Geneviève Bergé

En soi , l'information n'a aucune importance . Elle comble un blanc dans le journal . Mais elle ne semble pas totalement superflue puisque, au moins , elle laisse songeur : Rembrandt a peint le cancer . Trois siècles et demi avant qu'on le proclame ´ maladie du siècle ´ , et sans le savoir , Rembrandt peint le cancer à l'œuvre sur les peaux , les poitrines et les gorges .

C'est seulement à la fin du jour qu'apparaît enfin le seigneur , le roi , le riche et le lourd soleil des Flandres . Il traverse les boscailles et dépose à pas de loup sur les tables un plat de terre et parfois un quignon de pain .

Nous voudrions être des saints , mais nous pleurons notre inquiétude de n'être point parfaits .

....D'ailleurs , comme tout le monde sans doute , ce que je n'aime pas m'attire , ce qui me révulse me séduit de mille manières plus sournoises les unes que les autres . Comment expliquer autrement , si ce n'est par le goût de ce qui nous déplaît , l'obstination dont nous faisons preuve pour parvenir à apprécier l'amertume d'une olive ou d'une tasse de café ? Comment , sans cela , certaines corvées se métamorphoseraient - elles peu à peu en moments de pur bonheur ?

Depuis le premier jour , alors que c'était forcément inutile et insensé , alors que c'était franchement stupide même , depuis le premier jour il guettait le moment où arriveraient des nouvelles.
Il était devenu la femme du marin , celle qui se poste sur la grève dès l'aube après une nuit d'orage.Il était la mère du jeune soldat parti de battre , celle qui espère jour après jour une lettre et quelques nouvelles. Il était L'enfant couché dans la paille , attendant que l'oeuf éclose.....

Mon périple s'apaise . L'étrange insistance qui accompagnait le rêve de plus en plus pressant d'un voyage à Saint Petersbourg se trouve enfin justifiée : le hasard n'existe donc pas , seulement l'intuition si prompte à jeter dans l'obscurité des forêts ces petits cailloux blancs qui nous conduisent , malgré notre ignorance , à l'objet de notre désir .

Fra Angelica convient au lecteur . Son nom rassure , car il annonce tempérance , harmonie et élévation spirituelle . Le lecteur imagine un livre empreint de douceur toscane . Un livre qui va le nourrir et l'abreuver .

Cette année , nous nous promenons dans les campagnes comme des gloutons . Avec cette avidité des malades dans le jardin des hôpitaux , et le même pincement de coeur au premier rayon de soleil .

Moi -même , le saurais-je ce qui manquerait aux uns et aux autre si la vue venait à leur faire défaut ? Donna Antonia que regretterait-elle ? Le visage de son fils ? Les fresques du palais ? Et moi-même ? Est-ce que je le sais ? Je pense spontanément à ce sur quoi mes yeux ont l'habitude de se poser , la mer , les oliviers .... Tout cela me manquerait atrocement.

Il y a celui que tout le monde voit , enfin , celui que voient Giulia , Costanza ou Rosanna quand elle monte à la maison et je le vois moi aussi , cet homme-là , c'est un homme vieux et sec , rabougri mais taiseux....
Mais moi je ne suis pas là . Le vrai Giacomo , il est enfoui , caché dans le fond du fond , quelque chose tressaille au-dedans de moi comme une bougie allumée dans une grotte.

Je chérissais une série d'envies secrètes et frivoles ; je rêvais de ces objets inutiles , que je jugeais trop coûteux ou trop luxueux , et surtout réservés à ces catégories de femmes qui me demeuraient inévitablement et pour toujours étrangères , puisqu'elles achetaient des stylos d'écaille ou des bâtons de rouge à lèvres comme moi , le pain ?

En découvrant le titre , le lecteur se sera réjoui d'emblée . Il est happé , comme moi , par la legende de l'Angelico , par la renommée d'un saint homme doublé d'un artiste talentueux qui eut , en outre , la chance de vivre en un lieu et un temps bénis des dieux .

Le lecteur se faufilera entre les pages et en appréciera le silence , le poids des mots ramenés à l'essentiel . Il retrouvera le charme et la paix d'un jardin bien tenu , ce sera pour lui un moment d'équilibre dans le tourbillon du jour . Une pause . Un de ces instants d'exception qu'il chérit par - dessus tout .

Les oiseaux passent , repassent , ils vont s'en aller , ils s'en vont , un tir de fusil ne les éloigneraient pas davantage . On suppose qu'ils reviendront , comme la lune chaque nuit ; est - ce que parfois l'amour ne revient pas ?

Ses textes m'avaient plu et raconté comme souvent , ces choses qu'on croit ignorer parce que les mots nous ont manqué .

Ô , j'espérais trop , nous espérions toujours trop . Je vivais sur les bords , comme les pigeons sur les tuiles .

Pourquoi voulons-nous à tout prix préserver les fragments du passé alors que la mémoire des événements de notre propre vie est déjà si chancelante ? Et quand je dis nous, je ne songe pas qu'aux professionnels de la chose. La société entière est avec nous, derrière nous même, c'est elle qui nous envoie. Nous soutiendrait-elle, ce serait déjà confortable. Et sans doute suffisant. Mais non, elle veut, elle exige la restauration, elle brandit la sauvegarde du patrimoine comme un étendard, quitte à protéger tout et n'importe quoi de l'usure du temps et des conséquences de notre mode de vie.

Aussi, malgré les mauvaises nouvelles que répètent le Nuovo Quotidiano di Puglia et les autres journaux régionaux, malgré les mots qu'ont pour la mer ceux qui boivent leur café chez Fabio et ceux qui le boivent ici, dans le bar proche de la Porta Alfonsina, malgré les diatribes et les moues de Simona, d'Aldo et même d'Anita dans son silence, je ne peux m'empêcher, moi, de penser et de repenser, dire et redire que la mer est tellement belle par ici. Etrangère. Touriste. La mer, tout en transparence et en tranquillité. Il ne faut pas aller bien loin, une embarcation légère suffit, très vite, on peut observer les poissons, les cailloux et les algues, cette limpidité soyeuse de l'eau qui ne cesse de me ravir.

Alors, je m'arrêtais aux vitrines. Je choisissais une robe de glace et de sucre filé, je repérais un voile, un poudroiement de mouettes autour des cheveux, un vent de mars quand les grêlons battent les cheminées et ploient les saules, les toutes fines branches du saule comme sont les larmes de la mariée.

C'est un secret, les vieilles. On se les passe de main en main, on en cueille aux branches des pommiers ou sur l'échelle, on en ramasse aux abris d'autobus et d'autres attendent dans la cour des écoles; on en trouve aussi au fond de nos lits. Elles naissent et disparaissent, poussière et poussière, dans leur tablier bleu.