Citations de Elisabeth Foch (148)
Voyager, c’est : confronter « son » monde au monde ; se découvrir tel qu’on est lorsqu’on n’est pas chez soi ; faire usage de ses cinq sens, mêler saveurs et savoirs ; être heureux d’arriver quelque part puis soulagé d’en partir – pour- tant le lieu n’a pas changé ; tendre l’oreille à l’esprit des lieux : s’il vous dit de déguerpir, surtout ne pas le contredire ; accepter qu’on ne pourra jamais tout voir, tout connaître : on sera toujours incomplet d’un bonheur volé à une étape encore inconnue ; aller voir et laisser dire.
Dans ces deux traditions, et depuis des siècles, les croyances permettent aux Ethiopiens de survivre avec une foi inébranlable dans une nature excessive, ballottés par le chaos de l’histoire. Les pèlerins ont tous une foi viscérale dans le pouvoir de protection et de guérison sur une terre criblée de symboles.
L'Inde qui est plus qu'un pays, plus qu'un continent, qui est un chaos multiplié, une conjonction d'univers, et sans doute le réservoir de sens, d'effrois et d'illuminations du monde. L'Inde, ou pour mieux dire les Indes, dont on sait la réalité si vaste, si contrastée, si contradictoire, si fascinante, si intolérable, si miraculeuse qu'une seule vie humaine jamais ne suffira à explorer toutes ses rives ni à hanter tous ses labyrinthes.
Désapprendre pour retrouver une liberté première, sauvage, antérieure à toute personnalité et autre concrétion qui emprisonne l'être.
Qui n'a pas décrypté dans les chaos de l'altitude une géométrie du désir?
Qui n'a pas lu à fleurs de pierre des paysages sans limite où l'on peut percevoir désert, cratère, crevasse, rivière, delta, vallée?
Qui n'a pas reconnu dans les séracs de gigantesques pâtisseries destinées à quelque Gargantua, et dans les lichens du rocher la moisissure qui se forme en lunules à la surface des pots de confiture?
Qui n'a pas reconnu dans les nuages accrochés au relief la forme d'un animal?
Qui n'a pas vu les éboulis se mettre en mouvement comme une effrayante marée de granit?
Image ou magie? En montagne, les deux se confondent, se jouent l'une de l'autre et offrent à l'artiste un espace de création et d'illusion qui entraîne le spectateur complice dans d'imprévisibles ascensions.
Les photographes déplacent les montagnes. Les déforment. Jusqu'à les conformer à leur imaginaire.
La montagne est comme un poème.
Dans ces espaces vides où toutes les expériences s'imbriquent les unes dans les autres, inutile de faire le choix entre le corps et l'esprit.
Perdu dans ce monde blanc où s'enchevêtrent tous les contraires, neige-pierre, chaud-froid, ombre-lumière, on finit par perdre tous ses repères. On ne sait plus ce qui est près ou loin, petit ou grand. Les préoccupations d'en bas s'évanouissent. La raison expérimente de nouvelles voies.
Car la haute altitude crée des liens profonds entre ceux qui l'ont un jour vécue, que ce soit au siècle dernier ou il y a huit jours, dans le Karakoram ou sur les Montagnes de la Lune.
Ces territoires de "révélation" provoquent une multitude d'expériences, et notamment celle d'un voyage dans le temps et dans l'espace.
De pierre ou de neige, la haute altitude nous réserve des espaces inchangés depuis des siècles.
Ensuite, la descente. Bousculé comme un gain de sable dans un sablier, on s'enfonce dans le paysage. On dégringole pour rejoindre ces torrents qui d'en haut avaient la brillance et l'immobilité d'un sillage d'escargot.
Dans une lutte d'altitude immobile, d'autres sommets crèvent le ciel comme autant d'autres projets possibles. Arêtes aériennes, rondeurs inattendues, amas de pierres branlantes, chaque sommet a son image, son histoire.
Alors, le regard s'élargit aux dimensions du paysage, et c'est magique.