Leurs portraits ( nous parlons de l'école de Paris) qui sont souvent des commandes, dépassent la mièvrerie et la complaisance des conventions académiques par leur approche lucide, désabusée, ironique et tragique des mystères de la vie sociale et individuelle qu'ils s'attachent à décrypter. Leur art même les consume, dans leur désir de transgresser la superficialité de cette vie qui les brûle. Mais leur style reste néanmoins strictement personnel et marqué par le tragique de leur vie.
Dans la décennie 1910 se constitue de façon spontanée ce que les critiques étrangers ont appelé "l'école de Paris". .......Cette génération ,devenue légendaire, de peintres maudits, regroupés à Montmartre et à Montparnasse, a vécu la création artistique dans les plus grands excès et peut être grâce à eux.
L'expressionnisme offre d'évidentes similitudes avec le fauvisme, qui lui est exactement contemporain : l'éclatement de la perspective héritée de la Renaissance et la construction du tableau à partir d'une gamme de couleurs pures mises en violents contrastes. Mais il en diffère par des points fondamentaux, qui sont essentiellement sa charge psychologique pessimiste et son caractère visionnaire de l'histoire, qui fait dire à Munch à propos de la Brücke : " Dieu nous protège ! une heure de malheur se prépare. " L'angoisse, ce moment de la conscience analysé par Kirkegaard comme la fusion de l'instant et de l'éternité, est omniprésent, de même que la figure humaine, solitaire, désemparée, chargée d'exprimer les inquiétudes de cette période troublée de l'avant-guerre, mais aussi celles, universelles, de la condition humaine, par ce que les critiques de l'époque appelaient les instincts barbares - l'érotisme, le cri, le rire - , dans des poses dénuées de toute joliesse sentimentale.
Le fractionnement incessant et sans précédent des écoles picturales, identifiées par des termes en "isme", reflète l'effervescence et la rigueur des différents mouvements de pensée, qui luttent contre la fadeur et la platitude de l'art académique et décoratif, soit par l'exaltation et la restructuration des plans et des couleurs,en réaction de survie, soit, au contraire, par la décomposition ou le resserrement des formes, en un parti pris de dérision ou de constat d'échec.
La grande leçon de la première moitié du XXème siècle sera avant tout la nécessité d'une problèmatique de l'art, reflet des enthousiasmes et des angoisses deu temps, qui ne peut se résoudre en fiction iconographique rassurante, mais doit demeurer, comme la question de l'existence humaine, un affrontement avec les incertitudes.
Certains artistes ne se préoccupent pas de rechercher une esthétique original. Ils utilisent celle que d'autres ont créée: par exemple, la technique pointilliste de Seurat chez Previati, Osbert, Martin ou Masek; le réalisme chez Crane; un mélange de précision académique et de leçon impressionniste chez Lévy-Dhurmer .
Paris, Le lapin agile
A peu de distance du Bateau-Lavoir, rue Saint Vincent, toujours sur la butte Montmartre, se trouve encore, en pleine activité, un autre lieu de réunion célèbre, Le Lapin agile, appelé autrefois le cabaret des Assassins et rebaptisé d'un calembour en l'honneur du caricaturiste André Gill : "Là peint A. Gill".
Le fils de Suzanne Valadon, Maurice Utrillo, errait souvent, en état permanent d'ivresse, dans ce quartier où, contre une bouteille de vin, il peignait en tons clairs les tableaux étonnamment construits de sa "période blanche" . L'écrivain Roland Dorgelès y a monté le plus grand canular de l'art moderne en faisant peindre par l'^ne du patron, Aliboron, un pinceau attaché au bout de la queue, un splendide tableau abstrait. Coucher de soleil sur l'Adriatique, qui obtint un prix au Salon des indépendants de 1910.
"La rue avec ses maisons blêmes,
Ses débits, ses trottoirs luisants
Et ses hasards, toujours les mêmes,
Depuis le temps de sa bohème,
D'un cœur qui muse et va gueusant.."
Poème de Francis Carco, dédié à Utrillo et à Montmartre