Quelle est la véritable nature de l'homme ?
Le soir au dîner elle avait posé la question au grand-père, qui lui avait fait cette réponse : "L'homme est une page blanche." " Alors chacun peut écrire ce qui lui plaît dessus" avait-elle aussitôt rétorqué. "Pourquoi ?" l'avait questionné le vieil homme. Sans réfléchir la petite fille avait poursuivi : "Parce qu'il est intimidé par sa blancheur." Le grand-père avait éclaté de rire, puis, affectueusement : "Ou parce que nous sommes prêts à dire n'importe quelle ânerie pour donner un sens à notre vie."
Leurs larmes coulèrent de plus belle car le bruit commençait à se répandre parmi les femmes du village que le juge avait les yeux tournés vers les très jeunes filles. Cela était-il possible ? N'était-il pas un gage de la sainteté des imams ? A la fois responsables des finances publiques de la ville au nom du régime islamique, vigilant gardien des bonnes mœurs, et garant de l'honneur et de la respectabilité de la communauté des croyants ?
Le grand-père était tout son univers. Une source inépuisable de contes chatoyants qu'elle n'avait entendus nulle part ailleurs. Des histoires de voyages sans fin sur des océans ne figurant sur aucune mappemonde et parmi de féeriques cités imaginaires. Ces récits tant de fois contés, conservaient leur pouvoir car ils prenaient vie sous les yeux avides de rêve de la petite fille et se paraient à chaque fois de teintes plus éclatantes.
Je veux rester à l'écart de tout ce qui représente une beauté absolue car j'en ai peur. Il ne faut pas prendre les choses à la légère. Autant que possible, il faut éviter les beautés et les plaisirs - il ne faut pas les connaître. De tels sommets engendrent toujours des chutes implacables.
Un rêve empli de lumières et de couleurs renferme forcément des malheurs. Moi, j'en suis convaincu ; je les ai vus maintes fois, et je les ai expérimentés. Il faut avoir peur. Il faut rester éveillé.
Ces vagues d'émotions en moi ne sont certainement pas nouvelles. Car face à la nature et à ses beautés angoissantes, j'ai toujours eu un sentiment de solitude et d'impuissance, je l'ai encore - ce sentiment d'abandon. Devant la gloire et l'omnipotence du Divin, devant sa perfection et sa toute-puissance éternelles, un état d'angoisse et d'étrangeté m'envahit. La vision d'un mouvement, d'une ondulation, dans la verdure des plaines ou dans le désert suffit pour agiter en moi des frissons d'angoisse et d'effroi.
Pour moi, le sommet de la beauté, c'est le lieu où se cachent les imperfections. Des imperfections qui prennent sens avec moi et en moi. Les autres aussi je les aime avec leurs défauts. L'homme Parfait ressemble au Paradis, il nous fatigue.