Citations de Colette Piat (13)
Alors, Jacques Higelin avance, craintif et ébloui ; funambule de la gloire.
Ah, Champagne ! C'est la Marseillaise du "Bordel" qui nous fait vibrer, vivre, respirer, combattre sur le champ du "rock j'm'en-foutisme" où il fait si bon vivre.
L'accordéon ? "Jamais "; répondent les rockers arrogants. Chacun connaît leur mépris : l'accordéon, c'est le bal musette, le passé….
"[…] Bien sûr, des gens comme Renaud savent que la java-vache à précédé le rock dans les dancings de banlieue, que le "piano du pauvre" (comme dit Ferré) a été à la base de la musique populaire de ce pays, les historiens du rock'n'roll n'ignorent pas que ce dernier venait de la country music américaine, qui, bien sûr, ne dédaignait pas l'accordéon."
Précisément, Jacques Higelin, rebelle entre les rebelles, aime l'accordéon. […] Et puis, il aime et veut provoquer. Il se moque de la mode. A une journaliste d'Actuel, il déclara : "Trop de musique fabriquée trop vite, sur le coup, pour la mode, qui tourne trois mois puis disparaît à jamais. New Wave, cold wave, after shave, double shave, triple lame et rasoir bio-énergétique-électrostatique et je jette…" Alors, oui, bien sûr : l'accordéon sera présent, même sur son affiche pour le Casino de Paris.
On lui a proposé l'Ordre national du Mérite. Il en rit encore… Il ne veut pas, bien sûr , de décorations. Il s'en fout et n'aime pas ça. Il préfère les chansons agressives, L'Hymne aux paumés ou Irradié : "Je suis le fou, le sage, le débile/je suis du village l'idiot…" Il prend parti pour les désespérés "parce qu'ils ont tamponné un matricule sur tes rêves/Je t'ai trouvé prostré dans l'escalier d'un hôpital/avec un vilain trait rouge au poignet" (Le Courage de vivre)
En 2003, les déshérités le retrouvent. Au mois de mai, évidemment, place de la République, il est là, manifestant contre la double peine. Pas étonnant que ceux qui l'aiment s'attachent à lui si fortement.
Que va-t-il faire dans toutes ces galères ? Se faire détester de certains. Mais Jacques Higelin est heureusement entier dans ses convictions. Hantise de Victor Jara, d'Henri Crolla… tous ces fantômes qui veillent sur lui.
Jacques Higelin avait épousé le rock, mais se refusait à adopter l'éthique et la déchéance de certains. Il se sentait isolé ; dérouté peut-être.
Evangile selon saint Higelin : "La tristesse, c'est bon pour les "aigris", les "chiasseux". Je hais la tristesse, c'est l'étendard des lâches." (Décembre 1961)
Jacques Higelin, cependant, bien que stationné provisoirement en Allemagne, est déjà angoissé par les combats d'Algérie qui se poursuivent et l'attendent. "Ce soir, écrit-il, j'ai pensé à la mort, la mort pour une cause injuste, pour une cause plus qu'inutile : ceux qui meurent en Algérie d'une guerre qui va contre la vérité et dont on inscrira sur la tombe : "Mort pour la France". N'est-ce pas une mort atroce que celle d'un homme obligé à se battre contre sa propre foi ? " (Lettre du 24-11-61).
Entre nous, les moments de bonheur ne sont pas très fréquents. Alors, là, on le tenait, le bonheur : et on n'avait pas du tout envie qu'il s'en aille. Même si on se sentait égoïstes, devinant sa fatigue. Mais enivrés, et désireux de le rester ; encore un petit moment, monsieur le bourreau. Laissez-nous savourer la vie, l'explosion de la force, du rythme.
[…] quand "il" entre en scène, pose ses mains sur le clavier, chuchote quelques accords puis, peu à peu, entre en extase, délire, entraînant le public dans la même extase, le même délire, c'est de la folie ; de la sorcellerie ? Bien sûr, c'est aussi de la sorcellerie. Higelin est le Diable, le magnétiseur. Il fascine, subjugue, drogue le public, prêt à le suivre, n'importe où.
Oui, Jacques Higelin, c'est la chanson qui véhicule seule la poésie, aujourd'hui. Il faut le réaffirmer et l'écrire en lettres pailletées sur les frontispices des monuments arrogants, prétentieux et nuls.
Le vieil océan nous sépare. Et le temps, les vagues des années. L'écume de la mer. Le flux de la vie et de la mort. Catherine, mon amie, ma sœur, puisse le sort vous avoir fait crédit comme à moi.