Les A.E.M.O. ont fait ce qu'il fallait pour s'assurer que les filles se portent bien, mais qu'ont-elles fait pour moi ? Pour nous ? Notre couple s'enfonçait sous leurs yeux sans qu'elles ne lèvent le petit doigt. Elles étaient si présentes, si intrusives dans notre vie privée, qu'elles ne pouvaient rien ignorer, mais ce n'était pas leur "travail". Elles étaient là "pour les enfants". Je les ai même provoquées en leur confessant que j'avais décidé de quitter Sabrina, et elles n'avaient rien trouvé de mieux à répondre que c'était une folie. L'une d'elle avait osé me dire : "Elle ne tiendra pas le coup".
Je suis aujourd'hui un homme sauvé - je touche du bois - et c'est dans cette cellule du palais de justice de Paris que j'ai fait mon premier pas vers la rédemption. Le chemin a pourtant été long. Très long. Je me revois, assis et prostré, persuadé d'avoir tout compris en quelques heures. Je me trompe, bien sûr. En imaginant ce que je pourrais expliquer au juge pour prouver ma prise de conscience, je fais encore la différence entre une claque (condamnable mais pas si grave) et un coup de couteau (impardonnable). Il n'y a aucune différence. La violence conjugale n'a pas de baromètre. Elle est ou n'est pas.
Je repense aux mains-courantes et aux plaintes déposées par Sabrina sans qu'il n'y ait aucune suite. Je l'imagine se diriger vers les policiers et leur raconter ce qu'elle vit, comment elle souffre, et je ne parviens toujours pas à concevoir qu'il a fallu des années avant qu'ils ne se décident à se lever pour venir me chercher. Qu'attendaient-ils ? Que je la tue ? Je repense aussi aux éducatrices spécialisées et autres "encadrants" qui nous ont trop laissé faire sans jamais véritablement tirer la sonnette d'alarme. J'ose espérer que le hasard a voulu que nous ne croisions pas les bonnes personnes. J'ose espérer que dans les commissariats, les gendarmeries et les différents services de l'assistance sociale, le problème est davantage pris à bras le corps qu'il y a dix ans.
Après quelques mois de thérapie, quand un petit nouveau se présentait, j'écoutais sans rien dire en attendant le moment où il nous ferait le coup du "c'est de sa faute". Et ça ne ratait jamais. (...) Pire, nous nous sentions "utiles" à l'épouse ou la compagne que nous aimions et que nous battions. Un mari violent est inconsciemment persuadé qu'il tabasse d'abord sa femme "pour son bien" (...). J'ai également constaté qu'un homme violent se croit autorisé à recommencer dès lors qu'il a été pardonné. (...) C'est l'une des clés de l'engrenage infernal. Car une femme battue, si elle pardonne une fois, pardonne presque toujours (...). De semaine en semaine, les groupes de parole se sont succédés et j'ai pris peu à peu conscience de toutes ces absurdités.
La première crainte d'une femme battue est de recevoir des coups ; et le meilleur moyen de recevoir des coups est de menacer de quitter son mari.
Plus je l'aime, plus je veux la protéger, plus elle m'échappe et plus je veux qu'elle soit mienne
une femme battue, si elle a pardonné une fois, pardonne presque toujours
Le mari accuse toujours sa femme d'être a l'origine de tous ses maux.