Citations de Irène Duboeuf (23)
Calligraphie du givre
Toi. Partout et nulle part.
Ma main te cherche dans la paix du matin.
Le givre écrit sur la vitre
des lettres de cristal que viendra brûler
le premier soleil
dans l’indifférence insolente du Jour.
Le silence
On m’a remis ta montre :
elle consumait les heures
comme si de rien n’était.
Ton bracelet, je le porte
pour que brille encore
l’or des temps heureux.
Les bijoux de ceux qui ne sont plus
ont la densité charnelle du silence.
Dans la béance de la nuit
les mots.
Tous se rassemblent autour de toi.
Le temps n’a plus cours :
tu ôtes les aiguilles
des minutes et des heures.
Dans les brasiers de l’ombre
un lierre éclaire le mur
où s’écrit notre histoire
dans le secret des fleurs
La vie nous frôle et passe
généreuse et cruelle
mélancolique étreinte
d’une offrande crépusculaire.
Invisible et présente la mort
attend derrière la porte
j’ouvre la fenêtre
la vie explose
la bouche offerte
aux baisers des nuages
j’embrasse le vent
le long des rues désertes
le temps poursuit son cours
dans un silence de fleurs et d’oiseaux.
Clarté nuageuse et rideaux blancs
cousus d’absence.
On aurait pu ne pas le voir.
La pièce était vide.
Sur la cheminée
un ange méditait,
la tête entre les mains.
Les lèvres qui buvaient à la coupe divine
avaient-elles gardé la mémoire des roses ?
Écrire
jusqu’à l’extrémité du langage
approcher le Réel
fendre le noir.
Tu envies soudain le vol de l’oiseau.
Ma main ouvre le livre .
Je lis :
Ouvrir ce livre à la page de ce texte
Les mots s’arrêtent sur mes lèvres
un monde s’ouvre
surgit un rivage qui embrase le jour.
L’écriture peut-elle provoquer le hasard ?
Des mots en dispersion…
Des mots en dispersion
errent sur la page,
se dérobent, s’absentent,
laissant autour d’eux
de grands vides.
Le poète préfère parfois le silence
de peur que les mots ne brûlent le papier.
Il suffisait de s'accouder à l'obscurité
pour entendre le poème de la nuit.
Les insomnies ployaient sous l'abondance
des étoiles que l'ombre rassemblait
juste au-dessus de nous
et nous nous endormions
une lumière au coin des yeux.
L’été siphonnait l’eau des sources…
L’été siphonnait l’eau des sources
et volait un à un les miroirs d’eau perdue
entre les bras des fleuves.
Tassées le long des rives
des ombres aux pieds de plomb
cherchaient refuge sous les arbres.
Nul n’aurait osé dire où finissait la Terre
où commençait le ciel. Une lumière
liquide, jaune et funeste
réduisait l’horizon à une incertitude.
LISIÈRES
Quand trop de voix familières…
Quand trop de voix familières
jonchaient le bas-côté des jours
j’écrivais
pour détourner le temps
prendre le pouls de la mémoire
dans le ravissement d’un arrêt sur image.
Mais déjà le chemin s’effaçait
à la lisière des mots
et l’on n’entendait plus que des voix
indistinctes
rudes comme la rouille
des faux abandonnées
et l’image n’était plus
qu’un obscur reflet
qui à tout moment
pouvait blesser la lumière.
L’été siphonnait l’eau des sources
Et volait un à un les miroirs d’eau perdue
Entre les bras des fleuves
Tassées le long des rives
Des ombres aux pieds de plomb
Cherchaient refuge sous les arbres.
Nul n’aurait osé dire où finissait la Terre
Où commençait le ciel.
Une lumière liquide,
Jaune et funeste
Réduisait l’horizon à une incertitude.
Emprunter les sentiers des pensées en exil,
Marcher à contre jour,
Juste un instant,
Juste le temps de poser un sourire sur notre ombre,
Puis reprendre sa route
Avec ses souvenirs polis comme des pierres
Percevoir le chant de la terre
Marcher jusqu’à la faille énigmatique du silence.
Le regard. Et ce vent qui soufflait sur la cendre. Tout était là. Dans les pudiques
couleurs du silence ouvertes sur le vertige de l’inconnu.
Je recueillais les mots éphémères qui un à un germaient sur des terres improbables
peuplées d’invisibles présences et qui se déposaient au gré des feuilles blanches où le
vent les faisait tournoyer.
Au frôlement de l’ombre, ils devenaient oiseaux de cendre, renaissant des brasiers de
l’oubli d’où s’échappaient, brillantes dans le noir, les fulgurantes étoiles du souvenir.
Il suffirait de passer outre
Le ciel et le bruit des nuages
Pour franchir l’outremer et plonger dans l’abysse.
Laisser le blanc muer en concrétion marine
Relief incandescent emprisonnant nos yeux
Dans le silence des abîmes.
Alors le ciel et l’eau
S’uniraient dans un regard
Peut-être
Extrait 7
C’était près du volcan dans la forêt brûlée.
Le tracé des chemins se perdait sous la cendre.
Nous marchions dans un désordre de broussailles
Aux lueurs de brasier.
Entre les branches l’horizon
Surpris
Parfois nous regardait.
Puis l’ombre de la pluie a voilé la montagne
Et la nuit est tombée sur un ciel encore rouge
Des blessures du jour.
Extrait 6
Il faudrait aller au matin
Sur les hautes terres qui longent la falaise.
Juste avant que ne s’ouvrent les fleurs.
Les pensées s’y allègent.
Surtout le ciel y est plus grand
Comme à portée de main.
Enchantement de l’ombre où se pose le jour !
Quand le matin ouvre sa porte
Sur la brume
Vouée à l’éternelle errance.
Dès le premier soleil l’aurore
Succombe aux apparences
Et se livre à des jeux de hasard.
Extrait 5
Incertitude du ciel.
Azur taché de gris ou gris troué de bleu ?
À scruter ces nuages plus lourds que la pierre
On pourrait se laisser surprendre par la pluie.
Pourtant le bleu persiste.
Un défi.
Extrait 4
La rouille du soir consume les crêtes.
Sur le versant de terre et de cendre
On ne perçoit plus que ce geste de la main
Vers le plus haut sommet
Comme pour retarder le lent déclin du jour
Et ce rien
Qui invite au silence.
Immensité suprême devant laquelle infimes, misérables
Nous tombons à genoux.
Le crépuscule est un aveu.
L’humilité y a toujours le dernier mot.