- Quoi qu’on te fasse, lui dit amicalement parrain, tu as tort de mentir. C’est un vilain défaut, et c’est inutile, car toujours tout se sait.
- Oui, répond Poil de Carotte, mais on gagne du temps.
LES BULLES DE SANG
Extrait 1
J'ai fait un rêve qui me trouble ;
Le souvenir en est si doux
Que je voudrais le mettre en double,
Une page en moi, l'autre pour vous.
Je me creusais dans vos caresses
Un nid fragile et réchauffant ;
Je redevenais un enfant
Tout enveloppé dans vos tresses ;
Doucement, avec un cheveu,
Vous me grattiez, et, badine,
Votre main se faisait un jeu
De me déchirer la poitrine.
Vous l'avez toute ouverte ainsi,
Souriante et sans rien me dire ;
Et moi, qui me taisais aussi,
Je riais en vous voyant rire.
…
C’est facile à dire, mon vieux. D’ailleurs il vaut toujours mieux rester sur sa faim.
Papillon, fleur vagabonde.
Que deviennent toutes les larmes qu'on ne verse pas ?
Braves morts au champ d'honneur, mais les peureux aussi y sont morts, et ils s'en seraient bien passé.
La vie est courte, mais on s'ennuie quand même.
La modestie peut être une espèce d'orgueil qui arrive par l'escalier dérobé.
On ne demande conseil que pour raconter ses ennuis.
Une voix à nous dégoûter de nos oreilles.
Si je ne gagne pas d'argent, je tâcherai de tourner ça en vertu.
Le soleil des siestes enfile les trous des tuiles et trempe le bout de ses rayons dans l'ombre fraîche.
Ecris des livres, tu les liras ensuite.
Mais grand frère Félix et sœur Ernestine continuent tranquillement leur lecture, et Mme Lepic lui dit, de sa voix naturelle :
- Poil de Carotte, tu iras les fermer tous les soirs.
- Il ne reste plus de melon pour toi, dit Mme Lepic ; d'ailleurs, tu es comme moi, tu ne l'aimes pas.
-Ça se trouve bien, dit Poil de Carotte.
On lui impose ainsi ses goûts et ses dégoûts. En principe, il doit aimer seulement ce qu'aime sa mère. Quand arrive le fromage :
- Je suis bien sûre, dit Mme Lepic, que Poil de Carotte n'en mangera pas.
Et Poil de Carotte pense :
- Puisqu'elle en est sûre, ce n'est pas la peine d'essayer.
En outre, il sait que c'est dangereux.
Et n'a-t-il pas le temps de satisfaire ses plus bizarres caprices dans des endroits connus de lui seul ? Au dessert, Mme Lepic lui dit :
- Va porter ces tranches de melon à tes lapins.
Poil de Carotte fait la commission au petit pas, en tenant l'assiette bien horizontale afin de ne rien renverser.
A son entrée sous leur toit, les lapins, coiffés en tapageurs, les oreilles sur l'oreille, le nez en l'air, les pattes de devant raides comme s'ils allaient jouer du tambour, s'empressent autour de lui.
- Oh ! Attendez, dit Poil de Carotte ; un moment, s'il vous plaît, partageons.
S'étant assis d'abord sur un tas de crottes, de séneçon rongé jusqu'à la racine, de trognons de choux, de feuilles de mauves, il leur donne les graines de melon et boit le jus lui-même : c'est doux comme du vin doux.
Puis il racle avec les dents ce que sa famille a laissé aux tranches de jaune sucré, tout ce qui peut fondre encore, et il passe le vert aux lapins en rond sur leur derrière.
La porte du petit toit est fermée.
Le soleil des siestes enfile les trous des tuiles et trempe le bout de ses rayons dans l'ombre fraîche.
La peur est une brume de sensations.
« - Pourquoi l’appelez-vous Poil de Carotte ? À cause de ses cheveux jaunes ?
- Son âme est encore plus jaune, dit Mme Lepic. »
« - Quoi qu’on te fasse, lui dit amicalement Parrain, tu as tort de mentir. C’est un vilain défaut, et c’est inutile, car toujours tout se sait.
- Oui, répond Poil de Carotte, mais on gagne du temps. »
Médiocre en tout excepté en génie.
Dieu, celui que tout le monde connaît, de nom.