Tout ce que je sais, c'est qu'il faut que je devienne la meilleure. Je ne peux pas continuer à être l'éternelle
seconde.
Ah, la peur...
La peur a ce quelque chose de si particulier. Cette sensation grisante. L’impuissance dans leurs yeux. L’adrénaline, le besoin et les pulsions qu’elle réveille.
La peur redresse les torts.
La peur, c’est le pouvoir.
Les samedis soir, on se raconte des histoires effrayantes et on boit ou on fait la fête jusqu’à oublier la réalité. Les samedis soir, c’est ambiance même-pas-peur et rien-à-foutre. Ces soirées nous donnent l’impression d’être immortels.
Pourtant, chaque année, quelques semaines avant le homecoming et son festival de début d’année où l’on élit le roi et la reine du bal, tout change.
Alors, la peur devient presque palpable. La peur de perdre quelqu’un, la peur de mourir. Notre communauté se met en pause pour plusieurs semaines, jusqu’à ce qu’enfin, un corps soit retrouvé.
Peu importent les couches de vêtements qui nous séparent, mon corps se fond avec le sien. Sa main caresse mon dos et je me presse contre lui, rêvant de sa peau contre la mienne. Il glisse sa langue dans ma bouche et entraîne la mienne dans une danse espiègle. Son autre main me touche tendrement la joue, et je pourrais rester comme ça toute ma vie. Et en même temps, j’en veux plus... mais ce qui me traverse l’esprit ne devrait probablement pas avoir lieu en public.
On risquerait des problèmes.
Affronter mon passé et mes démons, ça fait partie du deal. Même si ça peut être plus douloureux encore que les coups qu’on bouffe sur le terrain quand on essaie de protéger le ballon.
C’est l’un des grands avantages de Paris quand on a dix-neuf ans : pas besoin de faux papiers d’identité pour consommer de l’alcool. Même si je sais que les Français n’ont pas coutume de laisser un pourboire de vingt pourcent, je pose deux euros à côté de mon verre et la barmaid m’adresse un signe de tête et un sourire qui signifient non seulement « merci », mais aussi qu’elle sait à quel point ce mec est chiant.
« Je veux rentrer chez moi. » Il n’y aucune passion dans ses mots, aucune force, seulement de la résignation. Mais ses yeux me demandent pitié. Des yeux marron, certains diraient caramel clair, qui ont sûrement l’habitude de toujours obtenir ce qu’ils veulent. Les filles comme elle sont tellement prévisibles. Elle n’a que ce qu’elle mérite. Juste une pétasse de plus.
J’ai perdu mes peintures de guerre, et dans ce genre d’audition, on ne peut pas se permettre de laisser paraître même un soupçon de faiblesse. Je dois être la meilleure. C’est tout ce que j’ai pour moi : je travaille dur et je sacrifie tout pour la danse, parce que c’est la seule chose qui m’aide à oublier, la seule chose qui réussit à me procurer un peu de bonheur.
Je voudrais oublier, mais si le jour maudit où j’ai décidé de ne pas choisir entre boire et conduire m’a bien appris un truc, c’est que l’oubli a un prix.
Boire jusqu’à l’inconscience pour oublier que ma mère était malade, ce n’était pas la solution. Ça ne l’a pas empêchée de mourir, et ça m’a coûté ma place dans l’équipe et avec elle mon avenir.
Ses lèvres sont tout près de ma joue, et il y dépose un baiser. Je pourrais fondre comme la neige accrochée aux arbres au printemps. Cette voix si profonde, si sexy ! J’ai toujours eu du mal à croire qu’une voix pouvait être sexy, mais clairement, ça, c’était avant. Parce que cette voix-là, je pourrais l’écouter sans me lasser pendant des heures.