Citations de Georges Sorel (21)
La doctrine du Progrès permet de jouir en toute tranquillité des biens d'aujourd'hui, sans se soucier des difficultés de demain.
Il suffit de regarder autour de nous pour reconnaître que la démocratie est une école de servilité, de délation et de démoralisation.
Nous sommes descendus aux boniments électoraux, qui permettent aux démagogues de diriger souverainement leur armée et de s’assurer une vie heureuse ; parfois d’honnêtes républicains cherchent à dissimuler l’horreur de cette politique sous des apparences philosophiques, mais le voile est toujours facile à déchirer.
La démocratie électorale ressemble beaucoup au monde de la Bourse ; dans un cas comme dans l'autre il faut opérer sur la naïveté des masses, acheter le concours de la grande presse, et aider le hasard par une infinité de ruses ; il n'y a pas grande différence entre un financier qui introduit sur le marché des affaires retentissantes qui sombreront dans quelques années, et le politicien qui promet à ses concitoyens une infinité de réformes qu'il ne sait comment faire aboutir et qui se traduiront seulement par un amoncellement de papiers parlementaires.
Les uns et les autres n'entendent rien à la production et ils s'arrangent cependant pour s'imposer à elle, la mal diriger et l'exploiter sans la moindre vergogne : ils sont éblouis par les merveilles de l'industrie moderne et ils estiment, les uns et les autres, que le monde regorge assez de richesses pour qu'on puisse le voler largement, sans trop faire crier les producteurs ; tondre le contribuable sans qu'il se révolte, voilà tout l'art du grand homme d'État et du grand financier. Démocrates et gens d'affaires ont une science toute particulière pour faire approuver leurs filouteries par des assemblées délibérantes ; le régime parlementaire est aussi truqué que les réunions d'actionnaires.
L'histoire de la démocratie nous offre une combinaison bien remarquable d'utopies et de mythes.
Le scientisme historique a beaucoup contribué à la transformation de l'esprit des paysans français qui, à la grande surprise des écrivains catholiques, sont devenus en peu d'années des anticléricaux irréductibles.
Remarquons d'abord que les moralistes ne raisonnent presque jamais sur ce qu'il y a de vraiment fondamental dans notre individu ; ils cherchent d'ordinaire à projeter nos actes accomplis sur le champ des jugements que la société a rédigés d'avance pour les divers types d'action qui sont les plus communs dans la vie contemporaine. Ils disent qu'ils déterminent ainsi des motifs ; mais ces motifs sont de la même nature que ceux dont les juristes tiennent compte dans le droit criminel : ce sont des appréciations sociales relatives à des faits connus de tous.
Le spectacle écœurant donné au monde par les écumeurs de la finance et de la politique explique le succès qu’obtinrent assez longtemps les écrivains anarchistes.
La grande erreur de Marx a été de ne pas se rendre compte du pouvoir énorme qui appartient à la médiocrité dans l’histoire ; il ne s’est pas douté que le sentiment socialiste (tel qu’il le concevait) est extrêmement artificiel ; aujourd’hui, nous assistons à une crise qui menace de ruiner tous les mouvements qui ont pu être rattachés idéologiquement au marxisme.
Or, au fur et à mesure que nous avons considéré des régions dans lesquelles notre intelligence se manifeste plus librement, nous avons reconnu que la médiocrité exerce son empire d’une manière plus complète.
Ce que dans cette étude on a appelé du nom péjoratif de médiocrité, est ce que les écrivains politiques nomment démocratie ; il est donc démontré que l’histoire réclame l’introduction de la démocratie.
Dans la formation des grosses fortunes actuelles, les spéculations à la Bourse ont joué un rôle bien autrement considérable que les heureuses innovations introduites dans la production par d’habiles chefs d’industrie. Ainsi la richesse tend de plus en plus à apparaître comme étant détachée de l’économie de la production progressive et elle perd ainsi tout contact avec les principes du droit civil.
L’expérience paraît montrer que les abus de pouvoir commis au profit d’une aristocratie héréditaire sont, en général, moins dangereux pour le sentiment juridique d’un peuple que ne sont les abus provoqués par un régime ploutocratique ; il est absolument certain que rien n’est aussi propre à ruiner le respect du droit que le spectacle de méfaits commis, avec la complicité des tribunaux, par des aventuriers devenus assez riches pour pouvoir acheter les hommes d’État.
Aujourd’hui les catholiques sociaux voudraient que le clergé organisât des associations à la fois éducatives et économiques, propres à amener toutes les classes à comprendre leurs devoirs sociaux. L’ordre que les audaces du capitalisme troublent gravement, suivant leur petit jugement, arriverait à se rétablir.
En définitive, toute cette religion sociale manquait de valeur religieuse ; les catholiques sociaux songent à faire rétrograder le christianisme vers cette médiocrité.
Nous assistons à un spectacle qui paraît, au premier abord, paradoxal : des savants qui ont rejeté tout ce que l’Église considère comme formant le dépôt de la foi, prétendent cependant demeurer dans l’Église.
Les personnes religieuses vivent d’une ombre. Nous vivons de l’ombre d’une ombre. De quoi vivra-t-on après nous ?
Un clergé, plus ou moins incrédule, qui travaille de concert avec les administrations publiques, pour améliorer le sort des hommes ; voilà ce dont se contente fort bien la médiocrité.
Le spectacle écœurant donné au monde par les écumeurs de la finance et de la politique explique le succès qu’obtinrent assez longtemps les écrivains anarchistes.
Depuis que la démocratie se croit assurée d’un long avenir et que les partis conservateurs sont découragés, elle n’éprouve plus le même besoin qu’autrefois de justifier son droit au pouvoir par la philosophie de l’histoire.
Il y a quelques années, les socialistes prétendaient, presque tous, s'inspirer de Marx, et ils affirmaient leur admiration pour ses conceptions révolutionnaires : ils disaient qu'un monde nouveau devait incessamment surgir à la suite de la lutte engagée entre la classe ouvrière et les classes dirigeantes ; - ils se représentaient l'avenir comme une réalisation des idées juridiques qu'ils voyaient s'élaborer dans le sein du prolétariat ; - raisonnant sur ce qui existe sous nos yeux et s'efforçant d'imiter les méthodes employées par les naturalistes, ils croyaient avoir le droit d'affirmer que les temps de l'utopie étaient définitivement finis et qu'un socialisme
scientifique (ou matérialiste) allait remplacer les vieilles rêvasseries humanitaires. La discipline marxiste avait été plutôt subie qu'acceptée ; elle n'avait pas été bien comprise ; l'impression étant superficielle, le moindre accident devait tout remettre en question. Une commotion d'un caractère exceptionnel a émietté les classes et a donné à des tendances particulières une influence énorme ; les anciennes modes de socialisme à l'usage des bourgeois sensibles, des artistes et des dames ont reparu avec leur ancien éclat.
À la fin de l'Ancien Régime d'innombrables beaux esprits avaient composé des descriptions de l'état naturel des sociétés, dont les éléments étaient empruntés à des sources fort diverses ; ces utopies passaient pour être très supérieures à ce que l'on constatait dans le monde, réel ; mais les lecteurs de ces mirifiques romans ne savaient pas bien quelles conséquences il conviendrait de tirer de cette littérature.
La démocratie poursuit, dans tous les pays, la ruine des forces qui maintiennent encore un peu vivaces les traditions nationales. Les constructions du passé sont généralement assez solides pour résister aux pamphlétaires qui racontent aux pauvres diables les ridicules, les vices ou la malfaisance de certaines autorités sociales dévoyées ; les théories de l'État rationnel dont les démagogues se servent pour opposer ce qui devrait être suivant la logique, aux Choses que le temps a fait naître, sont trop abstraites pour avoir de l'efficacité par elles-mêmes ; mais ces deux moyens de propagande deviennent fort redoutables quand les masses sont persuadées que les lois de l'histoire imposent la réalisation des projets formés par les destructeurs de l'histoire.