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3.43/5 (sur 36 notes)

Nationalité : France
Biographie :

Éric Richer est un auteur français.

Éric Richer a d’abord été projectionniste et réalisateur de courts métrages, puis lauréat d’un concours de poésie au Japon.

Dans "La rouille", son premier roman, il imagine l’errance et les aspirations d’un jeune adolescent confronté à une âpre réalité.

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Eric Richer - La rouille


Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
Tu sais ce qu'est un cuisinier par ici ? C'est celui qui est chargé de faire bouillir les morceaux de cadavres pour détacher la peau des os afin de mieux les broyer au marteau et de faire ainsi disparaître à cent pour cent un corps inexploitable.
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Il martelait le sol comme s’il faisait le double de son poids. Les bottes en caoutchouc luisaient de la rosée fracassée sur son passage. Il respirait fort. Le fardeau sur ses épaules l’accablait, pressant son corps vers la terre. Il regardait la tourbe détrempée filer sous ses pieds depuis une éternité. Une sangle passée autour de sa taille retenait l’outil pointu. Le long manche de bois entravait régulièrement sa foulée, le forçant à s’arrêter. De la fumée s’échappait de son crâne, du combat que sa peau bouillante livrait à l’air froid du dehors. Les premiers rayons affleurèrent des collines. Ils teintèrent la vapeur de son souffle. L’arbre était en vue. Minuscule, mais en vue. Bientôt, il serait libéré de ce poids mort. Libéré de l’animal qu’il charriait sur son dos.
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Le chien mordait le bitume.
Il écumait.
La bave sinuait entre les billes de grésil, qu’il balaya de ses pattes avant. L’arrière-train tenta vainement de se relever par à-coups, bipède autonome fuyant l’amok en train de gangrener le reste du corps, affalé sur le côté.
– Lupus ! Lupus ! cria Nói en s’approchant. Viens là, viens ! Viens manger…
Les mots avaient fusé comme ça, sans réflexion aucune, pour entrevoir une étincelle de raison dans les yeux de l’animal. Le garçon ne vit que le blanc laiteux des globes révulsés.
Les canines rayaient l’asphalte. Museau mousseux, cramoisi.
Nói enjamba le chien par l’arrière pour ne pas de faire mordre. Des larmes de givre désagrégé collaient à son visage. Des filets de bile balafraient le bas de son pyjama et ses pieds nus. – Papa ! Papa ! appela le garçon, quand il aperçut le grand-père claudiquer sous le cône pâle de l’ampoule du garage.
Zelj s’avança vers l’animal. Le laissa s’arc-bouter contre ses jambes, s’accroupit et le saisit sous la gueule par la peau flasque du cou pour le retourner face à lui. Le vieil homme fixa le chien, longuement, comme s’il sondait la conscience de l’animal au travers des pupilles. Il donnait l’impression de scruter un miroir, à quelques centimètres de la truffe en sang. Lupus envoya les crocs, mais la mâchoire claqua dans le vide. le vieux resserra sa prise, souleva le chien du sol et le tira le long du hangar.
– Qu’est-ce qu’il a ? fit Nói sans reconnaître sa voix, altérée par la mue, les spasmes et les pleurs. Il est empoisonné ?
– Il est foutu, dit Zelj.
Bruits de pas. Terje arrivait, suivi de Lars, le larbin du vieux, qui dérapa dans une flaque de merde liquéfiée. L’animal se vidait de toutes parts.
– Faut l’emmener chez le véto, ‘pa, faut l’emmener ! implorait le garçon.
– Écarte le môme, Terje, et toi va m’chercher le fusil dans la voiture, ordonna le vieil homme.
Lars s’exécuta tandis que Nói, hystérique, battait l’air vif de ses jambes, ceinturé par son père.
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Nói s’assoit sur le toit de la Saab 900, cinquième et dernière épave de la colonne de carcasses, la reine comme ils l’appellent, couronne de la pile, allée H, rangée 7. Les vertiges sont indissociables des trips au solvant, aussi le garçon se montre patient, s’allonge au cas où son père viendrait par là, et avale deux comprimés de paracétamol 1000 à sec pour parer aux migraines qui n’allaient pas tarder. Il essuie son nez qui ne saigne plus puis décide de se laisser glisser dans son repaire, par la fenêtre passager du tout-terrain japonais, juste en dessous. Black Shark, réticent, tire sur sa laisse de fortune. Nói l’aide à passer le rebord de la portière, puis le lâche dans l’habitacle. Ses ailerons s’estompent. Le requin noir va dans son coin, au-dessus de la plage arrière, comme s’il avait honte de sa non-consistance. Le garçon comprend que Black Shark souhaite rester seul pour disparaître, alors il se retourne et le laisse se dissoudre tranquillement.
Nói se cale dans le siège incliné, ferme les yeux. Le Nissan tangue doucement. Une fraction de seconde, le garçon se dit que la tour de véhicules va s’effondrer. Il se fait toujours avoir par les effets secondaires. Il veut dormir maintenant, le plus vite possible, pour que l’envie de vomir reflue, que les fourmis dans ses mains se barrent. Le trichlo, vif, électrisant au décollage, cruel et patient en redescente. Nói venait de passer une demi-haure avec son squale. Record battu. Il faudra le double de temps pour se remettre d’aplomb. Pour avoir l’air à peu près normal, aux yeux du monde, et conduire le quad sans danger.
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Le chien mordait le bitume.

Il écumait.

La bave sinuait entre les billes de grésil, qu’il balaya de ses pattes avant. L’arrière-train tenta vainement de se relever, par à-coups, bipède autonome fuyant l’amok en train de gangrener le reste du corps, affalé sur le côté.

–  Lupus ! Lupus ! cria Nói en s’approchant. Viens là, viens ! Viens manger…

Les mots avaient fusé comme ça, sans réflexion aucune, pour entrevoir une étincelle de raison dans les yeux de l’animal. Le garçon ne vit que le blanc laiteux des globes révulsés.

Les canines rayaient l’asphalte. Museau mousseux, cramoisi.

Nói enjamba le chien par l’arrière pour ne pas se faire mordre. Des larmes de givre désagrégé collaient à son visage. Des filets de bile balafraient le bas de son pyjama et ses pieds nus.

–  Papa ! Papa ! appela le garçon, quand il aperçut le grand-père claudiquer sous le cône pâle de l’ampoule du garage.

Zelj s’avança vers l’animal. Le laissa s’arc-bouter contre ses jambes, s’accroupit, et le saisit sous la gueule par la peau flasque du cou pour le retourner face à lui. Le vieil homme fixa le chien, longuement, comme s’il sondait la conscience de l’animal au travers des pupilles. Il donnait l’impression de scruter un miroir, à quelques centimètres de la truffe en sang. Lupus envoya les crocs, mais la mâchoire claqua dans le vide. Le vieux resserra sa prise, souleva le chien du sol et le tira le long du hangar.

–  Qu’est-ce qu’il a ? fit Nói sans reconnaître sa voix, altérée par la mue, les spasmes et les pleurs. Il est empoisonné ?

–  Il est foutu, dit Zelj.

Bruits de pas. Terje arrivait, suivi de Lars, le larbin du vieux, qui dérapa dans une flaque de merde liquéfiée. L’animal se vidait de toutes parts.

–  Faut l’emmener chez le véto, ’pa, faut l’emmener ! implorait le garçon.

–  Écarte le môme, Terje, et toi va m’chercher le fusil dans la voiture, ordonna le vieil homme.

Lars s’exécuta tandis que Nói, hystérique, battait l’air vif de ses jambes, ceinturé par son père.

–  Lupus ! Lupus, viens mon chien, viens ! Allez ! cria le garçon à l’animal rampant qui tremblait de tous ses membres, langue sortie. Lâche-moi, ’pa, lâche-moi ! Il a pas le droit de faire ça ! Il a pas le droit !

–  C’est son chien, Nói…

–  Tu parles ! C’est des conneries tout ça, dit le garçon en se balançant de tous côtés pour se dégager.

Son poing droit cogna la tempe de son père qui ignora le coup.

–  Le laisse pas faire, s’il te… Toi, barre-toi, barre-toi, connard ! gueula-t-il au larbin qui revenait avec un fusil de chasse noir.

Noir comme le chien fou. Lars tendit le Baikal au grand-père du garçon.

–  Salaud ! Enculé ! cracha Nói.

Terje riva son fils sur son épaule et remonta la cour tant bien que mal vers la maison, quand la tempête de 45 kilos sur son dos cessa subitement. Le garçon regardait Zelj plaquer le crâne du chien sur le sol avec le canon. D’un coup de reins, Nói se libéra, tombant tête la première du haut du 1,95 mètre de son père. Privé de souffle, la joue piquée de graviers, il sentit Terje lui agripper la cheville quand le coup de feu claqua.

Choc sonore, vision fugace du chien sans tête. Fréquence sourde dans les tympans, mutante, crissante… Black-out.

Son front heurta le goudron. L’impact lui fit l’effet d’une claque. Il rouvrit les yeux, repartit à quatre pattes vers la cour et dégueula sur des morceaux de poils et de chair indistincts, éparpillés au milieu de cristaux de glace. Haut-le-cœur, acides. Nói vomissait ses tripes, ce lieu, ces hommes et leur soleil insomniaque.

Image du chien, impatient, excité, bondissant, chopant au vol les premiers flocons, au ralenti, comme du coton.

« C’est c’te pluie qui l’a rendu fou, murmura le garçon, c’te foutue pluie de tessons…  »

Juillet.

La nuit avait démissionné, le ciel pissait du verre pilé.

Lupus allait sur ses 13 ans.

L’âge de Nói.

Le garçon tient son requin noir au bout d’une corde, comme un ballon gonflé à l’hélium. L’observe évoluer au-dessus de sa tête. La nageoire caudale filandreuse laisse des traînées d’encre de Chine dans le ciel bleu. C’est la plus belle chose qu’il ait jamais vue.

Le squale bifurque, et les éclaboussures projetées dans son sillage lui rappellent ce peintre que son oncle adore. Pollack, Paulock, un truc comme ça. Nói reçoit une goutte sur le pied. Il se penche, constate qu’elle n’est pas noire mais rouge sang. Réalise qu’il renifle depuis un moment, tant ses cloisons nasales sont bouffées par le trichloréthylène.

Le trichlo, qui fait de lui le roi de cette casse auto, qu’il respire à même le bidon aujourd’hui car c’est l’anniversaire de la mort de son chien et qu’ils comptent bien l’honorer, lui et le requin. Le trichlo qui va l’aider à supporter le

vieux pourri, bientôt de retour pour sa partie de chasse de merde…

Juillet à nouveau. Moustiques et parasites reviennent. Comme chaque année.

Le garçon renâcle, éponge son nez avec le chiffon imbibé, remarque que Black Shark se dilue. Ses pensées s’assombrissent, la descente est proche, il faut rentrer. Rentrer dans le 4x4 qui lui sert de planque, son « nid » comme l’appelle l’oncle Otto, pour ne pas risquer de tomber de haut.

Nói s’assoit sur le toit de la Saab 900, cinquième et dernière épave de la colonne de carcasses, la reine comme ils l’appellent, couronne de la pile, allée H, rangée 7. Les vertiges sont indissociables des trips au solvant, aussi le garçon se montre patient, s’allonge au cas où son père viendrait par là, et avale deux comprimés de Paracétamol 1000 à sec pour parer aux migraines qui n’allaient pas tarder. Il essuie son nez qui ne saigne plus puis décide de se laisser glisser dans son repaire, par la fenêtre passager du tout-terrain japonais, juste en dessous. Black Shark, réticent, tire sur sa laisse de fortune. Nói l’aide à passer le rebord de la portière, puis le lâche dans l’habitacle. Ses ailerons s’estompent. Le requin noir va dans son coin, au-dessus de la plage arrière, comme s’il avait honte de sa non-consistance. Le garçon comprend que Black Shark souhaite rester seul pour disparaître, alors il se retourne et le laisse se dissoudre tranquillement.

Nói se cale dans le siège incliné, ferme les yeux. Le Nissan tangue doucement. Une fraction de seconde, le garçon se dit que la tour de véhicules va s’effondrer. Il se fait toujours avoir par les effets secondaires. Il veut dormir maintenant, le plus vite possible, pour que l’envie de vomir reflue, que les fourmis dans ses mains se barrent. Le trichlo, vif, électrisant au décollage, cruel et patient en redescente. Nói venait de passer une demi-heure avec son squale. Record battu. Il faudra le double de temps pour se remettre d’aplomb. Pour avoir l’air à peu près normal, aux yeux du monde, et conduire le quad sans danger.


La mer de tôles est calmée quand il rouvre les yeux dans son sanctuaire. Sur le capot du Nissan, un passereau jaune et vert chante dans le vide.

Le garçon avait désossé les trois quarts des carcasses de l’allée H sans aucune pitié (50 % du prix de revente des pièces dans sa poche), mais craqué pour le vieux 4x4 japonais. L’intérieur du tout-terrain n’avait pas trop souffert lors de l’accident. Compteurs, volant, comodo, rétroviseur, ceintures, prétensionneurs, leviers de boîte, système audio, pare-brise, vitres, moteurs des vitres, il avait tout démonté, sauf les sièges, comme neufs mis à part quelques traces de sang côté conducteur, le placage imitation bois et le porte-gobelet escamotable. Malgré son toit semi-écrasé, entre la banquette arrière et le vaste coffre, le 4x4 aurait pu accueillir au moins cinq personnes, même si personne d’autre que lui n’avait jamais gravi ce donjon de fer aplati, si ce n’est son oncle, une fois.

Quelques robots et figurines qui puaient le plastique décoraient ce qui restait du tableau de bord. Le plafond du véhicule était tapissé de posters de magazines pour adultes « empruntés » à son père qui puaient le latex ; dans son refuge, Nói ne se masturbait qu’avec des préservatifs récupérés aux sorties de concert. Des BD traînaient çà et là sur le plancher, des trucs de SF d’Otto, au milieu de dizaines de pipettes vides de sérum phy, pour ses narines gercées. La boîte à gants béante abritait une tablette Samsung fissurée et son plus beau trophée, une baguette Vic Firth rongée par le tom basse du batteur de Year Of No Light, attrapée au vol à la fin du festival sludge post-doom d’Ilyviesk. Il y avait aussi trois photos étalées devant les compteurs vides.

La première montrait le garçon à 2 ans, hilare, assis sur le réservoir d’une moto de cross, tenant fermement le guidon. Derrière lui son père veille, les mains en avant, prêt à bondir en cas de chute. Terje regarde l’objectif et sourit, clope au bec, insouciant, la trentaine. La deuxième, c’était son oncle Otto à 21 ans, dans son treillis de l’armée, le dernier jour des classes, s’appuyant sur l’épaule d’un copain coupé par le cadrage. Le paquetage sur son dos fait de lui un escargot géant.

La troisième photo était plus récente, imprimée via le PC de la casse. C’était Lupus, en train de lécher la figure de Nói, enfant, rentrant de l’école. Les deux sont debout, de la même taille, dans les bras-pattes l’un de l’autre. Et puis il y avait la photo cachée.

Côté conducteur, dans le compartiment sous la planche de bord, une boîte en bois aux arêtes coupantes, avec une étiquette rouge indiquant « Korean Ginseng Tea ». À l’intérieur, pas de sachets mais un vieux cliché, épais, carré, cadré de blanc. On y voyait deux femmes, l’une très âgée, l’autre beaucoup moins. Elles posent en costumes traditionnels dans une forêt, dignes, sérieuses mais souriantes, les joues rouges. La vieille dame, Nói ne l’a jamais connue. L’autre, si, mais il ne s’en souvient pas. C’est sa mère, Eliina.

Le garçon considérait la boîte de thé
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Os de Tigre attend. Elle saigne.
Dans un placard électrique. Une heure qu’elle est là. À piétiner de la mort-aux-rats.
Flux de menstrues impossibles. Pas à son âge. La porte du hall, grande ouverte. Un couple se gare dans la rue. Os de Tigre peut les voir si elle entrouvre l’armoire. L’homme a une tête de bougie fondue. Ses oreilles coulent comme des cierges. Sa femme bouffie à sa droite. Déchaussée sur le tableau de bord. Ses orteils déformés qui pianotent sur le pare-brise.
Poussière. Envie d’éternuer. Pas bouger. Nez pincé. Cuisses serrées. Ce n’est pas elle qui saigne, c’est la Bête qui pleure. Ça bouge. Une poignée de porte couine. Ça descend. Deux étages. Quatre jambes. Elle arrive. Pas seule. Ils passent devant le placard. Un homme qui traîne les pieds. Sueur musquée, désodorisée. Le vendeur. Grassouillet. La denrée juste derrière. Intoxiquée. Nippes raccourcies, couettes blondes, gracile. Maquillée en gamine. L’odeur. Une Griffe. une fille d’Os de Tigre. L’albinos.
Ils sortent. Loin des yeux du monde.
Dehors, l’acheteur descend sa vitre. La fille monte à l’arrière pendant que le gros encaisse. La femme sur son téléphone comme une zombie. Le gros tape sur le toit de la voiture pour conclure le deal et la voiture emmène la fille. Le type ne rentre pas chez lui. Remonte la rue.
Il met dix minutes à revenir. Ça coule. Os de Tigre badigeonne ses cuisses. Enduit ses vieux seins. Masse son ventre. Finit par son visage. Peintures de guerre.
Le vendeur ramène deux sacs de courses. Laisse la porte du hall se refermer derrière lui. Grimpe les marches. Os de Tigre attend. Palier suivant. Revoit l’offrande. Le kumquat pourri, envahi par les fourmis. Goûte ses larmes de sang, se met en mouvement. Peine à se déplier. Entame les marches.
Le gros est parti mettre sa viande au frais. La porte d’entrée restée grande ouverte. Os de Tigre entre dans l’appartement.
À droite, une pièce qui pue la pisse et la mort. Une centenaire au visage canin gît dans un lit. Le type vit avec sa mère. Parcheminée. Yeux et bouche grands ouverts en direction du plafond. Os de Tigre regarde dans la pièce de gauche. Draps froissés. Peluches. Godemichets. Huiles de massage. Le gros remplit son frigo un peu plus loin. Os de Tigre étudie le sol en s’avançant. Le caoutchouc de ses sandales effleure les dalles en plastique. Le type referme la porte de son frigo et Os de Tigre est là. Spectre rouge. Pas très grande. Terrifiante. Le type tressaille. Ne crie pas. Un œil par-ci, un œil par-là. Caméléon qui pâlit, tombe dans les pommes et s’écrase au sol comme une merde. Cogne son front par terre. Os de Tigre le contourne, farfouille dans les placards de la cuisine. Une petite bouteille verte à étoile rouge, à peine entamée, 200 ml d’ergotou à 56°. Une rallonge électrique. Elle se penche sur le caméléon. Obstrue sa bouche d’un chiffon. Le saucissonne comme un cochon avec la rallonge. Arrose l’entrejambe d’alcool blanc, l’enflamme à l’allume-gaz. Tourne, tourne et danse autour du feu de joie, psalmodie un vieux chant insane, toupie folle. Elle se calme et sort de la pièce. Referme la porte pour ne pas déranger la vieille avec les cris étouffés de son fils. Dans la salle de bains, elle nettoie son visage et ses mains. Jette un œil à la centenaire en partant, qui continue de fixer le plafond, tous chicots dehors, comme atterrée par la connerie du monde. Un piolet dépasse d’un placard ouvert. Os de Tigre l’attrape par la pointe. Tombe amoureuse de l’outil. Elle quitte l’appartement. Glisse le piolet sous son poncho. Descend l’escalier sur des œufs.
Au bord de la rivière, elle observe la lame-marteau. Acier noir cranté. Fait siffler l’air deux fois trois fois avec. La repose délicatement par terre. Os de Tigre récupère les cigarettes cachées sous ses cartons. Elle retire ses souliers. Repose ses pieds. Pioche dans sa collection de vieux briquets. Le premier est le bon. Elle termine un mégot. Descend dans l’eau pour laver le sang caillé. Sent la Bête se réveiller.
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Le vacarme d’un groupe électrogène réveille le Russe.
Seul dans l’habitacle du Honda. Yulong, assis sur le capot, fume une clope avec un type.
Bribes d’anglais, de russe, de chinois. Le type en question, c’est Serioja. Autre fixeur, autre temps, vieux vor, vrai truand. Sa caution, son tuteur, le garant d’expatriés d’urgence, de voyous mis au vert comme Esad. Serioja le Géorgien, l’exilé, vieille connaissance de son oncle, jamais vu, toujours entendu parler.
À n’appeler qu’en cas d’absolue nécessité.
Maintenant, ici, les pieds sur le pare-chocs, les deux mains en visière, une casquette de toile à l’envers, il observe avec Yulong le cirque des véhicules.
Roulottes de cow-boys, camions à bestiaux, camping-cars arrangés, épaves roulantes. Motos préhistoriques, scooters plus récents, triporteurs, même des porte-conteneurs, fourgons bâchés, séparés, intervalles réguliers, vrai rallye.
De tous ces chenils roulants, on entend aboyer, mordre, grogner, hurler à la mort, les chiens prêts au combat et à tuer pour les hommes. Yulong tape sur le pare-brise, fait signe à Esad de sortir.
Air âpre. Odeurs de pétrole, de gaz d’échappement, de viande fumée faisandée. Accolade du Géorgien boucané. Yeux bleus vides. Protocole : il retire la casquette vissée sur son crâne et exhibe le chiffre 2743 tatoué sur le front, preuve de ses anciens crimes, sa distance-punition calculée en kilomètres, périmètre infranchissable à vie ou c’est la peine capitale, tu choisis. Sur le globe, il avait pointé Novosibirsk de son compas de forçat, avait opté pour Yulin et y était resté.
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Il y a quelques jours, leur école avait organisé une journée de « sensibilisation aux méfaits de l’alcool et autres dangers de l’usage de produits stupéfiants ». En fin de compte,
ça s’était avéré pas mal instructif, notamment sur les pratiques de sniffing de solvant, matière dans laquelle Lari avait quelques lacunes. L’alcool, ça allait. Le bagging aussi, même s’il n’était pas trop fan de l’ambiance favela de la colle en sac plastique. Il avait essayé le poppers, un coup, avec sa sœur. Lui avait détesté. Trop court, trop chaud, trop… relaxant, et puis c’était un truc de pédales. Mais les descriptions faites par la prof des états sous substance toxique (désinhibition quasi instantanée, picotement des membres, hallucinations, coma, etc.) l’avaient fait se ruer au rayon quincaillerie du Citymarket d’Ilyviesk après l’école, où il s’était vu conseiller un substitut de trichloréthylène moins nocif, légal, et tout aussi efficace question dégraissage.
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Même les psychiatres se suicident, ici, c'est pour dire !
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Le suicide, c’est pour les pleutres, Nói, c’est juste bon pour vendre du plomb. Ton arrière-grand-père, on l’appelait pour qu’il fasse partir les pendus coincés chez eux. Il faisait fondre du plomb, sur place, et il ouvrait la fenêtre. L’odeur les irrite soi-disant, alors ils partent. Qui dit qu’ils errent pas dans les rues ensuite…
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