Citations de Danya Kukafka (111)
Personne n’est mauvais à cent pour cent. Personne n’est bon à cent pour cent. Nous vivons tous égaux dans la grisaille entre les deux.
Sa mère, nerveuse, se tapotait les cheveux tout en posant à Ansel des questions sur la fac, auxquelles il répondait dûment. Il préparait une licence de philosophie, expliqua-t-il, avec l'idée de s'inscrire ensuite en maîtrise. "Je voudrais écrire des ouvrages universitaires, dit-il. La pensée, c'est la chose la plus pure qu'on puisse laisser derrière soi." Il avait une voix douce, chantante, qui touchait Hazel droit au cœur. Sa peau était d'un blanc laiteux, l'intérieur de son avant-bras lui faisait penser à une feuille de papier vierge. Il était vraiment beau - d'une beauté qui devenait encore plus évidente à mesure qu'on la détaillait.
Elle tressaillit lorsqu'il prononça son prénom.
" Hazel ? dit-il, braquant le projecteur sur elle. Jenny m'a dit que tu faisais de la danse classique. Comment va ton genou?
Lavender sut alors que la clémence existait en ce monde. Qu’une telle bienveillance était à même de réparer toutes les horreurs qu’elle-même avait vécues ou provoquées. Ce serait tragique, inhumain, songea-y-elle, si nous étions définis seulement par ce que nous laissons derrière nous.
Même si tu refuses de regarder l’horloge murale, tu as conscience des secondes qui s’égrènent et s’échappent de ta cellule. Ces secondes. Tu voudrais t’accrocher à chacune d’entre elles, les retenir, éprouver la texture même de ta vie tandis qu’elle te glisse entre les doigts.
Avant même d’avoir vu son visage pour la première fois, tu as entendu le raclement hésitant de ses bottes sur le ciment, et tu as tout compris. C’est une femme faite des perceptions des autres. La catégorie la plus influençable.
Tu te dis parfois que tu te réduis à ça — un bref instant entre l’action et l’inaction. Faire ou ne pas faire. Où est la différence ? Où est le choix ? Où est la frontière entre l’immobilité et le mouvement ?
Ton cœur cognait dans ta poitrine. Ton corps avait momentanément repris une forme familière.
L’espoir, comme un coup de poignard.
La nuit était une plaie à vif. Pourtant, le cœur continuait de battre. Les arbres bruissaient, se lamentant en chœur.
Même si tu refuses de regarder l’horloge murale, tu as conscience des secondes qui s’égrènent et s’échappent de ta cellule. Ces secondes. Tu voudrais t’accrocher à chacune d’entre elles, les retenir, éprouver la texture même de ta vie tandis qu’elle te glisse entre les doigts.
(...) sa mémoire confirmait cette certitude dévastatrice ; rien n'était comparable à l'amour d'une mère pour son enfant. C'était biologique. Un élan primaire, vital, impossible à bannir. Il avait continué de vivre en elle durant tout ce temps. Dans la moelle de ses os.
Tu as placé ta confiance en Shwana, une personne que tu as largement surestimée, qui t'apporte la preuve de la seule chose dont tu es certain à propos des femmes.
Elles t'abandonnent toujours.
Mais Saffy attribuait ses succès à une certitude : pour chaque criminel qui correspondait à un stéréotype, on en trouvait des dizaines d'autres qui y échappaient. Chaque cerveau était différent dans sa déviance, et la souffrance prenait des formes aussi variées que mystérieuses. Il fallait par conséquent chercher le déclencheur, l'endroit où la douleur s'était logée et la plaie infectée, le point faible qui poussait à la violence certains individus endurcis.
Il a bien dû y avoir une époque où vous n’étiez pas comme ça, t’a dit un jour un journaliste.
Pourquoi écrire autant ?
Shawna t'avait posé cette question un jour, au début. Tu étais assis par terre, au milieu de tes cahiers, les mains tachées d'encre noire.
C'est le seul moyen d'accéder à l'éternité, avais-tu répondu. Comme ça, je laisse quelque chose derrière moi.
Quoi ? Qu'est-ce que vous voulez laisser au juste ? avait-elle demandé.
J'en sais rien, avais-tu répliqué, agacé. Mes pensées. Mes convictions. C'est important de savoir qu'on ne se réduit pas à un corps, non ? Qu'il existe une part de soi capable de survivre à la mort.
Il est presque l'heure. A mile cinq cents kilomètres de là, la justice va être rendue. Mais n'est-elle pas censée apporter plus ? se demande Saffy. La justice devrait être un ancrage, une réponse. Comment une telle idée a-t-elle pu s'insinuer dans la psyché humaine ? songe-t-elle. Et comment elle-même a-t-elle pu croire qu'il était possible de définir une notion aussi abstraite ? De la traduire par un châtiment ? Cette justice-là ne donne pas le sentiment d'obtenir réparation. Ne procure même pas de satisfaction. Alors qu'elle inspire à fond l'air des montagnes, Saffy imagine l'aiguille de la seringue s'enfonçant dans le bras d'Ansel. Dans la veine bleue saillante. Ça lui paraît tellement inutile. Tellement aberrant. Le système les a tous trahis.
(...) je crois qu'il est à la recherche de sens, et ça, pour moi, c'est admirable. Il essaie de déterminer qui il est, de justifier son existence. Est-ce qu'on n'en est pas tous là, au fond ?
Hors de cette pièce, le monde ne s'est pas arrêté. Le soleil bas se teinte de rose. Les herbes hautes ondulent dans les champs à perte de vue. L'air sent l'épicéa et la rivière, le sel et les hortensias. Tu vois tout, dans un éclair d'omniscience : la planète tout entière, qui continue de tourner, indifférente, chatoyante, stupéfiante et cruelle. Elle t'adresse un clin d’œil fugace, avant de poursuivre sa course.
Tu crois aux univers parallèles. A la possibilité d'éternité qu'ils offrent. Il existe une autre version de toi dans ces dimensions. Un enfant qui n'a jamais été abandonné.
Ça te semble parfaitement clair maintenant, tu as laissé passer ta chance. Le bien existe, le mal aussi, et la contradiction réside en chacun de nous. Le bien, c'est ce qui mérité d'être gardé en mémoire. C'est ce qui donne un sens à tout ça. Cette chose insaisissable que tu as toujours cherchée.
La nuit était une plaie à vif. Pourtant, le cœur continuait de battre. Les arbres bruissaient, se lamentant en chœur.