Gilles Modica

Marcher, c'est agrandir l'espace de son voyage.

Rien de plus bienveillant, rien de plus accueillant que le soleil de la Méditerranée à la sortie d'un bain de mer au mois de février ou de mars.

A la témérité, à la négligence ou à l'ignorance, la montagne ne laisse aucune marge, et c'est à la témérité, à l'ignorance ou à la négligence qu'il faut imputer les trois quarts de ces catastrophes dont le récit nous bouleverse.

Brusque passage de l'escalade à la philosophie. Nous rageons tous sous le fardeau de tout ce que nous n'avons pas fait.

L'Etat depuis quelques décennies, met des hélicoptères et des pelotons de gendarmes ou de C.R.S. à la disposition des cordées en détresse. C'est une dimension de l'alpinisme de jadis qui nous échappe, toute une part d'humanité, de souffrance et d'horreur qui a disparu depuis que des professionnels du secours se sont substitués aux caravanes de guides et d'alpinistes.

Faire savoir, sans précision de versant, qu'on a gravi le mont Blanc ne signifie plus grand-chose depuis le 15 juillet 1865.

Vu de nos jours, l'engagement des pionniers sur la paroi de la Brenva semble quasi mythologique. C'était hier et jadis, à l'âge de glace et des feux du bivouac dont on ranime les braises à 1 heure du matin pour un mélange de café et de vin chaud. Ce mélange resta longtemps sur l'estomac de Moore. Entre deux cirques, croissant de neige, quartier de lune, le col Moore (3500 m) est toujours à l'épicentre du grand alpinisme.

La Brenva, c'est le bond en avant devant lequel reculent encore certains alpinistes, cent cinquante ans après ce 15 juillet 1865. Crampons aux pieds, ces alpinistes ont à leur disposition broches ou baudrier, deux piolets, refuge à une heure du col Moore, téléphérique au col du Géant, trois refuges dans la descente du mont Blanc, trace faite, vivres vitaminés, prévisions météo garanties, descriptif actualisé, téléphone portable sous la main, carte, GPS, altimètre, lampe frontale, et flotte d'hélicoptères en état d'alerte, tant à Chamonix qu'à Courmayeur.

Il ne faut pas que la prudence soit soupçonnée de lâcheté sans quoi elle n'est plus de la prudence.

Des corniches et des tranches de séracs commandent le versant de la Brenva sur presque toute sa largeur, quelque deux kilomètres. Avalanches de première grandeur, coulées de toutes sortes.

Il faut le redire, les campagnes de Whymper, c'est un déplacement rapide et constant, à la Bonaparte, entre les différents massifs et vallées : sommets de conquête; cols de transition, connus ou inconnus; vallées de liaison. Les jambes de Whymper marchent inlassablement au service de son audace. Un rythme de marche forcée entre des courses de premier ordre..

En montagne, le temps conditionne l'aventure de bout en bout. Le ciel est le premier des signes qu'on interroge. Le ciel gouverne.

En montagne, la récompense de l'effort, c'est un autre effort.
Des changements et des facilités dans ce nouvel effort lui donneront la saveur du plaisir et d'une récompense.

C'est l'ensemble de l'équipée, l'enchaînement des ascensions et des étapes intermédiaires entre deux sommets qu'il faut avoir à l'esprit pour mesurer le pas d'un jeune Victorien et d'un velu quand ils marchaient à l'unisson dans le mutisme de l'effort prolongé, une pente après l'autre.

Pas d'aventure sans les périls et les sueurs, chaudes ou froides, de l'aventure.

Le mont Viso est un tas de décombres, mais contrairement à la Grivola, le mont Viso trône au-dessus du Piémont, sans être diminué par le voisinage de quelques géants. C'est un des premiers sommets qu'on ait nettement différencié et nommé dans les Alpes, et cela dès l'Antiquité.

La haute montagne, c'est l'école de la neige, matière infiniment changeante comme un ciel agité et modifiant dans l'heure les chances et les efforts d'une ascension.

Une ascension ou mille ascensions antérieures sur un sommet n'y diminuent en rien le danger d'un faux pas.

Comment mesurer la difficulté réelle d'une paroi quand elle tient tant à l'imagination?

L'épopée vit de l'inconnu et de ses effets dans l'imagination des hommes.