Elisabeth Segard

Il [Victor Hugo] avait une bonne nouvelle à fêter : son élection à l’Academie française. Cerise sur le gâteau, il occuperait le fauteuil 14, celui de Nepomucene Lemercier, un poète à la manque, un dramaturge ringard qui s’était brouillé avec Napoléon et dont le plus bel exploit avait été d’être le chouchou de Marie-Antoinette ! Le vieux Lemercier avait tiré toutes les sonnettes de Paris pour lui interdire la coupole, à lui, Victor Hugo, futur pair de France, mais il avait été élu quand même, sur le fil certes, à deux voix près, mais il y était. Enfin. Ce bouffon de Lemercier devait en recracher ses pissenlits.

Louis XIV avait le sens de l’auto-branding et avait su se créer un logo original; il avait aussi imaginé, avec trois cent cinquante ans d’avance, le poste de ministre des solidarités et le concept d’inclusion. Il avait donc établi une manufacture au sein des Invalides. Ces ateliers, sortes d’Esat avant l’heure, occupaient les anciens soldats. Le fruit de leur travail mettait également un peu de beurre dans les épinards de l’Institution : un homme de quarante ans, même avec une jambe ou un bras en moins, garde un solide appétit.

L’intérêt suscité de Pékin à New-York pour le dôme dore et le tombeau de Napoléon préservait l’hôpital. « Louis XIV nous héberge, Napoléon nous nourrit » avait résumé Jacques Perot lorsqu’il était directeur du musée de l’Armée. C’était la photogénie de carte postale des Invalides qui permettait aux pensionnaires de dîner et de dormir dans le même cadre que, bien avant eux, les grognards de l’Empire et les poilus de la Grande Guerre. Quatre vingts personnes nourries, logées, promenées dans l’hôtel particulier le plus vaste de Paris, plafonds à caisson, boiseries en chêne, charpente d’origine et souterrains inclus. Quinze hectares, une cathédrale, une piscine, un gymnase, des restaurants, une bibliothèque, trois mille trois cents pièces. L’Elysée, à côté des Invalides, était une cabane de jardin.

Il n'était pas plus bavard qu'un autre mais la vie sans parler lui semblait inconcevable. Parler, c'est comme boire, manger ou rêver.