Citations de François Saintonge (18)
Gerta Gentschel avait-elle été belle, autrefois ? Peut-être. Il n'était plus temps de s'en faire une idée. A près cent réhabilitations chirurgicales, il ne restait plus d'elle qu'une forme approximativement humanoïde.
Tout le monde ne meurt pas à la guerre. Il y a des survivants, le monde continue à tourner... Mais il ne tourne pas tout seul. Il faut que quelqu'un s'en occupe, sinon il déraille comme il est en passe de le faire en Russie, on dirait ! Le garder sur les rails, c'est notre rôle à nous, les Brouillart, et à nos semblables au sein des conseils d'administration et des ministères, dans tous les pays. Nous les Brouillart, avec d'autres, nous sommes la France ! À partir d'un certain degré de fortune, de pouvoir, de responsabilités dont les petites gens sont exemptées, dont ils n'ont même pas idée, incombent à des familles comme la nôtre.
- Lui, comment l'appelez-vous ?
- Dolfi.
- Un diminutif affectueux... C'est charmant ! ironisa Grinstein.
- A tout prendre, ça vaut mieux qu'Adolf. (chapitre 14)
- Je connais un avocat du tonnerre, je te donnerai son numéro...
- Encore un ex ? J'ai aussi besoin d'un plombier compétent, tu as sûrement ça dans ta collection ?
" Est-ce que c'est pareil, dans la tête des autres ? Est-ce qu'ils se racontent à longueur de temps des bêtises pour se faire peur ou pour se faire plaisir ? Tous, les chefs d'Etats, les fondés de pouvoir des banques, les bouchers chevalins, les cantonniers au bord des routes ? Si tel est le cas, s'ils sont bien mes semblables sous toutes les latitudes, alors qu'elle bande de jobards que l'humanité."
S’il a d’emblée manifesté des aptitudes plus littéraires que scientifiques, il ne se sent habité d’aucune vocation de cet ordre non plus. Il aime les livres, il fréquente les salles de concert et les musées, puisque cela se fait. Ce goût chez lui a quelque chose de machinal.
Loin des tranchées, de brillants intellectuels auscultent l’opinion publique internationale en dépouillant la presse étrangère. Ils sont utiles si on veut... En tout cas plus utiles là qu’au feu, où ils feraient pour la plupart de piètres guerriers.
Ce que j'aimais, c'était lire des livres d'Histoire. Cependant, si vous vous bornez là, l'Etat rechignera à vous verser un traitement. Pour vivre de l'Histoire, il n'y a pas trente-six solutions, il y en a trois; La première consiste à la faire ( les hommes politiques qui prétendent s'en charger s'arrangent en général pour en vivre confortablement). La seconde exige qu'on l'écrive. Je m'y essayais...On peut enfin l'enseigner.
La corporation à laquelle j'appartenais avait jugé sévèrement son idole ; c'était pour cette raison qu'il s'appliquait à m'éblouir des fastes de son parc d'attractions nazi dans leur intégralité.
Adelaide a admis une fois pour toutes que la pente de son fils l'incline vers l'étude ou les arts, enfin les œuvres de l'esprit, la littérature peut-être, au pis-aller le journalisme...Elle tient que dans leur milieu on choisit une carrière par goût ou par conformisme, parfois seulement par décence, en aucun cas par nécessité. Cela convient très bien à Max. On n'a pas à se demander de quoi l'on vivra, étant acquis dès l'origine qu'on vivra bien, même si toute autre activité que l'entretien de la roseraie ou l'exploitation de la bibliothèque familiale vous répugne.
Les vénérables bibliothèques des châteaux et des grandes demeures bourgeoises ressemblent à ces monceaux d’os rongés et de coquilles vides qui trahissent les habitats préhistoriques. Des inconnus s’en sont nourris il y a longtemps, voilà tout ce qu’on peut en dire...
- (...) Je connais un homme du meilleur monde chez qui le thé vous est servi par un clone de Jackie Kennedy, qu'il ne borne peut-être pas à cet office. (...)
Il y a Bénédicte, irréprochable au lit comme au travail, certes, mais qui n'émeut en lui que des émotions fades.
Au fait, tu n'as pas répondu à Lothaire : qu'est-ce que tu comptes faire?
-Faire? Faut-il vraiment faire quelque chose?
-Je crois, sinon la vie va passer et il n'en restera rien.
Il revit le soir précédent, et la nuit. Il est de ceux qui revivent puisqu'ils ne vivent. Le moment ne se donne jamais tout à fait à lui : c'est "un animal rétrospectif", "ressortissant de l'après-coup", comme dit Lothaire. Lothaire, lui, vit comme on passe à table avec appétit, c'est ici et maintenant que tout a lieu, tandis que Max chipote sensations et sentiments, comme s'il en mettait des bribes de côté pour les éprouver plus tard à son aise, à cœur reposé.
Après tout plaidait-il, que perçoit-on de soi au juste, à force de se croiser dans les miroirs, ou de se voir en photo? On imagine se connaître, mais sait-on vraiment de quoi on a l'air quand justement on ne se voit pas, quand on s'oublie, dans le mouvement désordonné de la vie?
Devait-on faire preuve de respect humain devant un être dont l'humanité même était douteuse ? D'ailleurs, il n'était pas certain que le clone sût au juste de qui il était le clone...
En tout état de cause, celui qui se gobergeait dans mon salon figurait sur la liste des personnalités historiques dont le clonage était dorénavant interdit par la loi.