Rentrée littéraire 2022 - Une terrible délicatesse - Jo Browning Wroe (Éditions Les Escales)
Quand William sort demander quels sont les parents dont la petite fille a des cheveux blonds, trois couples s’approchent. C’est peut-être ça le pire moment, lorsqu’ils viennent voir un corps, remplis d’une telle peur qu’elle en est palpable, pour s’apercevoir que finalement, ce n’est pas leur enfant. Au bout de sept heures passées dans ces conditions, William comprend le réconfort et le soulagement qu’il y a à enfin savoir où est son enfant, et qu’il ne peut plus lui arriver aucun mal. Quel est ce monde affreux où les chanceux sont ceux qui réussissent à identifier le cadavre de leur petit ?
-Tu es un vrai boulet, William.
Il s'attend à voir un sourire fleurir sur son visage, mais rien. Elle est en colère. Évidemment. Les épouses ne sont pas comme les mères. Elles peuvent cesser d'aimer. (p.416)
Parfois, nous donnons le meilleur de nous-même, parfois nous donnons le pire. Ça s’appelle être humain.
Aberfan est noir, blanc, ou gris. Sur les lieux de la catastrophe, les lumières sont crues, aveuglantes, elles mettent en relief les maçonneries blanches, pareilles à des dents, autour des fenêtres des maisons voisines, Un trou béant apparait dans la rangée, juste en face de l'école.
Bettey s'arrête, lui prend le bras, et contemple les débris luisants.
"C'était ma maison. On y a vécu pendant vint-cinq ans.
- Je suis désolé" dit William.
Elle le tire par le bras pour le faire avancer.
"On n'était pas à l'intérieur, c'est déjà pas mal."
(p.55)
La manière dont son souffle, sa voix remplissent l'église, s'élevant jusqu'au plafond, transperçant le silence et les autres voix, le plonge toujours dans l'extase. Lorsqu'il chante en soliste, il est émoustillé à l'idée que les voix des autres sont là pour encadrer et magnifier la sienne. C'est de la magie pure.
La simplicité et la solitude de ce travail l'avaient convaincu. Pas de démonstration, pas de public, pas d'humiliation. A mesure que s'éloignait l'époque où il était choriste, des jours, des semaines, des mois, son avenir d'embaumeur servait de plus en plus à l'ancrer dans le présent et lui offrait quelque espoir dans l'avenir.
(p.259)
Il n'y a rien de pire au monde que de perdre un enfant.

Quelqu'un, sans doute un prêtre, aurait certainement dit à quel point il était drôle. Que quand il s'approchait, William se [préparait] à être ...câliné. Que son père s'asseyait toujours au milieu du canapé pour regarder la télévision, afin de passer les bras autour d'eux et dire qu'il avait tout pour être heureux ici...
Mais, s'interroge William, un prêtre saurait-il cela ? Seuls lui et sa mère le savaient.
Le prêtre dirait sans doute combien son père était fier de travailler dans les pompes funèbres et de faire perdurer l'entreprise familiale avec son frère, et ça lui vrille le ventre, car ça donnerait à sa mère le sentiment d'être seule, laissée de côté.
Les meilleurs souvenirs, le prêtre ne les connaît pas, et puis William n'est pas certain de savoir ce que c'est qu'un «meilleur souvenir » ; tout est un mélange de bon et de mauvais, de chaud et de froid. Il y a celui où il partage avec son père une blague, juste entre eux, il l'aime tellement que ça vaut la peine d'avoir enduré l'enchaînement des évènements pas si drôles qui y ont mené.
Le Miserere d'Allegri
Il a cinq ans, et il est assis sur les genoux de son père,les yeux fixés sur le tourne-disque dans sa boîte en cuir rouge et noir, le diamant suivant la rainure gravée dans le vynile brillant qui tourne, tourne, tourne.
"Mais pourquoi pleures-tu?" Evelyn se met à rire en lui ébouriffant les cheveux.
(...)
Encore, Maman, remets-le !"
Evelyn lui explique que ce son magnifique, merveilleux, est produit par un garçon comme lui, juste un peu plus vieux, et le monde s'ouvre devant lui.
Si un garçon comme lui est capable de chanter ainsi, jusqu'où la magie peut-elle aller ?
(pp.135-136)
"
Parce qu'en ce bas monde, on a grand besoin de l'amour de toutes les personnes qui en éprouvent pour nous, tu ne crois pas ?