Frédéric Keck

Sur les 1411 espèces connues à ce jour, seules 3 (sous-famille des Desmodontinae) sont hématophages. Elles se nourrissent de sang principalement sur les oiseaux ou sur les mammifères, notamment le bétail, plus rarement sur l'humain. Ces "chauve-souris vampires" mesurant à peine 10 centimètres pour une trentaine de grammes […]

Le passage du latin au français expliquerait l'anomalie de l'expression "chauve-souris", car dans l'ensemble les autres langues européennes sont restées proches de la dénomination "souris-volantes", assez évidente […]
Le point de départ serait l'appellation "chouette-souris" en bas-latin, teinté de langue vernaculaire, vers le VIIIe siècle, assez naturelle puisque les chouettes sont des animaux volants et nocturnes, et que l'animal ressemble effectivement à une souris. La forme "Kawa-sorix", a dérivé en "calvas sorices". Par assimilation avec le latin "calvus" la "chouette" est devenue "chauve", à cause d'un malentendu au sens propre du terme.

Les chauve-souris ou Chiroptères ont précédé les humains sur Terre de plusieurs millions d'années. Elles les ont même attendu un peu plus longtemps encore sur certaines îles et archipels isolés où elles étaient les seuls Mammifères naturellement présents avant l'arrivée des premiers peuples navigateurs. Malgré cette vénérable ancienneté et cette vaste répartition, le début de l'histoire Chiroptères-humains est encore assez mal connu.

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Les premières (techniques ) calculent les risques par des statistiques pour abattre les animaux potentiellement infectés, les secondes imaginent les mouvements des animaux à travers des échantillons viraux, des logiciels informatiques, des bases de données, des cartes de description de symptômes, des mannequins imitant les patients.

Cette centaine de poulets sentinelles qui étaient morts à la ferme de Wang Yichuan n’avaient pas été vaccinés contre le H5N1. Leur mort signifiait donc que la ferme avait été infectée par le virus de la grippe aviaire, transmissible aux hommes. Les poulets apparaissent ici comme les alliés des hommes dans la guerre contre les virus de la grippe, en mourant les premiers sur la ligne du front.

Par l'expression "Des hommes malades des animaux", nous voulions en effet décrire la contradiction de plus en plus aiguë chez nos contemporains entre des animaux de compagnie dont ils sont littéralement fous (c'est-à-dire qu'ils peuvent engager pour leur santé des sommes déraisonnables au regard de la santé publique) et des animaux de rente qui, du fait des conditions dans lesquelles ils vivent, les rendent malades.

À la fin des années 1990, Lévi-Strauss a appliqué cette conception à l'analyse d'une maladie animale contemporaine : la maladie de la vache folle. Plutôt que d'argumenter en faveur de la prévention ou de la précaution pour justifier la gestion des risques, Lévi-Strauss montra que les « vaches folles » signalaient une catastrophe à laquelle les humains devraient se préparer : la fin du système industriel de production de la viande et le retour à des relations cynégétiques entre hommes et animaux. (page 36)

Les relations entre humains et chauves-souris sont médiatisées par ces pollens, champignons et virus qui circulent entre les espèces de Chiroptères avant de se transmettre à des plantes et des animaux domestiqués par les humains et aux humains eux-mêmes. Ces communautés symbiotiques se révèlent par leurs vulnérabilités aux changements écosystémiques. Si les frontières des territoires des chauves-souris ne cessent de se déplacer, si les pathogènes franchissent les frontières des espèces depuis ce monde à la limite de la classe des Mammifères, les chauves-souris peuvent-elles nous apprendre à rétablir les frontières et instituer de bonnes distances entre les vivants?

La découverte du rôle des chauves-souris dans l'émergence de nouveaux virus s'inscrit dans ce contexte. C'est souvent parce qu'elles fuient des habitats détruits par la déforestation et occupent des logements désertés par l'exode rural que les chauves-souris entrent en contact avec les humains ou avec les animaux dont ils sont proches. Le rôle des chauves-souris vampires d'Amérique du Sud dans la transmission de la rage était connu depuis les années 1950, mais l'émergence d'Ebola en Afrique centrale en 1976 a mis en lumière leur place dans une chaîne de transmission encore mal comprise, qui passe souvent par les Primates. Le virus Hendra apparu en Australie en 1994 sur des chevaux était relié à des colonies de chauves-souris, et le virus Nipah se transmit directement aux humains par les chauves-souris (Bangladesh) ou indirectement par les cochons (Malaisie). Enfin un coronavirus proche de celui du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) fut découvert après la crise sanitaire de 2003 chez les chauves-souris du sud de la Chine, et sa transmission fut expliquée par les animaux consommés dans la médecine chinoise traditionnelle (civettes masquées en 2003, pangolins en 2020) ayant servi de vecteurs. Pour que les chauves-souris jouent ainsi le rôle de réservoirs à virus émergents, il fallait bien que des « véhicules intermédiaires» les rapprochent des humains.