Gilles Modica

Impossible de ne pas remarquer dans ce groupe conduit par un accompagnateur espagnol, une jeune Suédoise, longue, frêle, aux jambes fines, blonde évidemment, silhouette attendrissante de légèreté dans la caillasse, sous cette chaleur de plomb.

L'appel d'un petit duc, cristallin, monte vers les étoiles. Ce hibou petit duc, si souvent écouté dans les nuits en forêt, sous les chênes verts, sous les pins, entre deux sommeils, dans le silence de la nuit, dans la confusion du dernier rêve, c'est le chant profond de la Corse.

Qui au jour de la première ascension, aurait pu s'imaginer que Bonatti (il a quatre-vingt-un ans) verrait la destruction de son pilier? Qui aurait pu parier que le pilier serait rayé du ciel de Chamonix et disparaîtrait avant le solitaire dont le récit donnait à penser qu'il aimait à tenter le Diable? Qui aurait pu se douter que les Drus changeraient de forme en quelques étés, plus vite qu'un glacier en recul?

Les coups de vent nettoient le ciel de la Corse. Les jours et les nuits d'altitude y sont purs de poussière et de pollution, d'une limpidité exceptionnelle.

C'était une neige de versant sud à 2 heures du matin, bétonnée par le gel d'une nuit sans nuages, aveuglante de lune.

Piolet-ancre, crampons toutes pointes, montée pieds à plat, en oblique, qui torture les chevilles, position tarabiscotée, retournée jusqu'à l'impossible dès que la pente frise les 70 degrés. C'est le cas dans le bastion supérieur des Droites, surprenant de continuité dans la raideur avec des murs de glace proches de la verticale par endroits.

L'hiver transforme les montagnes que l'on croyait connaître. Quatre saisons, c'est quatre voyages dans l'année et quatre pays changeants chaque année.

Rappelons que pour atteindre l'Everest en 1953, les anglais envisagèrent tous les moyens et se penchèrent sur un projet de pipe-line d'oxygène entre le camp de base et le col Sud. On y renonça non pas pour des raisons sportives mais pour des raisons techniques.

Mes tout premiers rêves d'alpinisme me reviennent, qui m'habitent toujours.
En eux réside la passion alpine qui se renouvelle sans cesse dans le don de l'action, de l'émerveillement et du regard enchanté. Car à la fin tout est question de regard et d'émotion.

Préface de Patrick Gabarroli

Rien de plus long en montagne qu'une arête qui ne cesse de vous rejeter sur l'un ou l'autre de ses flancs.

Je doute qu'un alpiniste au long cours n'ait jamais été le témoin, un jour ou l'autre, de l'horreur dans la seconde pour un faux pas, un noeud de sangle mal noué, une corde de rappel aux brins inégaux, une pierre, une coulée de neige, une prise qui casse.

La base du pilier, une pyramide, se prolonge sur le glacier d'Argentière, bien en dessous des deux versants qu'elle démarque. C'est dans sa version intégrale, base à 2800 m, calotte à 4000 m, le plus haut pilier de la chaîne du Mont-Blanc.

En 1919, pour ceux qui avaient subi et sondé la guerre comme Jacques de Lépiney, la montagne c'était le calme, le silence et la beauté de l'altitude, les crêtes du Mont-Blanc dont on rêvait dans les tranchées pour tromper le cauchemar.

Une première du Nant Blanc sans mise en jambes, c'est comme si vous traversiez le Rhône en crue à hauteur d'Avignon sans avoir fait quelques brasses de l'année.

Les recherches, l'évacuation d'un blessé, la descente d'un corps demandaient du temps et un coeur bien accroché. Une expérience inoubliable, n'en doutons pas. D'autant qu'il s'agissait parfois d'un ami.

L'arête de Peuterey départage des versants redoutés de 3000 m qui plongent vers le Val Veni italien et la vallée de Courmayeur. Les glaciers du versant italien, comme le notait un jour Paul Güssfeldt, sont des glaciers-cascades et non des glaciers-fleuves comme la plupart des glaciers qu'on observe sur le versant français. Ces glaciers-cascades lui rappelaient les glaciers des Andes.

En retrait, coupé du jet des plus hautes parois par la brèche des Drus (3697 m), le Grand Dru a quelque chose de trapu, de ramassé, la corpulence du guide qui en fit la première ascension, Alexandre Burgener.

En 1936, Micheline Morin publie Encordées. Préfacé par Henry de Ségogne, c'est le premier livre en France qu'une femme ait écrit depuis un siècle (depuis Henriette d'Angeville!) sur son expérience d'alpiniste.

Un versant change beaucoup d'aspect, comme un visage, selon la hauteur du soleil et la luminosité.

Remonter à pied une grande vallée alpine est une incomparable initiation au secret de son atmosphère et de son architecture.