Emily partirait. Elle se marierait et fonderait sa propre famille, deviendrait une femme adulte sans que rien, sur son visage, ne laisse soupçonner ce qui lui était arrivé. Longtemps après, bien des années plus tard, lui serait encore à Rutherford.
Elle changerait et reconstruirait sa vie ailleurs. Mais lui resterait le même. Toujours exactement le même.
Et toujours un lâche.
Chez les garçons, en général, les conversations entre jouets tournent à la bagarre générale.
Les mots se bousculaient dans sa tête, les mêmes que d’habitude, qu’elle prononcerait précipitamment : sa fille était juste un peu décalée par rapport aux autres ; ses humeurs, ses réactions n’avaient rien de méchant. Elle était sûre qu’il existait quelque chose chez Rachel, enfoui tout au fond d’elle, que les autres n’arrivaient pas à voir et dont la recherche l’épuisait, une qualité essentielle qui, lorsqu’elle l’aurait découverte, s’avérerait exceptionnelle, unique. Il lui fallait trouver la clé ouvrant le cœur de Rachel. Un jour, elle le savait, elle y parviendrait et s’en servirait pour la libérer.
On pense que les autistes ont une acuité auditive et visuelle bien supérieure à la normale. Leurs sens sont très aiguisés, hypersensibles ; ils vivent dans un monde où leurs sensations sont exacerbées.
Il lui faut littéralement apprendre le sens de telle ou telle expression imagée, apprendre à déchiffrer les mimiques traduisant les émotions d’une personne, la signification d’un silence en fonction d’une situation donnée. Elle doit se battre pour ne pas perdre pied, mais elle n’a pas le choix. C’est à ce prix qu’elle garde le contact avec nous.
Les gens n’ayant qu’une moitié de figure vous écoutaient littéralement d’une oreille, sans vous consacrer toute leur attention.
Se faire des amis et les garder est terriblement difficile. Les subtilités de la conversation lui échappent; les préalables, les entrées en matière, les blagues, tout ça c’est du chinois pour elle. Qui plus est, elle ne sait pas mentir et refuse de désobéir ou de céder.
Dans ce paysage enneigé où l’on ne pouvait rien cultiver, où nul homme, nul animal n’aurait pu vivre, poussaient des plantes. Des orchidées, des coquelicots, des espèces que personne en Occident - en Angleterre, en Amérique, en Europe -n’avait jamais vues.
Il vous assène ses vérités, vous soûle de paroles, de ce ton neutre et égal. Au bout du compte, vous êtes prêt à capituler, juste pour le faire taire. Voilà ce qu’Anna doit subir. Un vrai supplice chinois, vous savez, le robinet qui goutte lentement.
A l’école, elle avait de nombreux amis, mais à la maison, elle avait l’impression de se renfermer. Ses propos, ses émotions surtout, étaient indésirables, superflus, gênants. Elle avait l’impression que son père se félicitait de son silence.