L'autre jour, on a dîné chez des amis.
Chaque épouse était venue avec un homme sans intérêt.
Son mari.
Pendant que les types attendaient l'heure du cigare en se retenant de consulter leur moignon portable et en mangeant des chips et des olives fourrées, les épouses ont commencé à parler de la scolarisation des enfants et des dangers d'une mixité sociale excessive sur le niveau de leurs petits surdoués. A un moment donné,j'ai dit comme ça, juste pour essayer de dire un truc, que ces chips à l'ancienne étaient délicieuses, remarquablement craquantes et finement salées.
Je ne parlais pas nécessairement à quelqu'un, c'était juste pour être positif et tenter un sujet moins lourd que les ghettos scolaires ou la politique.
Cela a provoqué une réaction en chaîne.
- Les hommes et le grignotage ! Jean-Baptiste est pareil, il mange les M&M' s des enfants aux cabinets en jouant avec leur Game Boy !
Cela commençait à sentir le roussi pour nous autres. Pourtant on ne disait rien. On soupirait, c'est tout.
Notre époque a le marketing salvateur et l'altruisme consumériste. On ne découpe plus les victimes, on les segmente.
Internet a considérablement facilité le travail de la télé dans le recrutement de victimes prêtes à tout dire. Plus besoin de chercher dans la rubrique faits divers. Il suffit de taper "victime" dans Google et ce sont des milliers de malheureux qui font de la retape et recrutent adhérents ou sympathisants.
le 4 x 4, c'est la peur maîtrisée d'un couple de cadres supérieurs surpayés mais socialement inutiles, le tout monté sur 4 roues motrices.
Et si les victimes étaient là pour nous rappeler qu'on a encore besoin de bouc-émissaires pour se serrer les coudes? Imaginez un peu une campagne électorale sans victime : à qui et pour qui parleraient les candidats? Ce serait le chaos.
Une manifestation, c'est finalement comme la mer. On a du mal à rentrer, mais une fois qu'on y est, "elle est bonne".
Quelque chose se passe entre lui et moi qui jaillit depuis la nuit des temps et ressemble à cette loi inexplicable qui pousse un être humain à s'émouvoir plus facilement du sort d'un de ses semblables lorsque celui-ci le rappelle à sa propre finitude.
Chacun d'entre nous pouvait être un martyr le temps d'un calvaire bien médiatisé. Pourvu qu'il s'organise correctement, le moindre fils à papa pouvait se faire passer pour le fils de Dieu et gagner la compassion de nos compatriotes toujours plus avides de commémorations. Jésus aurait certainement fait un bon invité chez Marc-Antoine mais il est possible que Tom Cruise, le petit Grégory, Ségolène Royal ou les treize innocents d'Outreau lui aient volé la vedette.
La pharmacie est le meilleur endroit pour apprendre à bien parler en public de sa maladie. L'auditoire y est acquis et bienveillant.
Franchement, je préfère avoir été victime au XXIe siècle que bouc émissaire d'autrefois.
Dix pour cent des débutantes en communication parlent du nez , avec un timbre comparable à celui de la chanteuse Ophélie Winter. On peut s'entraîner chez soi à parler comme ces jeunes femmes. il suffit d'avoir moins de vingt-cinq ans et de rajouter "angh" à la fin du dernier mot de sa phrase. Par exemple : "Vous voulez du coca light-angh?" ou bien "Dieu m'a donne la foi-angh."
À part la météo et le loto, que nous reste-t-il à nous autres? Turbo, le Grand Prix de formule 1 du dimanche et les infos. Même l'érotique du dimanche soir a été supprimé; et Culture Pub dans la foulée. Culture Pub, l'émission subversive qui expliquait aux ménagères de tous sexes à quel point la télé les prenait pour des con(ne)s.
Le reste des programmes est squatté par des obèses, des orphelines, des adultérines, des névrosées qui rêvent qu'on les sorte de leur misère, de leur garde-manger et de leur solitude. des Françaises d'aujourd'hui en quelque sorte.
Il est temps qu'on redevienne durablement raisonnable au lieu de s'entêter à être raisonnablement durable.