Citations de Joseph Bédier (66)
Les amants ne pouvaient ni vivre ni mourir l'un sans l'autre. Séparés, ce n'était pas la vie, ni la mort, mais la vie et la mort à la fois.
Les cloches sonnent, et tous, ceux de la baronnie et ceux de la gent menue, vieillards, enfants et femmes, pleurant et priant, escortent Tristan jusqu'au rivage. Ils espéraient encore, car l'espérance au coeur des hommes vit de chétive pâture.
"Dame, relevez-vous, et laissez-moi approcher. J'ai plus de droits à le pleurer que vous, croyez-m'en. Je l'ai plus aimé." Elle se tourna vers l'orient et pria Dieu. Puis elle découvrit un peu le corps, s'étendit près de lui, tout le long de son ami, lui baisa la bouche et la face, et le serra étroitement : corps contre corps, bouche contre bouche, elle rend ainsi son âme ; elle mourut auprès de lui pour la douleur de son ami.
Tristan dit :
Comment pourrais-je vivre ?
_ Oui, ami Tristan, nos vies sont enlacées et tissées l'une à l'autre. Et moi, comment pourrais-je vivre ? Mon corps reste ici, tu as mon coeur. (p. 79)
Quand le lai fut achevé, le roi se tut longuement.
Fils, dit-il enfin, béni soit le maître qui t'enseigna, et béni sois-tu de Dieu ! Dieu aime les bons chanteurs. Leur voix et la voix de leur harpe pénètrent le coeur des hommes, réveillent leurs souvenirs chers et leur font oublier maint deuil et maint méfait. Tu es venu pour notre joie en cette demeure. Reste longtemps près de moi, ami !
Certes comme vous l'entendrez bientôt, jamais, malgré l'angoisse le tourment et les terribles représailles, Marc ne put chasser de son coeur Iseut ni Tristan ; mais sachez, seigneurs, qu'il n'avait pas bu le vin herbé. Ni poison ni sortilège ; seule, la tendre noblesse de son coeur lui inspira d'aimer. (p. 29)
Mais qui donc peut longtemps tenir ses amours secrètes ? Hélas ! Amour ne peut se celer !
Au fond de la forêt sauvage, à grand ahan, comme des bêtes traquées, ils errent, et rarement osent revenir le soir au gîte de la veille. Ils ne mangent que la chair des fauves et regrettent le goût du sel. Leurs visages amaigris se font blêmes, leurs vêtements tombent en haillons, déchirés par les ronces. Ils s'aiment, ils ne souffrent pas.
Fils, lui dit-elle, j'ai longtemps désiré de te voir ; et je vois la plus belle créature que femme ait jamais portée. Triste j'accouche, triste est la première fête que je te fais, à cause de toi j'ai tristesse à mourir. Et comme ainsi tu es venu sur terre par tristesse, tu auras nom Tristan.
Quand elle eut dit ces mots, elle le baisa, et, sitôt qu'elle l'eut baisé, elle mourut.
Colère de femme est chose redoutable, et que chacun s'en garde ! Là où une femme aura le plus aimé, là aussi elle se vengera le plus cruellement. L'amour des femmes vient vite, et vite vient leur haine ; et leur inimitié, une fois venue, dure plus que l'amitié. Elles savent tempérer l'amour, mais non la haine. (p. 111)
Or sachez que le fuyard aux rouges cheveux tressés était Aguynguerran le Roux, le sénéchal du roi d'Irlande, et qu'il convoitait Iseut la Blonde. Il était couard, mais telle est la puissance de l'amour que chaque matin il s'embusquait, armé, pour assaillir le monstre ; pourtant, du plus loin qu'il entendait son cri, le preux fuyait.
Le coeur d'un homme vaut tout l'or d'un pays.
Colère de femme est chose redoutable, et que chacun s'en garde ! Là où une femme aura le plus aimé, là aussi elle se vengera le plus cruellement. L'amour des femmes vient vite, et vite vient leur haine; et leur inimitié, une fois venue, dure plus qu'une l'amitié.
Là où une femme aura le plus aimé, là aussi elle se vengera le plus cruellement. L'amour des femmes vient vite, et vite vient leur haine ; et leur inimitié, une fois venue, dure plus que l'amitié. Elles savent tempérer l'amour, mais non la haine.
Colère de femme est chose redoutable, et que chacun s'en garde !
C'est eux-mêmes que les amants doivent redouter. Mais comment leurs coeurs enivrés seraient-ils vigilants ? L'amour les presse, comme la soif précipite vers la rivière le cerf [...], à toute heure, en tout lieu, chacun ne voit-il pas comment le désir les agite, les étreint, déborde de tous leurs sens ainsi que le vin nouveau ruisselle de la cuve ?
Certes, il est un enchanteur ; oui, sa barque était fée et pareillement son épée, et sa harpe est enchantée, qui chaque jour verse des poisons au coeur du roi Marc ! Comme il a su dompter ce coeur par puissance et charme de sorcellerie ! Il sera roi, seigneurs, et vous tiendrez vos terres d'un magicien !
Ils persuadèrent la plupart des barons : car beaucoup d'hommes ne savent pas que ce qui est du pouvoir des magiciens, le coeur peut aussi l'accomplir par la force de l'amour et de la hardiesse.
Prologue
Devant le rideau, sans décor.
Acte premier
premier tableau : en Irlande
Une salle dans le palais du roi d'Irlande. A gauche, un lit à baldaquin, dont les courtines sont fermées, sauf du côté des spectateurs : un chevalier y repose, en dormi.
deuxième tableau : sur la nef
La nef de Tristan, à l'ancre, au rivage d'une île. Une tente est dressée sur le pont. A la poupe, Tristan se tient immobile.
Acte II
troisième tableau : Tintagel
Une salle dans le palais du roi Marc, à Tintagel. A gauche, premier plan, la chambre du roi.
quatrième tableau : le grand pin
Dans un verger, qui avoisine le château du roi Marc, à Tintagel. Au fond, sur un monticule, se dresse un grand pin. Il ombrage de sa large ramure une source, dont une vasque de marbre recueille les eaux. C'est la nuit, mais la lune brille clair.
cinquième tableau : le bucher
sixième tableau : la forêt du Morois
Une clairière au sein d'une forêt. Au fond, à gauche, une cabane de branchages, ouverte du côté des spectateurs.
Acte III
septième tableau : Tristan fou
Une salle du château, à Tintagel. Même décor qu'au troisième tableau.
huitième tableau : la mort
A Penmarch, en Bretagne. Une chambre du château largement ouverte sur la mer.
(levers de rideau des huit tableaux de "Tristan et Iseut" pièce parue dans "La petite illustration en juin 1929)
Beau roi, sans doute ton cœur s'irritera, et tous quatre nous en avons grand deuil; mais nous devons te révéler ce que nous avons surpris. Tu as placé ton cœur en Tristan, et Tristan veut te honnir. Vainement nous t'avions averti; pour l'amour d'un seul homme tu fais fi de ta parenté et de ta baronnie entière, et tu nous délaisses tous. Sache donc que Tristan aime la reine : c'est la vérité prouvée, et déjà l'on en dit mainte parole.
Seigneurs, vous plaît-il d'entendre un beau conte d'amour et de mort? C'est de Tristan et d'Iseut la reine. Écoutez comment à grand'joie, à grand deuil ils s'aimèrent, puis en moururent un même jour, lui par elle, elle par lui.
Aux temps anciens, le roi Marc régnait en Cornouailles