« Des restes humains dans un puits.
C’est une bien macabre découverte qu’a faite Jacques Ar-naud dans sa résidence secondaire, une ancienne ferme située à proximité de la commune de Vouillé dans la Vienne… deux squelettes qui se trouvaient dans un puits désaffecté... il s’agirait de deux hommes… décès qui remonterait à plu-sieurs dizaines d’années pour le plus récent… piste criminelle plausible… faits sans doute prescrits… difficile à élucider »
Elle reprit la lettre : «la ferme, c’est celle des Genêts, tu dois t’en souvenir… »
Tu parles Jean, si je m’en souviens…
Une brume fantomatique commençait à s'élever du sol, dans le pré entre la vieille bâtisse et le petit bois. Tout était tranquille. Inspirer, Bêta du Lion. La nappe de brouillard glissait sur le sol. Expirer, Acturus du Bouvier. Bientôt, la maison ne serait plus visible du bois même avec ses lunettes de vision nocturne. Il faudrait y aller. Bientôt. Inspirer, Alkaid dans la Grande Ourse. La brume s'effilochait et des filaments blancs comme de longs doigts de noyés se tendaient vers la maison. Expirer. Bientôt y aller.
Quand il avait acheté la maison, vide depuis une bonne dizaine d’années, ils étaient déjà là. Une nuit, il les avait aperçus, dans la lumière vacillante d’une lampe de poche faiblarde, une dizaine de gros rats, certains assis sur leur derrière, qui avaient tourné, dans un bel ensemble, leur museau pointu vers lui. Il était monté au grenier à cause du vacarme épouvantable qu’ils produisaient. Aucun des rats n’avait bougé. Même quand il avait marché vers eux. Leurs petits yeux, noirs comme des billes, le fixaient.
Inutile de dire qu'il n'était pas le bienvenu dans la famille de François... Jusqu'alors, il y avait été accepté comme on tolère le chien favori de son fils ou de son frère, même s'il s'agit d'un vilain batard... C'était peut-être ça qu'il avait en commun avec Francine, en fin de compte, le mépris haineux des familles de ceux qu'ils avaient aimés. Une forme de complicité.
Deux heures du matin. Jean ne dormait pas. Comme d’habitude à cette heure-là. La mauvaise. Celle à laquelle on se réveille quand, par chance, le somnifère a fait son effet. Celle, le plus souvent, où, harassé de fatigue, on se tourne et on se retourne dans son lit en sachant que le marchand de sable a fini sa tournée et qu’il n’a pas l’intention de revenir pour les insomniaques dans son genre, ceux que leur âme tourmentée retient dans cette heure sombre de la nuit, si éloignée encore des premières lueurs de l’aube
Elle ne dort pas. Allongée sur le lit étroit de la cellule, les yeux ouverts, elle entend le souffle régulier de Kyad, toute proche et aussi, bien sûr,la rumeur nocturne de Rebibbia, cris, appels ou insultes, hurlements de folles parfois, bruits des pas des matonnes dans le couloir, portes qu'on ouvre et qu'on ferme... Elle pourrait mettre des boules Quiès. Elle en a. Mais elle ne le fait pas. Elle ne dormirait pas. Même dans le silence.
Puis entièrement nue, arrachant pour finir la cagoule de son étrange accoutrement d'astronaute, elle a libéré une longue chevelure noire et bouclée et l'a embroussaillée des deux mains. Deux mains sanglantes qu'elle a frottées sur son visage et son corps. Et le sang s'est répandu en longues trainées.La rumeur des conversations qui monte de la cour a cessé.