Gérard Muller

Chère Alma,

Je viens d'annuler mon voyage à la dernière minute, compte tenu des événements qui se déroulent en Syrie. Je me sens dans l'impossibilité d'y arriver tant que la situation ne sera pas devenue plus calme. Ces révoltes populaires à Deraa me perturbent et je ne comprends pas que l'on s'en prenne à ces enfants qui ont scandé quelques paroles contre le régime.

Elle semble loin l'époque où toi et ton mari présentiez une certaine modernité et plaidiez pour une ouverture vers plus de démocratie et de liberté. J'ai l'impression que l'histoire se répète et que ton homme commence à se comporter comme son père, en massacrant des innocents...

Je n'ai jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture n'ait dissipé (Montesquieu)

Je ne comprends pas comment toi, universitaire et femme moderne, tu peux supporter cela sans réagir. Aussi, j’escompte que tu accomplisses tout ton possible pour tenter de faire revenir Bastar à la raison. Il faut libérer la parole, ouvrir les vannes de la liberté au lieu de tout verrouiller, car, tôt ou tard, tout cela explosera.

Ali est le seul rescapé de la famille Abdallah, celle que
vous avez anéanti avec votre drone. Il était ce jour-là malade
et n’a pas pu les accompagner au marché. Vous les avez tous
tués en laissant un orphelin. Vous êtes l’assassin de la famille de votre ami.

Je connais maintenant ma mission pour la considérer avec allégresse et dévouement : me consacrer à mon peuple, à son avenir, et oublier la jeune femme insouciante que j’étais. Adieu les salons de thé, les réunions entre épouses futiles ; bonjour les hôpitaux pour soutenir nos blessés et les meetings pour glorifier la patrie.

Tu peux me donner tous les arguments que tu veux, jamais je ne pourrai approuver ces crimes. C’est une question d’humanité, tout simplement. On ne peut pas les cacher derrière un prétendu terrorisme islamique, alors que tous ces gens ne demandent qu’un peu plus de liberté

En prononçant ces paroles, il s'approcha de son ancienne maîtresse, et dans un élan nostalgique, lui caressa une mèche de cheveux un peu trop rebelle.

Il va sans dire que nos autorités policières sont sur le coup, Scotland Yard en tête. Mais comme les meurtres ont eu lieu en France et à l’Île Maurice, une coopération exemplaire de tous les pays visités par le tour s’avère nécessaire. Il a donc fallu alerter Interpol pour décider d’une action commune. L’organisation internationale de police a alors accédé à notre demande, et sa première proposition a été de nommer un coordinateur en la personne de Françoise Vidal à qui je demande de me rejoindre sur la scène. 
Je n’avais pas vu mon amante d’un soir turc arriver dans la salle. La découvrir ainsi vêtue comme une avocate d’affaires me procure un choc qui se transmet à l’ensemble de mon corps, comme une décharge électrique au ralenti. Ainsi, elle travaille à Interpol ! Son choix me paraît judicieux, car elle connait parfaitement le milieu du golf, et si ses qualités d’enquêtrice sont à la hauteur de son swing, elle devrait rapidement résoudre l’affaire.

Cette nation indépendante dont les habitants sont originaires de l’Inde, du Pakistan, de Madagascar, de Chine et de France. Ainsi musulmans, hindouistes et chrétiens se mélangent dans un respect mutuel qui a permis à l’île de devenir le second pays le plus riche de l’Afrique septentrionale.

J’aurais aussi tendance à écouter mes méninges reptiliennes si je n’étais pas obligé de faire attention à mon régime : pas de sucres rapides ni de graisses non saturées, beaucoup de vitamines, et peu d’alcool. Tel est le prix à payer pour performer dans le golf moderne, où les athlètes de haut niveau ont remplacé leurs aînés beaucoup plus bedonnants et grands amateurs de bière. Les cinq heures de practice journalières doivent s’accompagner de séances d’assouplissements, de massage et de musculation si je veux éviter tout accident articulaire. Sans compter la relaxation et la sophrologie pour compléter le tableau.

Je n’ai pas encore eu le temps de trop réaliser les conséquences de ma victoire, ayant été entraîné dans un tourbillon médiatique non contrôlable. Mais je dois avouer que je navigue sur un petit nuage depuis dimanche, dans une euphorie qui a presque asséché mon cerveau. Savez-vous que je n’ai même pas touché un club depuis, alors que j’ai la réputation d’être un stakhanoviste du practice !

Si je possédais toute ma lucidité, si je n’étais pas en tête d’un Open pour la première fois de ma vie, je lui demanderais pourquoi il me distille ces instructions pour débutant. Mais il connaît mieux que quiconque la tempête qui s’est emparée de l’intérieur de mon crâne, puisqu’il a déjà accompagné plusieurs champions à la victoire.