Il lui aurait juste fallu avoir le courage de croire en elle, de se libérer du poison toxique que sa mère avait injecté dans ses veines en lui bousillant tout estime et en lui interdisant de construire le "je" qui permet de s'affirmer sans crainte.
Je me demande juste si en quittant les tiens, tu ne t'es pas chargée d'un poids supplémentaire qui t'empêchera d'avancer. Ils te manquent, tu viens de me le dire. Que risques-tu ? C'est toi que tu fuis Alice.
Violaine restera toute son enfance suspendue aux attentes, aux désirs de sa mère. Elle tentera de la combler pour attirer à elle ses mains vertes, celles qui lui permettraient de devenir une belle fleur.
Pierre s'était imaginé que ce séjour leur permettrait peut-être de raccommoder quelque chose, comme un vieux pantalon râpé dont on refuse de se séparer, trop habitué à le porter, et que le fil de la couturière rapièce patiemment. sa femme à lui, elle ne veut reine recoudre. Bientôt leur couple ne sera plus qu'un lambeau à mettre à la poubelle.
On leur donne de jolis noms joyeux aux EPHAD : "Les Glycines", " Les Tilleuls", " La Joie de vivre", " Les Chênes", " Les Bleuets ", "Notre Maison" , " L'Etoile du Soir", " Maison de l'Amitié", "La Petite Provence"... Ils donnent envie d'y aller faire un tour, non ?
Elle aura beau s'inventer une vie, raconter ce qu'elle voudra à tous ceux qu'elle rencontrera, elle restera pour toujours la fille, l'épouse, la mère, l'amie qu'elle a été.
Mais si les filles prennent un peu plus de temps avec l'un, c'est celui d'après qui devra attendre. Prendre trop de temps avec un résident, c'est en perdre pour que tout soit exécuté dans la journée. Prendre du temps avec les vieillards, c'est le perdre ! C'est choquant, mais on n'y peu rien, c'est comme ça.
-Je me demande pourquoi elle a un portable. Soit elle le perd, soit elle l’oublie, soit elle ne le consulte pas. Je pensais passer la voir lundi et c’est mardi qu’elle a répondu à mon message !
-C’est sûr qu’à toi, ça n’arriverait pas, pouffe Lucas. Ton portable, on dirait que tu es née avec, autant qu’avec tes bras et tes jambes. On te l’enlèves et tu bascules dans le handicap. Si un jour tu l’égares, fais-toi mettre en invalidité !
Il en avait vécu des multitudes de premières fois en quatre-vingt-treize années d’existence, mais celle-ci, c’était une autre histoire, car il savait bien qu’elle signait le commencement de la fin. L’entrée en maison de retraite sonnait l’heure de la fin du dehors. C’est comme ça, c’est ce qu’il avait décidé.
[...]
Il voulait montrer un homme encore alerte, soigné, bien différent de beaucoup de ceux qu’il entrevoyait, assis dans la grande salle qu’il traversait. Il ne posa le regard sur aucun d’eux, de peur de lâcher son courage en cours de route, car un rien aurait pu l’envoyer par terre. Quelle honte cela aurait été, quel déshonneur !
Il lui a apprit la région, sa région, celle où il était né, celle qui prendrait son dernier souffle. enfin connaisseur, il lui fit découvrir les paysages de cette nature autant tourmentée que reposante. Elle était dotée du même caractère que son résident : rude et douce, âpre et apaisante.