Quand il rentra chez lui d'un pas nonchalant et qu'il alluma la minuscule télévision dans sa chambre, ce fut pour tomber sur le couple de l'affiche, dans la bande-annonce du film. « Dans les allées sombres d'une ville où règne la violence, récita une voix off, il n'y a pas de temps à perdre. » Il constata qu'on faisait l'apologie des armes à feu sur près de la moitié des chaînes cablées. On pouvait y voir des soldats portant des fusils, des méchants qui brandissaient des mitraillettes, des femmes au foyer tapies dans des placards, un calibre 22 argenté à la main, prêtes à repousser intrus et violeurs. Certaines de ces scènes avaient été filmées dans des quartiers résidentiels bordés de palmiers qui ressemblaient à s'y méprendre au sien. Les gens tiraient, accroupis derrière des murs en ciment ; ils tiraient dans des cuisines ; ils tiraient en tombant d'un avion ; ils tiraient avant de sauter dans des lacs et des fleuves ; ils tiraient dans des entrepôts, et leurs balles renvoyaient un bruit métallique lorsqu'une poutre en fer faisait dévier leur trajectoire.
Lazare à Hollywood, d'Héctor Tobar
Pour tout le monde à Rio Seco, L.A. n'était qu'une seule cité immense. Ils ignoraient que L.A. était en fait un millier de petites villes, des mondes entiers recrées parmi les arroyos, les champs de fraises et les flancs de collines. Et que Downtown avait ses canyons de verre noir et argent, le Grand Central Market, Broadway et sa propre favela.
C'est là-bas que je me rendais à présent. J'étais près du croisement de 3rd Street et Main Street. Si vous n'êtes jamais allé au Brésil, si vous n'avez jamais vu de favela, eh bien, il vous suffit de faire un tour à Skid Row. Des abris en carton, d'autres creusés sous les ponts des autoroutes, des hommes vautrés sur le trottoir en plein jour, leurs joues collés contre les grillages.
Le Golden Gopher, de Susan Straight
Il se gara derrière les voitures de patrouille, mit ses warnings et sortit de son véhicule banalisé. En allant vers le coffre, il décrocha son badge de sous sa chemise et le plaça bien en évidence. Il était en civil, vu qu’on l’avait fait venir de chez lui ; il valait mieux être prudent et s’assurer qu’on voyait clairement qu’il était de la maison.
Il ouvrit son coffre et commença à rassembler tout le matériel dont il aurait besoin. L’officier posté sur la route s’approcha.
« Où est le sergent ? demanda Clewiston.
– Là-bas. Je crois qu’ils sont sur le point de remonter le véhicule. Pas mal, une voiture à cent mille dollars pour faire le grand plongeon. Vous êtes qui, vous ?
– Inspecteur Clewiston, chargé des reconstitutions. Le sergent Fairbanks m’attend.
– Descendez par-là, vous le trouverez près du… holà, qu’est-ce que c’est que ça ? »
« Yancy était une cause perdue. Il croyait en Dieu... en son Dieu, pas au leur. Là était le problème. Dieu ne pardonne certainement pas tout ce qu'on fait, faut pas rêver. Sinon, il serait quand même sacrément con. On passe toute sa vie à jouer les salopards et puis, à la dernière minute, on dit qu'on regrette, et les portes du paradis s'ouvriraient toutes grandes devant vous ? Des clous, ouais. Si c'était le cas, le ciel serait rempli de crapules et d'escrocs. Non, Dieu était un arbitre. Il ne faisait que compter les points. Et, à la fin, on était soit dans le positif, soit dans le négatif. Dieu n'entendait pas les « j'suis désolé ». Il se moquait bien des pleurnicheries. Il faisait les comptes, c'est tout. On lui devait le respect, à ce fils de pute. »
When the ship comes in, de Robert Ferrigno
Ces histoires sont de celles qui commencent une fois les touristes rentrés chez eux et les projecteurs éteints. C’est la ville qui s’examine elle-même, à travers une loupe au réalisme cru, pleine de glamour, parfois sordide et désespérée. Et que voit-elle ? Des escrocs, des joueurs, des immigrés fraîchement débarqués, des aristocrates décadents, des gosses désorientés, des millionnaires, des acteurs has been, des assassins, des accros aux amphètes et des bourreaux des coeurs. (Denise Hamilton, Introduction.)
– Descendez par-là (..… ) holà, qu’est-ce que c’est que ça ? »
Clewiston le vit en train d’observer le visage qui les fixait depuis le coffre. Le mannequin était en partie caché par le matériel qui occupait presque tout l’espace, mais sa tête était dégagée et les scrutait d’un œil vide. Ses jambes avaient été détachées et étendues sous le buste. C’était le seul moyen de faire entrer ce truc en entier.
« On l’appelle Arty, expliqua Clewiston. Il a été fabriqué par une société qui s’appelle ART, comme Accident Reconstruction Technologies.
– C’est qu’on croirait presque qu’il est vrai, bredouilla l’officier de patrouille. Pourquoi est-ce qu’il est en treillis ? »
Clewiston dut réfléchir un instant avant de répondre.
« La dernière fois que j’ai eu besoin d’Arty, c’était pour une affaire de délit de fuite à un passage piéton. La victime était un marine qui venait d’El Toro. Il était en treillis au moment de l’accident et on s’est posé la question de savoir si le type qui l’avait renversé l’avait vu ou pas. » Clewiston mit sa sacoche de portable en bandoulière. « C’était le cas. Grâce à Arty, on a réussi à le prouver. »
Clewiston se dirigea vers la voie de gauche, celle qui avait été fermée à la circulation. Dans le noir, la brume s’accrochait aux broussailles qui envahissaient les bas-côtés, mais il distinguait quand même les lueurs de la ville tout en bas, vers le sud. L’accident avait eu lieu dans l’une des rares parties de Mulholland sans habitations. Il savait que, directement en contrebas, il y avait un parc à chiens. De l’autre côté, au nord, c’était Fryman Canyon et la butte où se trouvait l’une des stations de communication de la ville. La tour construite au sommet aidait à relayer les signaux au-dessus des montagnes qui coupaient la ville en deux.
Dans Los Angeles Noir, c’est toute la philosophie de Raymond Chandler et de James M. Cain que l’on retrouve, mais passée au tamis de l’époque contemporaine grâce au talent de certains des plus innovants et plus célèbres écrivains américains contemporains. En ouvrant ce livre, vous embarquerez pour un voyage littéraire qui vous emmènera des montagnes aux plaines arides, des barrios aux banlieues des classes moyennes, des richissimes villas aux rivages de l’océan Pacifique où s’achève (enfin) ce continent. L’ampleur des talents présents dans ce livre est aussi excitante et diverse que la ville elle-même.
Le matin, en entrant dans la salle de rédaction, je ne savais jamais si j’allais tomber sur un triple homicide à South Pasadena High, sur une star harcelée à Malibu ou sur un ours brun descendu des San Gabriel Mountains d’un pas pesant pour atterrir dans la piscine de quelqu’un. Cette ville mythique est animée d’une vie propre, et son cœur bat au rythme des mille histoires qui se déroulent au même moment, ces récits de chagrins d’amour et de triomphe, de survie en dépit d’incroyables obstacles et de tragédies si effrayantes qu’on pourrait les croire tout droit sorties de la Grèce antique.
Plus d’un demi-siècle plus tard, Hollywood projette toujours son ombre de géant. Peut-être cela vient-il du flou séduisant entre artifice et réalité, ou de la possibilité donnée ici à tout un chacun de se débarrasser de son passé aussi facilement que d’une robe de la saison dernière et de se réinventer au-delà de ses rêves les plus fous. Peut-être cela vient-il du désespoir qui s’empare de ceux pour qui le rêve tourne au vinaigre, de l’hypocrisie tapie derrière la beauté, des fleurs exotiques qui pourrissent au soleil ou des plages de sable fin où le ressac vient emporter les imprudents.