Flynn Meaney

As-tu la moindre idée de ce qu'est une première visite chez le gynécologue, d'à quel point ça peut être bizarre et effrayant ? Surtout quand tu ignores ce que tu viens faire là, que le cabinet ressemble à une salle de torture dans un film japonais et que ton PÈRE est à côté dans la salle d'attente, en train de feuilleter un magazine forme & santé et de lire un article intitulé "Des belles fesses pour l'été !".

- Le saluer ? a-t-elle gémi.
- Eh bien, je me disais que ce serait pas mal, comme premier contact. Mais si tu aimes mieux lui pincer les fesses, libre à toi, mon enfant. C'est bien plus original.
Elle a ignoré la remarque.
- Alex, ça ne se fait pas, d'aller saluer un garçon en premier !
- Ah oui ? Qui a décrété ça ?
- Je viens de lire un livre sur la psychologie des hommes des cavernes - où il est que les femmes ne devraient jamais faire le premier pas.
- Tu te bases sur l'avis des hommes de Néandertal, maintenant ?
- C'est de la biologie ! Les hommes sont génétiquement programmée pour chasser, pour traquer. Tant qu'on ne les approche pas, ils nous courent après.
Où va-t-elle chercher des trucs pareils ? Echange-t-elle secrètement, sous des sèche-cheveux sur pied, des secrets de séduction avec des femmes au foyer fumant comme des pompiers de la série Mad Men ? Pour moi, l'idée que les gens devraient se conformer à une conception archaïque et stéréotypée des genres masculin et féminin, c'est vraiment des conneries.

- T'inquiète. Tu vas adorer ici ! ai-je répliqué d'un ton guilleret. Je parie que tu as déjà rencontré plein de gens cool !
Il a secoué la tête.
- Je ne connais personne. Je me suis retrouvé dans cette soirée par hasard, parce que je me suis perdu en cherchant la bibliothèque.
- Tu vas te faire des tas d'amis ! ai-je menti. Et cet endroit est démentiel. Bon, c'est sûr le règlement de l'internat est un peu strict. Et les devoirs craignent à mort. Et il règne une concurrence pas possible entre les élèves - genre l'année dernière pendant le bac blanc, un mec a commencé à me fixer comme s'il allait me planter son stylo dans la cuisse. Ouais, nombreux sont ceux qui pètent un câble ici ! (...)
Les yeux de Numéro 2 s'écarquillaient à mesure que je parlais. Il semblait terrorisé au point de faire dans son pantalon.

- Tu sais, a-t-il dit en me regardant derrière ses mèches, tu es mignonne quand tu te mets en colère.
- Pardon ? ai-je bafouillé. Tu te fous de moi ? T'es mignonne quand tu te mets en colère ? Tu as conscience que ton commentaire est lamentablement sexiste ?
- Pas du tout ! a rétorqué Pat. Je dirais la même chose à un mec. Je passe mon temps à dire ça à des mecs. Tu vois Lunqvist, notre centre ? Un mètre quatre-vingt-douze, la figure pleine de poils roux. Il est adorable quand il s'énerve. Évidemment, quand je lui dis, je me prends son pied dans les couilles. Mais comme je porte une coquille de protection, tout va bien.

- (...) Pourquoi tes parents ont-ils divorcé ?
- Mon père avait gagné beaucoup de fric en investissant dans des valeurs technologiques et ça lui est monté à la tête. Il voulait acheter une grande et belle maison et une de ces voitures qu'achètent les mecs qui ont peur de vieillir...et, au même moment, ma mère a épousé la cause antimatérialiste. Elle s'est tellement investie qu'elle a fini par se dématérialiser elle-même dans un nuage de patchouli - ne se manifestant plus qu'au moyen de trois cartes postales par an envoyées depuis son centre de méditation bouddhiste.

Et ce que j'ai tiré de tout ça, c'est qu'on ne peut pas juger un livre à sa couverture. Ou une vierge à son crucifix. Ou une féministe à sa crête violette. Ou un joueur de hockey à sa... à sa dentition ! Même dans un endroit comme celui-ci, les gens vivent des trucs qui se passent en secret et dont on n'a pas idée. Nous avons tous nos histoires. Nous avons tous nos voix. Alors, racontons nos histoires, avec nos voix.

- Ou tu me laisses utiliser les béquilles, ou je te les fourre là où...
- Bonsoir messieurs dames !