Depuis son affrontement avec Sanger Rainsford, le général Zaroff a perdu l’envie de chasser. Un jour, on lui apporte un message. Celui-ci indique que sa sœur cadette et ses enfants ont été amenés sur l’île par la fille d’une ancienne proie, Fiona Flanagan. Celle-ci lui propose un marché : soit elle retrouve la famille Zaroff et elle les abat, soit c’est le général qui les trouve et il devra les défendre, contre le clan Flanagan. Que la chasse commence !
Qu’on ait vu le film ou lu le livre, le personnage de Zaroff reste un personnage particulier, fascinant. Parce que les deux médias laissent une fin ouverte à l’œuvre, Sylvain Runberg et François Miville-Deschênes ont imaginé une suite. Un pari risqué que les deux auteurs ont remporté de main de maître.
Pour arriver à ce résultat, il fallait remanier l’univers créé par Richard Connell. On rajoute une famille au général et on lui invente un prénom : Nikolaï. On renforce son côté russe en montrant l’architecture byzantine de ses quartiers généraux (les coupoles dans le brouillard sont du plus bel effet). L’aspect historique est présent avec la référence à la grande famine de Russie (1931-1933). L’album est rempli de détails qui permettent de densifier l’œuvre, que ça ne devienne pas une « simple chasse à l’homme ». Le scénario des deux auteurs est solide. Le récit est une traque où s’impose un inversement des rôles chasseur/chassé. Une grande partie de la pagination fonctionne sur le parallélisme Flanagan/Zaroff : que font les deux clans ? Qui chasse qui ? Pour faire fonctionner ce jeu scénaristique, il faut des personnages crédibles. D’un côté nous avons la famille Zaroff, avec la mère de famille et ses trois enfants. Peu à peu, le cliché de la mère de famille va s’effacer pour révéler combien il ne faut pas s’attaquer à la portée d’un animal. Quant aux enfants, ils craignent leur oncle Zaroff, avant de prendre parti pour lui, voire de l’aider. Il est intéressant de noter le comportement des femmes dans cet album. Elles commandent, elles ne subissent pas. A contrario, la plupart des hommes font des actions stupides, parce qu’ils se croient supérieurs. On pourrait se dire alors que ces victimes font références à « la lie de la société » évoqué dans l’œuvre originale !
On ne peut évoquer les personnages sans parler de l’évolution de Zaroff. Au début de l’aventure, on le découvre apathique, presque ridicule quand il s’énerve, puis le côté chasseur renaît en lui. Tout au long de la traque, il va rester maître de lui, même quand il est blessé. S’il est montré comme le plus innommable des hommes, le récit fait qu’on s’attache peu à peu à lui, qu’on est presque à le glorifier.
Si le scénario et les personnages sont posés, il ne faut pas oublier ceux qui avaient lu ou lu les œuvres précédentes. Là aussi, les références sont nombreuses : le prologue, les jaguars, la tête du buffle du Cap et un gorille qui rappelle King-Kong. La temporalité se déroule sur trois jours, comme l’œuvre originale.
Le lieu du récit à toute son importance. Nous avons des plages paradisiaques, des chutes d’eaux magnifiques, mais à côté, il y a des marécages putrides, une jungle luxuriante et millénaire. Cette jungle, omniprésente va devenir de plus en plus touffue, oppressante. Si la référence fait penser au Skull Island de King Kong, le graphisme de cette flore envahissante et majestueuse fait aussi penser au dessin de Burne Hogarth dans Tarzan. Cette retranscription, nous la devons à François Miville-Deschênes. Les lecteurs l’avaient découverts dans Millénaire, avant de voir tout son potentiel s’exprimer dans Reconquêtes. Dans Zaroff, son graphisme est mis à rude épreuve. Il y a des décors très différents, la nature est omniprésente. Si les dialogues sont importants, ils doivent y rester lisibles autant dans la case que dans l’ensemble de la page. Si l’auteur reste classique dans sa composition, on regarde certaines cases avec déférence : Zaroff et son serviteur dans la jungle, l’ouragan qui s’annonce, l’attaque des sauriens ou celle des jaguars. Il y a peu ou pas de paroles et l’auteur propose des poses iconiques qui fonctionnent. Quant à la couleur, elle va restituer complètement l’ambiance. Le vert n’est jamais tout à fait le même, l’ocre est très présent aussi. Chaque case est un œuvre en soi. Pour preuve, il suffit de voir la couverture au milieu des étalages des libraires. Que ce soit le graphisme ou les couleurs, tout l’ensemble ressort. La curiosité fait ouvrir le livre, le talent des auteurs fait le reste.
Zaroff est un album qui mélange références à la nouvelle de Richard Connell, comme à son adaptation cinématographique par Irving Pichell et Ernest B. Schoedsack. A côté de ces références, c’est un vrai récit de survival où les caractères se révèlent totalement. Les auteurs ont su trouver le juste milieu pour que le livre soit une œuvre « signé » et non pas un décalque de l’original. Le tandem Runberg-Miville-Deschênes fonctionne à merveille. on en redemande !
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