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De William Burroughs (1914-1997), dont l’œuvre reste encore mal connue du grand public, on retient souvent l’écriture morcelée, les scènes de sexe hallucinées, la thématique des drogues, déclinée de mille manières. Et bien qu’une grande partie de son imaginaire soit constitué de voyages dans le temps, d’envahisseurs vénusiens, de télépathes et de guerres interplanétaires, la critique l’aborde rarement frontalement comme un auteur de science-fiction, préférant le voir comme un héraut de la postmodernité, un expérimentateur de génie – ce qu’il est à n’en pas douter – ou, le plus souvent, un représentant de la Beat Generation. […]
Si la critique a longtemps porté son attention sur l’expérience de la drogue dans les écrits de Burroughs, c’est que ses romans autobiographiques […] relatent avec une violence rare le corps du camé, la dégradation et le manque. Mais la drogue, en effet thématiquement omniprésente dans l’ensemble de son œuvre, est bien davantage que le récit obsessionnel d’une expérience individuelle : l’Algèbre du Besoin (fascinant chapitre du Festin nu), c’et-à-dire le cercle infernal de la satisfaction du besoin qui engendre inexorablement le manque, est le mode de fonctionnement de toute une civilisation. Pour l’exhiber au lecteur et conduire ce dernier vers sa propre désintoxication, Burroughs l’immerge dans la mécanique du contrôle, la machine aliénante du langage qui domine et asservit : seule la science-fiction, ses thèmes, ses personnages, ses intrigues, pouvaient montrer avec suffisamment de force les enjeux profonds de sa réflexion. C’est pourquoi William Burroughs, tout inclassable qu’il demeure, doit résolument être lu comme un écrivain de science-fiction, inventeur d’une dystopie technologique dont l’impact sur toute une génération d’auteurs de SF, mais aussi d’intellectuels, de philosophes et d’artistes, sera majeur. […]
Burroughs a régulièrement évoqué son goût pour la science-fiction, citant, dans plusieurs interviews, Eric Frank Russell, Henry Kuttner, C.S. Lewis ou Barrington Bayley ; il confirme, dans Le Job, lire essentiellement ce genre de romans. […] Pourtant, dans ce même entretien avec Daniel Odier, lorsque ce dernier lui demande « Qui sont les agents lesbiennes au visage de pénis greffé buvant du fluide spinal ? », faisant référence à des personnages de la Trilogie Nova, Burroughs lui répond : « Oh, en réalité ce n’est qu’un peu de science-fiction ». […] L’auteur semble alors traiter le recours à ce genre comme un ornement ; pourtant, il apparaît que non seulement Burroughs puise dans la science-fiction les aspects les plus politiques de son œuvre, mais plus encore qu’il occupe une place déterminante dans l’histoire de la SF. C’est ainsi sous le sceau d’une inclassabilité fondamentale que se place cet essai : parler de William Burroughs et de la science-fiction implique d’amorcer un dialogue complexe. En effet, employer le syncatégorème « et », c’est reconnaître, comme l’explique Jacques Derrida dans son texte « Et cetera » (2004), à la fois la différence et la contamination mutuelle de chaque terme : aussi est-ce sous le signe d’une essentielle impureté que William Burroughs et la science-fiction seront mis en jeu l’un avec l’autre, pour tenter de s’approcher au plus près des mécanismes de sa « SF machine ».
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Un livre interminable, toujours en cours : tel est le livre-monde de William Burroughs ; s’il fait ce choix, ce n’est pas uniquement par goût pour l’expérimentation littéraire (quoique cela fasse indéniablement partie de sa démarche) : c’est parce que son livre-monde est directement lié à notre réalité, et que pour l’embrasser pleinement, son projet ne peut se satisfaire de quelque clôture que ce soit. […]
Il opère ainsi simultanément deux constats : le premier tient au fait que, selon lui, la réalité du contrôle pourrait dépasser la fiction orwellienne – bien souvent tenue pour paradigmatique ; le second, sous-jacent au premier, révèle en filigrane le potentiel que Burroughs voit dans la science-fiction et les perspectives modélisantes que peut offrir un genre qui, au début des années 60, est encore largement considéré comme mineur.
Ne serait-ce pas d’ailleurs ce caractère de minorité qui aurait attiré William Burroughs, dont le goût pour les marges – de la société, de la pensée, du livre et de l’écriture – n’est plus à démontrer ? Le choix d’une « littérature mineure » pour reprendre les mots de Deleuze et Guattari, non pas « celle d’une langue mineure, mais plutôt celle qu’une minorité fait dans une langue majeure. Mais le premier caractère est de toute façon que la langue y est affectée d’un fort coefficient de déterritorialisation » […]. La « SF machine » burroughsienne est bien là : celle qui déporte et déploie les motifs, les concepts, d’une oeuvre à l’autre, dans une recherche permanente, un mouvement de déterritorialisation dans « des territoires qui s’ouvrent sur un ailleurs » […] et de reterritorialisation dans des espaces fictionnels variés. Une pensée globale que la science-fiction nourrit et accueille à la fois, dans sa singularité linguistique et son universalité ontologique, celle de l’individu dans le flux médiatique. Dans la mesure où « les trois caractères de la littérature mineure sont la déterritorialisation de la langue, le branchement de l’individuel sur l’immédiat-politique, l’agencement collectif d’énonciation. Autant dire que « mineur » ne qualifie plus certaines littératures, mais les conditions révolutionnaires de toute littérature au sein de celle qu’on appelle grande (ou établie) » […], la science-fiction est le terreau dans lequel Burroughs a fait germer sa linguistique-fiction.
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Burroughs ne distingue jamais la poétique de la rupture d’une praxis sociale […]. C’est l’essence même du cut-up : une pratique accessible à toutes et tous, reproductible à l’infini. Mais le choix de la science-fiction n’est pas moins politique, et cela à plusieurs titres. D’abord sur le plan culturel : son inscription dans le champ d’une littérature populaire, longtemps associée à la jeunesse mais aussi au divertissement (inoffensif à première vue), relève aussi d’une « pharmacologie » littéraire. Il s’agit d’infiltrer la pop culture et d’y planter les graines de la révolte. Burroughs n’est certes pas le premier à le faire […] mais son influence sur la SF post-Trilogie Nova lui confère une place singulière.
C’est donc également un choix idéologique si l’on considère la science-fiction elle-même comme intrinsèquement politique. Sa capacité à créer les mondes du futur – ou des mondes parallèles – porte toujours, de manière plus ou moins développée, l’hypothèse d’une société alternative – pire ou meilleure – mais toujours en regard de la nôtre. […] C’est enfin une prise de parti politique sur le plan esthétique, celui de la dystopie, qui renvoie au sous-genre de la SF le plus directement en prise sur les questionnements sociaux et idéologiques contemporains. Car il ne s’agit jamais seulement, dans la dystopie, de dépeindre le pire des mondes possibles : elle est « une forme paradoxale, qui cherche à atteindre un but positif en passant par l’exagération du négatif » […], et contient toujours la piste d’un remède.
C’est particulièrement le cas dans la SF de Burroughs et de ses épigones : ils retournent les systèmes de contrôle contre eux-mêmes, inventent des utopies en actes – non pas dans l’attente eschatologique d’un monde meilleur, mais dans le présent – ouvrent à de nouvelles topographies du désir ; ils fondent de nouvelles mythologies pour contrer les impasses contemporaines.
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Comme tout arbre généalogique, celui de Burroughs dans l’histoire de la science-fiction reste à compléter, mais permet déjà, dans son état actuel, de constituer une archéologie des technologies médiatiques que ce genre explore depuis sa naissance. Replacer, ou plus exactement déplacer cet auteur, de la littérature expérimentale à la SF – en quelque sorte, de la poésie à la culture pop – n’amoindrit pas sa portée politique, bien au contraire : il la renforce.
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Coupez les lignes-mots
Coupez les lignes-musiques
Cassez les images-contrôles
Cassez la machine-contrôle
(La Machine molle, 1961)
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