s’entretinrent à voix basse. –
Je pense qu’il pourrait se confier à vous pendant que moi, j’irais chercher de l’eau.
– Mais, mon Frère… Pourquoi moi ? Vous êtes plus habilité à mener les interrogatoires.
– Certes, mais mon départ va le soulager. Il est terrifié et votre aspect plus débonnaire peut l’encourager à parler. Qu’on en finisse !
Le moine reprit sa place près du prisonnier qui lui saisit brusquement la main.
– Mon Frère, il faut me croire ! Je suis innocent.
– Savais-tu qu’il s’agissait d’hérétiques ?
– Ils n’étaient pas d’ici et rien n’indiquait que ce n’étaient pas de bons chrétiens.
– Pourquoi tes voisins t’auraient-ils dénoncé ?
L’aubergiste baissa la tête lentement.
– Aidez-moi, supplia-t-il.
– Je ne peux rien pour toi. L’Inquisition attend
tes aveux.
– Et si…
L’homme essuya d’une main tremblante son
front dégoulinant et après un moment d’hésitation,
il se lança comme on se jette à l’eau.
– J’ai autre chose à dire… Approchez-vous et…
cessez d’écrire…
Étonné, frère Antoine se pencha vers lui.
Maître Puech fixait avec angoisse les flammes de la cheminée. Une fumée âcre s’élevait dans la pièce. Il se mit à tousser. L’un des deux hommes qui lui faisaient face esquissa un mince sourire et lui demanda doucement :
– Que crains-tu ?
– Mon Frère, je n’ai rien fait. Je ne suis qu’un pauvre aubergiste ! Jamais je n’ai trahi notre foi ! gémit Maître Puech.
Terrifié, l’aubergiste s’affala sur le banc et s’efforça de contrôler le tremblement de ses mains. Son corps était moite de sueur. Il déglutit avec peine et leva la tête vers les deux moines. Les deux hommes étaient du même âge. Le premier, frère Antoine, avait posé son écritoire sur la table et attendait que l’inquisiteur reprenne l’interrogatoire. Celui-ci s’avançait vers lui. Il était grand et mince, l’habit des dominicains flottant sur son corps décharné. Son nez busqué, ses yeux perçants où se reflétaient les flammes du foyer faisaient penser à un oiseau prêt à fondre sur sa proie, impression démentie par la voix doucereuse d’où ne perçait aucune émotion.
Les questions étaient posées calmement, presque avec indifférence. Cette attitude plongeait l’aubergiste dans un profond désarroi.
– Libère ta conscience ! lui insinua–t-il.
– Mais, que puis-je vous confesser ? s’écria Maître Puech.
– Qui as-tu caché dans ton auberge, la nuit dernière ?
– Je vous l’ai déjà dit : des pèlerins ! J’ai offert le couvert et le gîte à de simples pèlerins ! reprit le malheureux avec force.
– Tu les connaissais ?
– Non, je ne les avais jamais vus !
– Tu mens ! Le mensonge est un péché. Veux-tu protéger des hérétiques ?
– Croyez-moi, mon Frère, je n’en reçois pas dans mon auberge.
– Nous savons qu’ils venaient régulièrement dans la région et c’est chez toi qu’ils se sont arrêtés.
– Qui a dit cela ? Dites-le moi. Je vous en prie.
– Tes voisins.
L’aubergiste tenta une nouvelle fois de se lever. Son regard épouvanté fit le tour de la pièce. Deux gardes étaient en faction devant la porte. Fuir était inutile.