Epître langue louve, de et par Claude Ber.
Comment peut-on célébrer une espèce aussi nuisible que mon espèce? Une espèce oublieuse et avide qui se soumet aux pires de l'espèce et anéantit les meilleurs de son espèce pour ensuite les célébrer.
Car mon espèce se rachète et achète son humanité en célébrant les victimes de mon espèce et les tessons de lumières qui éclairent la nuit de mon espèce servent de pardon à la cruauté de mon espèce.
Il faut être une espèce décervelée comme l'est mon espèce pour croire qu'un dieu tout-puissant puisse absoudre ses crimes contre son espèce. Il faut être déboussolé comme l'est mon espèce pour imaginer qu'un quelconque infini puisse ressembler à celui qu'invente à son image la sauvagerie de mon espèce.
Car mon espèce se sert de ses dieux pour mettre à mort les membres de son espèce. Mon espèce peut louer le créateur de toute espèce puis au sortir de ses prières crucifier, lapider, égorger en son nom d'autres membres de mon espèce.
Comment croire aux dieux de mon espèce qui sont des dieux déféqués par la cervelle détraquée de mon espèce?
La fente d'infini qui traverse le nom de dieu dans mon espèce est ramenée à la mesure de la porcherie de mon espèce. Et aucun dieu ne peut ressusciter l'âme de mon espèce assassinée par mon espèce.
IL Y A DES CHOSES QUE NON - Célébration de l'espèce
Paix à la parole et à son effort
d'apprivoiser.
Les mots sont aussi des chiens de bord de route amenés au refuge.
ILY A DES CHOSES QUE NON - L'inachevé de soi
Je marche à côté d'un enfant privé d'enfance, d'une femme drapée d'un sari, d'un passant pressé, sa tête petite loin des pieds vers lesquels il penche un regard désorienté et doux, dans le bruit de nos pas, le mêlé de nos destins chargés de ressemblance.
IL Y A DES CHOSES QUE NON - Je marche
J’etc
J’etc dans le minime du monde à ma portée
entre l’arbre et la mousse
dans l’incertain et le déduit de nous à pattes de secondes
la fine fuite d’un rai de jour ‒ son ardoise effeuillée
la chair blanche des eucalyptus et le parfum poivré des
immortelles
entre le nu de la mort et l’étonnement du jour
( ses ciseaux et sa portion de pêche )
au tympan du temps son cri
chevilles menottées de minutes
sa prophétie indirecte au fil des lèvres
navigant loin
A nous énumérer entre pollen et planètes
dans l’alphabet polyglotte des verbes qui nous
conjuguent parmi les passereaux et les pis noires
j’etc
dans la fêlure et la forêt et encore la forêt
de notre multitude.
Mon espèce ravage mon espèce au nom de l'humanité comme de l'inhumanité de mon espèce. Mon espèce pollue ce qu'elle invente de plus sacré dans le fumier de mon espèce.
Et mon espèce tue et traite les autres espèces comme sa propre espèce. Mon espèce entasse les bêtes qu'elle mange dans des hangars où elles pourrissent vivantes et enferme dans des camps où ils pourrissent vivants les membres de son espèce. Mon espèce viole les femmes et les enfants de son espèce. Mon espèce pend, fusille, bombarde, gaze, démembre, écorche, poignarde les hommes, les femmes et les enfants de son espèce.
Ainsi est mon espèce plus sanguinaire et malfaisante que toute espèce.
IL Y A DES CHOSES QUE NON - Célébration de l'espèce
Le soir qui tombe agrandit les montagnes
et son frisson nous laisse apeurés et pensifs.
IL Y A DES CHOSES QUE NON - Je marche
ainsi des bribes
Extrait 3
ainsi tel un apaisement dans l'hystérie de l'arasement de
la pensée
parlant muet parlant silence pensant silence
sans chercher à trancher
de toute façon retranchée, tranchée deux fois
sans coutelas pour tailler découper diviser
‒ à peine un terreau de lèvres ébréchées ‒
moi qui suis de toute façon retranchée, tranchée deux fois
laissant être ce qui est multiplement dans l'indivis
de la pensée
moi tranchée retranchée tant de fois soustraite
de moi de tant soustraite
je parle sans parce que pas de
là bas où rien et encore trop ce rien
comme chantant obstinément à voix absente
en mots réduits à l'ordre du silence
les joignant nous joignant
en ce qui balbutie
p.27-28
Comme tous ceux de mon espèce, je voudrais célébrer mon espèce. Car mon espèce célèbre le tout du tout de mon espèce.
Mon espèce célèbre le bonheur et la peine de son espèce, la douleur et la jouissance de son espèce. Mon espèce célèbre la naissance, la mort, les âges, les séparations, les retrouvailles de son espèce. Mon espèce célèbre la joie, l'extase, la souffrance, la folie, l'horreur, les crimes de mon espèce. Mon espèce célèbre les saints, les artistes, les poètes, les savants, les sages, les héros, les rois, les prophètes, les faux prophètes, les bourreaux, les martyrs, les tyrans, les criminels de mon espèce.
Ainsi est mon espèce qu'elle célèbre le n'importe-quoi de son espèce qui se réjouit autant de la vie que de la mort de son espèce.
IL Y A DES CHOSES QUE NON - Célébration de l'espèce
Je marche dans un début de siècle pâle, ses exactions, son bruitage de paroles impuissantes, ses délires ressuscités.
Regardant des jambes jeunes lever leurs mollets, je vais sans savoir ce qu'il en est ni ce que nous sommes, vers le disparu d'une aube, où aurait lieu un banquet, une fête, un jour de délices et de fables,
qui se défait dans l'innombrable des pupilles
allant à nous par le mystère
au sens dans l'insensé
dans les dédales de l'histoire
sa guirlande de désirs et de drames comme sous l'auvent
d'une boutique de foire
une attente interminable
et son debout de cuisses lasses.
IL Y A DES CHOSES QUE NON - Je marche
Ce qui reste
Extrait 5
J'entends ceux qui restent
dont je fais partie
pourtant c'est toi qui reste à cette date où tu finis ta vie et
y demeure définitivement
alors que je continue d'avancer vers la mort et qu'il me reste
à parcourir la distance inconnue entre ta mort et la mienne
et ta mort me fait vivre à reculons allant te rejoindre
alors que tu demeures d'où je continue
et je vais vers la mort en arrière
et ce qui me reste de vie est pris entre deux morts
J'entends ceux qui restent
et je n'entends plus rien
p.20-21