La peinture de personnages jouissait d'une telle faveur qu'on peut penser que c'est la façon dont la traitaient Monet et ses amis qui a tant irrité leurs contemporains. Les peintres académiques avaient fait le portrait de Monsieur Tout-le-monde en Léonidas ou en Ulysse, de sa bourgeoise en belle Hélène ou vertueuse Diane, tout en les idéalisant à l'antique. Le citoyen qui se promène dans un tableau de Monet est représenté comme un petit fanion battant au vent. Tout comme une touffe d'herbe ou un nuage de fumée, il n'est ni plus ni moins qu'un support de la lumière. "C'est donc à cela que je ressemble, tandis que je flâne Boulevard des Capucines ?... La peste m'emporte, vous moquez-vous de moi ?" s'enflamme le critique Louis Leroy lors de la première exposition commune.
Ce que l'on sentait poindre dans les séries des meules, des peupliers et des cathédrales se manifeste pleinement: l'impressionniste est devenu un symboliste qui célèbre les noces mystiques de la brume et de l'architecture, de la matière et de l'atmosphère, de la pierre et de la lumière.
Monet imaginait parfois être né aveugle, retrouver subitement la vue et se mettre à peindre ce qui se trouvait devant lui sans savoir de quoi il s'agissait. C'est ce tout premier regard du peintre sur son sujet qui lui semblait le plus honnête car le moins mêlé de projections et d'idées toutes faites. Cette préoccupation l'amena à étudier les variations atmosphériques d'une image. Le sujet n'est pas ce qu'il est mais ce que la lumière en fait.
Le citoyen qui se promène dans un tableau de Monet est représenté comme un petit fanion battant au vent. Tout comme une touffe d'herbe ou un nuage de fumée, il n'est ni plus ni moins qu'un support de la lumière.
Monet est un de ces pionniers qui ont ainsi fait de la nature leur atelier. L'apparition de la peinture en tubes rendait cela possible; on n'imagine guère un peintre faire son mélange d'huile et pigment sur place, du moins pas dans le vent âpre de la Normandie.